Pile Poil raconte avec légèreté et tendresse la déchirure d’une jeune femme partagée entre ses envies d’envol et les projets que son père boucher a formés pour elle. Après avoir été récompensé du Prix du Rire lors du dernier Festival de Clermont-Ferrand, le court métrage du duo Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller fait partie des courts présélectionnés aux César 2020. Nous avons rencontré Lauriane et Yvonnick en compagnie de l’actrice de du film, Madeleine Baudot.
Faire un film à deux, ça fonctionne comment ?
Lauriane : Pour l’écriture, on est vraiment ensemble. On écrit les dialogues ensemble parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est comédiens.
Yvonnick : Mais pour le tournage, c’est plus segmenté. Madeleine, est-ce que je t’ai parlé une fois pendant le tournage ? (Madeleine fait non de la tête). Voilà, Lauriane s’occupe des comédiens, et même quand j’ai un truc à leur dire, je passe par elle. Pour la technique, c’est l’inverse. Ca sert à éviter d’envoyer des indications contradictoires.
Lauriane : Et du coup on est super zen, ça fait deux fois moins de travail. Moi j’arrive, tranquille, je discute avec les comédiens.
Yvonnick : Et moi j’arrive tranquille, je m’occupe du cadre.
Madeleine : Ah vous n’en foutez pas une en fait. Là, avec leurs mots, ils sont en train de te dire qu’ils n’en foutent pas une, en gros.
Yvonnick : Exactement, mais je crois qu’on n’a rien inventé. J’ai découvert après Pile Poil que les frères Coen font pareil, et Toledano et Nakache aussi. On aurait aimé être les premiers mais, en fait, on est banal.
Racontez-moi votre rencontre, le club échangiste tout ça.
Lauriane : Mais comment tu sais ? T’étais là ? Sérieusement, on habite vraiment au-dessus d’un club échangiste, quelle intuition de génie. C’est manifestement une interview exceptionnelle. En revanche, rien à voir avec notre rencontre. On a créé un collectif avec des amis comédiens et scénaristes, le Happy Collectif puisque nous sommes des gens happy et assez axés comédies, et on co-écrivait et réalisait par groupe de 5-6 puis chacun a ressenti le besoin de raconter sa propre histoire, donc on s’est associé avec Yvo.
Yvonnick : On avait déjà fait un premier film au sein du collectif puis on en a fait un deuxième hors collectif écrit par Lauriane et qu’on a réalisé à deux, Chèvre ou vache, grâce auquel on a rencontré notre producteur. Il a flashé dessus à un festival puis il nous a demandé ce qu’on avait en besace. On a parlé de Pile Poil et il a adoré l’idée.
Comment avez-vous déniché Madeleine ?
Yvonnick : Après que Grégory Gadebois ait dit oui pour le rôle du boucher, on s’est mis à éplucher les trombinoscopes pour trouver sa fille. Je suis tombé sur une photo de Madeleine, et j’ai eu un flash. Lauriane a approuvé, on l’a vue en casting et elle était super. C’est la première comédienne qu’on a vue. On en a vu d’autres pour être sûrs et quand je regarde le film, je me dis qu’on a fait le bon choix. Le duo marche bien, la ressemblance est troublante avec Grégory, qui croyait voir sa sœur. Y a un truc commun dans leur humanité.
Madeleine : Moi, belge de Liège, je ne connaissais pas ces deux personnages. Quand j’ai reçu le scénario, je venais de faire un film 100% pur porc où je jouais une bouchère. Je lis les deux premières pages : dans une boucherie, une main découpe violemment une épaule d’agneau. Je ferme le scénario et je me dis : « C’est bon là, jamais deux sans trois, après ce sera une pub pour Cochonou ou quoi ? J’ai un minimum de glamour. » Mais quand j’ai relu, j’ai vu qu’y avait bien plus que ça. Je les ai rencontrés et, après qu’ils m’ont fait poireauter pendant deux mois, ça a été le début d’une longue histoire d’amour.
Vous pensez au long ?
Lauriane : Oui, on est en développement de Pile Poil le long métrage, Pile Poil two.
Yvonnick : On a fait le court en pensant uniquement au court, mais suite à l’engouement en festivals de différentes sociétés de production, on s’est demandé si on avait assez de choses à raconter sur une heure et demie et on s’est dit que oui. On a eu pas mal de rendez-vous suite au festival de l‘Alpe d’Huez, où on a gagné le Grand Prix. On continue avec Emmanuel Wahl, le producteur du court, mais en co-production avec d’autres boites.
Vous êtes-vous mis à l’écriture pour arrêter d’être dans l’attente en tant que comédiens ?
Lauriane : Décidément, quelle intuition de génie encore une fois !Être toujours dans l’attente du désir de l’autre, c’est vrai que ce n’est pas agréable. Et puis ça ne marche pas : quand il y a écrit sur ton front « prends moi prends moi prends moi », on ne voit plus que ça (rires de Madeleine). C’est bien d’avoir autre chose et d’être moteur, d’être actif. J’ai commencé à écrire pour m’écrire des rôles. Je joue d’ailleurs l’examinatrice dans Pile Poil. J’adore jouer dans mes films et dans le prochain, je vais essayer de grossir mon rôle.
Yvonnick : Moi j’ai une réponse différente. J’aime beaucoup mon métier de comédien, qui consiste à être un élément de l’histoire, de l’œuvre d’un autre. Mais je trouve ça cool aussi de porter un projet de A à Z, ça m’éclate complètement de me démener pour savoir quoi raconter, quoi filmer, quoi monter, sans avoir besoin d’être comédien. On a toujours eu ce goût de l’histoire, on s’est formé après le collectif : Lauriane à fait l’atelier de la Fémis, moi une autre école de scénaristes, le CEEA (Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle).
Qu’est-ce vous avez voulu raconter avec Pile Poil le court et que raconterez-vous dans Pile Poil le long ?
Lauriane : Ce qui nous intéressait dans le court, c’est le moment de séparation où les enfants quittent le nid. Le père aurait envie que la fille reste et reprenne la boucherie mais il va accepter de la laisser prendre son envol. Dans le long, on commencerait l’histoire le jour où Elodie quitte la maison pour commencer son année d’études de CAP esthéticienne et revient tous les week-ends à la boucherie, le temps que le père trouve un apprenti et on finirait avec l’examen. L’examen a été hyper payant dans les salles et on a encore de la matière pour le développer. On a été tellement impressionné par les rires à Clermont qu’on se demandait si les gens ne revenaient pas d’un cocktail arrosé !
Comment vous est venue l’histoire ?
Lauriane : J’étais en week-end chez une copine en Normandie quand sa sœur a débarqué en panique car elle cherchait un modèle pour l’examen de son CAP esthéticienne. En gros, j’ai compris qu’il fallait avoir une très très bonne copine qui, au plein milieu du mois de juin, accepte de se laisser pousser les aisselles, le maillot ou les jambes d’au moins 1 centimètre pour se faire épiler le jour de l’examen. Et en fait c’est souvent la mère ou la sœur qui s’y colle. On s’est dit que ça ferait une super anecdote et on a construit la relation père-fille autour.
Propos recueillis par Yohan Levy