Charlotte Corchète est la nouvelle responsable du comité de sélection des Pardi di Domani, la section réservée aux courts et moyens-métrages du Festival de Locarno. Lili Hastin, la nouvelle Directrice artistique du festival, l’a choisie après une collaboration entamée au festival Entrevues de Belfort. Giacomo Hug, lui, travaille depuis un moment pour Locarno. Il coordonne le comité des Pardi di Domani dont Charlotte Corchète fait partie avec trois autres sélectionneurs, dont certains sont réalisateurs : Tizian Büchi, Liz Harkman et Stefan Ivančić.
À l’occasion de la dernière édition du festival, organisé cet été, Charlotte Corchète et Giacomo Hug ont échangé autour de leurs parcours respectifs, de l’intérêt de Locarno pour la forme courte, de la fameuse prise de risques, du moyen-métrage et du documentaire.
Format Court : Comment en êtes-vous arrivés à travailler tous les deux pour le Festival de Locarno ?
Charlotte Corchète : J’ai fait des études à la Fémis en distribution-exploitation et je poursuis mes études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociale) en vue d’un doctorat en sociologie l’an prochain. J’ai travaillé dans les bureaux de programmation du Festival Entrevues avec Lili Hastin, notamment l’an dernier au comité de sélection, qui m’a proposé de rejoindre l’équipe du court à Locarno. Avant, j’ai été stagiaire au Louxor à Paris et j’ai travaillé dans des salles de cinéma et au bureau de programmation des films du Centre Pompidou.
Le cinéma, c’est de la sociologie. As-tu le sentiment que tes études te permettent d’avoir un regard particulier sur les films qui arrivent ici ?
C.C. : Oui, je pense. À la Fémis, j’ai eu une formation technique, économique. La sociologie à l’EHESS m’a permis d’avoir un regard différent. Beaucoup de sociologues travaillent avec des films, les analysent, les décortiquent. Ce n’est pas donc pas si éloigné que ça car on peut utiliser des films réalistes ou documentaires pour parler et approcher des sujets fréquents en sociologie.
Et toi, Giacomo, comment t’es-tu greffé au festival ?
Giacomo Hug : Moi, je suis tessinois, j’ai grandi près d’ici. J’ai connu le festival il y a longtemps. J’ai été dans le jury jeune, ensuite, j’ai fait des études de cinéma à Lausanne et à Londres. Puis, je suis rentré en Suisse et j’ai commencé à travailler au bureau de programmation des longs-métrages. C’était en 2014. Depuis l’an passé, je suis responsable du bureau de programmation des courts-métrages. Je ne fais pas de sélection. Je m’occupe de coordonner le comité de sélection et d’organiser tout ce qu’il y a autour.
Dans votre comité court, il y a plusieurs réalisateurs. Est-ce que leur présence offre un autre regard et a une influence sur les films retenus ?
C.C. : C’est vrai que dans notre comité, certains sont réalisateurs ou donnent des cours et d’autres programment dans d’autres festivals. Je trouve ça très bien parce qu’être cinéaste à plein temps, ce n’est pas forcément possible, ça permet de chercher d’autres moyens de parler de cinéma. Si il n’y avait que des réalisateurs dans ce comité, je pense que ça ne marcherait pas, mais là, dans le cas présent, c’est bien d’avoir des personnes variées en termes d’expériences professionnelles et de perspectives.
Pourquoi et comment le festival continue-t-il à s’intéresser au court-métrage ?
C.C. : À Locarno, la Sala est la salle principale consacrée au court métrage. Elle fait 900 places, c’est un espace important pour les courts. Le festival accorde une certaine importance au court puisqu’on en sélectionne une trentaine dans la compétition internationale et une dizaine dans la compétition nationale : ça représente quand même une compétition importante.
G.H. : Locarno, c’est un festival de recherche et découverte. Comme les courts-métrages sont souvent faits par des jeunes réalisateurs et des étudiants, c’est très intéressant de les repérer très tôt, en amont. C’est la fonction principale de la compétition des courts-métrages, des Pardi di Domani qui signifie en français « les Léopards de demain ». L’idée est de découvrir des auteurs qui reviendront peut-être dans le futur avec des longs-métrages.
Comment se fait-il que le festival soit associé à cette image de léopard ?
G.H. : Tu vois le symbole de la ville, de la mairie ? C’est un pardo, un animal mythique qui se situe entre un lion et un léopard.
C.C. : Dans la mythologie suisse (rires) ?!
Le symbole de la vile est donc devenu celui du festival ?
G.H. : Oui.
Comment arrivez-vous à créer votre identité entre les deux gros festivals que sont Cannes et Venise ?
C.C. : Cette année, on a reçu 3.000 films et le nombre d’inscriptions a augmenté par rapport aux autres années. Ce qui a joué, c’est qu’on se soit beaucoup déplacé en festival. Je me suis rendue au Festival de Clermont-Ferrand avec Giacomo. On est allé sur le marché à la rencontre des producteurs, des réalisateurs, des vendeurs et des institutions de plusieurs pays.
Venise a une limite de temps de 20 minutes pour les courts, la compétition principale des courts-métrages de Cannes prend des films de 15 minutes maximum. Nous, on accepte les films jusqu’à 59 minutes.
Il y a des spécificités en termes d’éligibilité qui sont différentes des autres festivals. Après, effectivement, c’est difficile. Les publics ne sont pas les mêmes. À Locarno, on accepte des formes peut-être différentes, on peut s’intéresser à des artistes qui sont liés à la vidéo, qui sont pris dans les musées. C’est comme ça qu’on arrive par exemple à se démarquer.
G.H. : Ce qu’on essaye aussi de faire par rapport aux autres festivals que tu as mentionnés, c’est qu’on ne s’intéresse pas nécessairement aux films qui sont complètement aboutis, parfaits. On peut être sensible aussi aux propositions qui ne sont peut-être pas encore là mais à des réalisateurs qui ont pris des risques.
Dans les films que j’ai vus, j’ai le sentiment qu’il y a une idée de brouiller les pistes, les codes. Parfois, on ne sait pas trop à quel genre les films appartiennent. C’est quelque chose que vous souhaitez défendre dans votre sélection ? Par ailleurs, si vous vous êtes déplacés des gens en festivals, c’est parce que vous aviez le sentiment que les gens ne vous repéraient pas suffisamment ?
C.C. : Je pense qu’ils connaissaient Locarno mais on leur a apporté des précisions par exemple concernant les frais, les délais et les moments d’inscription. Cette année, j’ai beaucoup répondu à des réalisateurs qui me demandaient quel type de films on pouvait chercher. Je pense que ça les a beaucoup aidés sur ce qu’on attendait par rapport à d’autres festivals.
Quant à la sélection, toutes les formes sont montrées sur l’écran, il n’y a pas une seule forme ou unité en termes esthétiques. On va aller vers des films expérimentaux comme narratifs, plus classiques.
G.H. : C’est un peu la tradition de Locarno d’inclure dans la même compétition du documentaire, de la fiction, de l’animation, des projets qui sont de l’art vidéo. Cette année, on a aussi montré de la réalité virtuelle. Les gens de l’art vidéo connaissent peut-être Locarno mais ne savaient pas qu’ils pouvaient y participer. C’est pour ça qu’on fait un travail de recherche.
Ca a donc joué sur le nombre de films reçus. Et que réponds-tu, Charlotte, quand on te demande quel type de films recherchez-vous ?
C.C. : En général, ce que je dis, c’est qu’on cherche des films qui vont nous surprendre par leur forme esthétique ou par leur construction narrative et qui traitent aussi de sujets qu’on peut voir à l’écran. Il n’y a pas un format atypique pour être sélectionné à Locarno. On peut tout à fait prendre des films qui vont avoir une histoire très simple et qui vont susciter une émotion très forte. Il n’y a pas de règle précise là-dessus. Si vraiment on sent que le réalisateur a une sensibilité particulière et qu’il arrive à nous émouvoir, ça peut nous intéresser. J’aime beaucoup ce genre de films aussi.
G.H. : Le courage nous intéresse également.
Sur 3.000 films, vous recevez quand même beaucoup de films qui ne se démarquent pas des auteurs. Est-ce que vous avez le sentiment que les réalisateurs manquent de courage, ne vont pas au bout de leurs intentions ?
G.H. : Je pense que oui. Il y a beaucoup de films qui se ressemblent, qui sont tous pareils, qu’on a l’impression d’avoir déjà vus.
Dans le passé, il y a eu beaucoup de courts documentaires « coups de poing », très forts, des histoires très personnelles sélectionnés au festival. Vous accordez une attention particulière à ce genre ?
C.C. : On s’intéresse autant au documentaire qu’à la fiction. Parfois, je ne sais pas à l’avance si ça va être de la fiction ou du documentaire !
G.H. : C’est intéressant parce que cette année, dans la sélection, on a un documentaire qui ressemble à de la fiction, Vader (Isabel Lamberti, Pays-Bas), et un projet de fiction qui ressemble à un documentaire, El hacedor de muebles (David Avilés, Cuba) !
Plusieurs moyens-métrages figurent dans votre sélection. Vous acceptez des films allant jusqu’à 59 minutes. Ce sont des durées qui prennent de la place dans une grille de programmation…
C.C. : Cette année, dans la compétition internationale, il y a un film de 35 minutes. Je crois que c’est le plus long, mais on avait repéré des moyens-métrages effectivement. Comme on a ouvert seulement depuis cette année la compétition aux films allant jusqu’à 59 minutes (avant, ça se limitait à 45), il y a des films qu’on a considérés jusqu’à la fin. Après, c’est en termes de durée qu’on organise les programmes et c’est vrai qu’un film de 59 minutes va prendre la place de deux ou trois films un peu plus courts. Mais après, on est très ouvert, si il y a un moyen-métrage qu’on aime beaucoup, on va prendre le risque de le prendre dans un programme.
Oser prendre un film plus long, c’est envoyer aussi un message à des auteurs qui tentent des histoires plus longues et qui ont besoin de cette durée-là pour raconter ce qu’ils veulent.
C.C. : Oui. Il faut aussi s’adapter aux réalités des pays. Par exemple, j’ai appris qu’il n’y a pas une si grosse production de courts-métrages au Japon, mais que par contre, beaucoup de moyens-métrages se faisaient là-bas. L’année prochaine, j’aimerais bien du coup voir des moyens-métrages japonais qui font entre 45 et 59 minutes.
Comment se fait-il qu’au Japon, il y ait plus de moyens-métrages que de courts ?
C.C. : Les étudiants font des courts à l’école, ils s’exercent avec ce format, mais les films restent dans l’école, ils ne sont pas envoyés en festival. À leur sortie, les réalisateurs font des moyens, le format étant les plus proche des longs.
Quel est pour vous finalement l’intérêt du court-métrage ?
C.C. : Comme Giacomo, je pense que le court permet de lancer la carrière d’un réalisateur, d’avoir une carte de visite, notamment dans les écoles. Le court, avec son économie plus réduite, permet de connaître les étapes de fabrication d’un film, d’intéresser des producteurs et des festivals pour s’orienter après vers le long. C’est une forme de tremplin pour accéder au long.
G.H. : C’est aussi un format qui permet à nouveau de prendre des risques plus facilement qu’un long car ça coûte moins cher, et c’est juste plus court.
Est-ce que les films de Locarno peuvent être vus en dehors du festival ?
G.H. : Oui, on a créé l’an passé un programme en VOD sur notre site internet. Pendant un mois, de février à mars, on a passé chaque jour un court-métrage précédemment sélectionné. On va le refaire. Ca a très bien marché. On a diffusé 27 films, soit presque la sélection complète. Ca permet de sortir de Locarno et des festivaliers.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : Locarno 2019, notre compte-rendu