Actrice et réalisatrice, Bérangère Mc Neese est habituée des caméras depuis son enfance. Il y a une semaine, elle a remporté en Belgique le Magritte du meilleur court-métrage pour Matriochkas, un très beau film porté par le trio formé par Héloïse Volle, Victoire du Bois et Guillaume Duhesme. Un film qu’elle présente en ce moment au Festival de Clermont-Ferrand, programmé en compétition internationale. À l’occasion de cet entretien, elle aborde la surprise de la composition, l’auto-production, les rôles chouettes et la confiance des réalisateurs de courts.
Format Court : Matriochkas (2019) est ton premier court-métrage produit. Auparavant, tu as fait deux courts auto-produits, Le Sommeil des Amazones (2015) et Les Corps purs (2017). Quels sont les avantages et les inconvénients de l’auto-production ?
Bérangère Mc Neese : J’ai fait de l’auto-production car je ne voulais pas attendre les délais très longs de financement des Commissions. J’ai eu la chance d’être très bien entourée, dès le départ. Mon chef opérateur, Olivier Boonjing, est un ami. Il m’a dit que si j’avais envie de faire un film, il me suivrait. Il est très expérimenté, il a fait plusieurs longs-métrages et la série La Trêve. Il est arrivé avec son matériel et son savoir-faire. Des amis techniciens sont venus en renfort. Le désavantage de l’auto-production, c’est l’inconfort, le manque d’argent. Tout est à négocier, les décors, les autorisations, la régie, tout est compliqué, mais j’ai quand même pu faire 3 films (dont un produit) en 4 ans et demi et me faire ainsi la main rapidement. Moi, je trouve ça hallucinant d’attendre 3 ans pour financer un court-métrage….
Ton deuxième film, Les Corps purs, dure 30 minutes. Est-ce que ça a été compliqué de le faire aussi en auto-production ?
B.M : Ce film-là a été le plus difficile car sur le premier, je ne me rendais pas compte où j’allais. Le deuxième en revanche, je savais. On a eu des désistements de décors. On a tourné en deux fois : on a filmé plusieurs séquences quelques mois après la première partie du tournage. En plus, on filmait à Bruxelles et à Ostende en plein mois de février. Il faisait hyper froid. Ca a été très dur.
Tu as joué dans beaucoup de courts-métrages. Comment se fait-il qu’il y en ait autant dans ton parcours ?
B.M : L’avantage quand tu es comédien, c’est que dans les courts, tu peux rapidement jouer beaucoup plus de choses intéressantes, des choses qu’on ne donnerait jamais à des inconnus dans des longs-métrages. Tu peux jouer des rôles principaux, aborder des grands enjeux sur des formats courts. Quand j’ai commencé à faire des longs, j’ai joué beaucoup “les filles de”, “les petites copines de”, … C’est normal, personne ne me connaissait, je débarquais, c’est tout ce qui m’était donné à faire.
En courts, il y a moins de “filles de”, de “petites copines de” ?
B.M : C’est plutôt des rôles principaux avec des personnages vraiment complexes où on peut developer vraiment autre chose. Je pense notamment à un film Juin, juillet d’Emma Séméria qui a été une expérience de jeu géniale, l’histoire d’une jeune fille qui décide volontairement d’entrer dans un hôpital psychiatrique parce qu’elle a des symptômes de dépression qu’elle ne comprend pas bien. C’était fascinant à faire. En long-métrage, je pense que ce serait compliqué de pouvoir avoir un rôle comme ça.
C’est fascinant parce que ce n’est pas évident comme sujet ou parce qu’on te donne plus de liberté ?
B.M : Parce qu’on me fait plus rapidement confiance. Quelque part, on en est un peu tous en train d’expérimenter dans le court-métrage. Tu peux avoir faire moins de choses et te voir confier des choses plus importantes. Il n’y a pas de business plan. Pour le long-métrage, il faut des têtes d’affiches, ce n’est pas le cas du court où tu peux encore faire ce que tu veux.
Quelle est ta formation ?
B.M : J’ai commencé à travailler quand j’ai eu 8-9 ans. J’ai pris des cours de théâtre ici et là. J’ai fait 5 ans de journalisme à la Sorbonne – Paris 3 et à l’ULB à Bruxelles. Je tournais toujours en même temps.
Comment as-tu eu envie d’explorer des projets propres sachant que ce n’est pas toujours facile de cumuler les étiquettes et qu’on est très vite catalogué, surtout en France ?
B.M : Oui, mais même ici, en Belgique. La question que j’ai le plus souvent, même par rapport aux Magritte, c’est : “Du coup, tu réalises maintenant, tu ne joues plus ?”.
Comme si on ne pouvait pas faire les deux…
B.M : Oui, c’est un peu dommage…
Quand on choisit d’écrire, de produire, de faire des courts-métrages, comment on sent quand on est prêt ?
B.M : C’est parti d’un point de vue professionnel et personnel. C’est quand même une drôle de vie que d’attendre que les gens aient envie de travailler avec toi. C’est quand même très étrange et assez insupportable en même temps d’être tributaire du désir de quelqu’un d’autre, mais à un moment, j’ai trouvé ça très difficile d’envisager une vie qui soit uniquement ça. Et du coup, il y a eu une dimension hyper proactive dans l’idée de porter ses propres projets, moi, ça m’a énormément apaisé. J’avais très envie de personnages féminins forts. C’est un peu bateau de dire ça en 2020 mais j’avais aussi un peu envie de m’écrire des rôles chouettes. Au final, je l’ai assez peu fait car c’est difficile de jouer et réaliser en même temps.
En termes de casting, comment fonctionnes-tu? As-tu envie de mélanger comédiens professionnels et non professionnels ou favorises-tu plutôt le hasard des rencontres ?
B.M : Héloïse Volle, c’est une non professionnelle, âgée de 15-16 ans. Il y a eu une mode du casting sauvage où les personnes qu’on caste sont vraiment les personnages du film. Je le comprends mais en tant que comédienne, je crois très fort à la composition. Je pense qu’on ne compose pas assez en France et en Belgique. Moi, je trouve ça dommage.
C’est quoi pour toi, composer ?
B.M : Par exemple, Victoire du Bois, son personnage, dans le film est très loin de ce qu’elle est dans la vie. Elle a pris du poids, on l’a changé physiquement et dans le langage. Il a fallu créer un personnage qui est très loin d’elle. On ne fait pas ça ici, c’est très américain. Si tu veux une femme hyper sûre d’elle, un peu trash, la cinquantaine, tu prends Béatrice Dalle. Si tu veux quelqu’un de coincé, tu prends Karine Viard. Elles peuvent faire plein de choses mais on va avoir tendance à aller vers quelque chose qu’on connait déjà plutôt que d’aller vers la surprise. Je trouve ça très frustrant comme comédien. Et comme réalisatrice, je n’ai pas envie de favoriser ça.
Victoire était très emballée parce que c’est le genre de personnage qu’on ne lui propose pas souvent. Ce rôle était vraiment très loin d’elle et ça l’a excitée de faire autre chose. Je préfère tester des choses et après, on voit si ça marche ou pas mais au moins, on peut aller plus loin que la vraie vie, que ce qu’on dégage.
Est-ce que tu te sens mieux maintenant dans le jeu et dans l’écriture que quand tu as commencé ?
B.M : Oui. J’ai l’impression d’être plus légitime déjà. C’est toujours un combat quand tu passes d’une étape à un autre. Tu vois là, le long-métrage, je ressens le syndrôme de l’imposteur.
Ca fait combien de temps que tu bosses sur le long ?
B.M : Depuis peu de temps, depuis le mois de septembre.
Cette année, tu as présenté la cérémonie des Machins (les petits prix du cinéma belge) à Bruxelles. Comment ça se passe ? Est-ce très écrit ou est-ce de l’improvisation ?
B.M : C’est très écrit. C’est la première fois que je le faisais cette année. J’étais assez surprise quand on m’a appelée pour présenter la cérémonie. C’est flippant et marrant à faire. On rit des clichés du cinéma belge, on vit dedans toute l’année tout comme les gens qui sont dans la salle. Ce sont des choses qui nous lient.
Je n’ai pas encore compris pourquoi vous remettiez des moules en guise de prix…
B.M : Moi non plus, je ne sais pas.
Comment est-ce que tu choisis tes rôles en général ?
B.M : Comme comédienne et au quotidien, je multiplie les projets. J’ai joué la fille de Danny Boon dans l’un des premiers longs-métrages conséquents que j’ai faits. Le film s’appelle Le Volcan, c’est une grosse comédie française. J’ai fait des séries de comédies et à côté de ça, j’ai fait un téléfilm d’Alain Tasma, Le Viol, qui était assez dramatique. À un moment, quand j’étais plus jeune, c’était très important que tout ça soit d’une grand cohérence pour que je puisse me définir. Maintenant, je n’en ai plus rien à foutre parce que la vie est trop courte.
À partir du moment où il y a quelque chose qui m’intéresse ou qui m’amuse, je pars de l’idée qu’il s’agit toujours d’expériences humaines aussi. C’est marrant parce que quand on arrive à Paris à 18 ans, on se dit qu’on va être découvert par Abdellatif Kechiche dans la rue et qu’on va avoir son César avant 22 ans. Plus le temps passe, plus on se dit que ça ne va jamais se produire. Là, ça devient intéressant de vivre tout ce qu’il y a à vivre.
Et on peut donc faire des courts aussi parce qu’il y a moins d’enjeux.
B.M : Oui. Et aussi pour se faire la main parce que si tu as envie de réaliser, tu es obligé de passer par là parce que tu ne vas pas auto-produire ton long-métrage.
Tu as joué dans Air comprimé de Antoine Giorgini. Ca se passe comment la collaboration avec lui ?
B.M : Génial. Il arrive avec un scénario hyper solide et du coup, il est très bien accompagné et financé, ce qui offre un confort de tournage que je n’avais jamais expérimenté en court. On prend le temps de faire les choses, bien, sans stress. C’est quelqu’un de très serein ou en tout cas, il cache très bien son stress ! Du coup, on s’amuse. Je garde aussi un souvenir vraiment génial de Thomas Blanchard. Pour la première fois, je n’ai pas eu l’impression que c’était “roots” sur un court. En fait, ce n’est pas obligé d’être la galère. C’était assez novateur pour moi.
En tant que réalisatrice, qu’est-ce que tu as le sentiment d’apprendre de film en film ?
B.M : L’expérience humaine que je vis, que j’ai envie de raconter, avec les trois courts-métrages que j’ai fait, j’ai l’impression qu’en face, il y a un public qui vit les mêmes experiences que moi, que ça intéresse. Il s’agit pour moi de passer à un autre format mais de conserver un cinéma qui est très ancré dans le réel et en même temps, un peu fantaisiste, qui raconte des experiences humaines qu’on entend de plus en plus.
J’ai envie de parler d’expériences féminines mais aussi de zone grise, trouble. C’est quelque chose que j’ai envie de continuer à explorer car je trouve ça tellement plus intéressant que de parler de quelqu’un qui est dans le bien ou le mal. On est fait de tellement de nuances que je trouve que les histoires qu’on raconte doivent être tout autant nuancées.
Propos recueillis par Katia Bayer