Claude Schmitz, réalisateur belge de Le Mali (en Afrique), et de Rien sauf l’été, propose une nouvelle fois un court-métrage où la chaleur et les acteurs prennent le temps de se découvrir dans une latence contemplative. Avec Braquer Poitiers, Claude Schmitz a déjà été récompensé de nombreuses fois, entre le Prix Jean Vigo, le Prix Ciné du Festival de Brive ou le Prix Égalité et Diversité au Festival de Clermont-Ferrand.
Braquer Poitiers est une fable moderne : un escroc belge envoie deux de ses hommes de main, Francis et Thomas, l’un métalleux bedonnant, l’autre vieil adolescent mou et vapotteur, pour « s’occuper » de Wilfried, gérant de Carwash. Les deux loubards doivent le séquestrer pendant un mois, chez lui, dans sa grande demeure Poitevine pour lui soutirer la monnaie laissée dans ses appareils. Cette séquestration est consentie et Wilfried les accueille, presque heureux d’avoir de la compagnie. Alors que la prise d’otage a commencé, Francis et Thomas sont rejoints par deux jeunes femmes à l’accent chantant.
La chaleur, l’été, l’ennui. Ce qui débute comme un film noir de gangster se meut peu à peu en une représentation quasi documentaire de l’ennui. Braquer Poitiers prend son temps, comme le dit leur patron, « il faut tenir un mois ». Le braquage, argument fictionnel, n’est qu’un point de départ qui permet la rencontre entre ces personnages. Unique prétexte narratif, il permet aux 58 minutes de film de s’étirer, comme un long regard fixé sur les différents protagonistes et leur relations.
La caméra est braquée sur les acteurs en continu ce qui leur permet d’improviser en toute liberté. Des couples se forment, Wilfried initie les braqueurs et quelques jeunes aux joies du jardinages, les couples vont se promener dans Poitiers. Les longues séquences laissent le temps aux personnages de se développer. Les plans fixes nous permettent de nous installer paisiblement, à table avec eux, comme un participant, écoutant Francis chanter du Brel en plan séquence. Petit à petit, nous entrons dans une transe morne, aspirés par leur rythme de vie lascif.
Ce regard braqué sur ces personnages a été à la genèse du projet de Claude Schmitz. Rien n’était écrit et c’est la rencontre avec Wilfried qui l’a initié. Wilfried ne joue pas, les Carwashs sont bien les siens et c’est dans son monde que le film prend place. Claude Schmitz nous apprend ici à regarder le réel, à observer ce qui s’y passe, dans ce cadre bucolique, nos personnages se laissent bercer par la chaleur et, sous la pression de l’ennui, les langues se délient.
L’argent influence toutes les interactions entre les personnages et veut se faire passer pour une excuse narrative. Pourtant, une réflexion sur sa valeur se met en place. Claude Schmitz nous présente des êtres oisifs qui aiment l’argent facile et pour qui, même compter les pièces relève du calvaire. Seul Wilfried semble donner une valeur réelle à l’argent qu’il combine avec la notion de travail. Les loubards semblent avoir trouvé leur compte dans cette entente à l’amiable : ils prennent l’argent de Wilfried tant que celui-ci peut s’occuper de son jardin. Les deux filles quant à elles y voient « un drôle de concept » qui met en exergue l’un des thèmes sous-jacent du court, la liberté et le pouvoir.
Braquer Poitiers est une fable rohmérienne, caustique, mêlant comique de situation et mélancolie sans jamais tomber dans la caricature. Pourtant, le grotesque est proche, ce film nous présente de « vrais gens », perdus entre l’univers de Groland et des films de Bruno Dumont. Comme chez Rohmer, ce sont les personnages qui portent le film, ici archétypaux, ils viennent tous en duo (les deux belges, les deux cagoles, les deux jeunes), sauf Wilfried qui semble se suffire à lui-même.
Wilfried fascine le spectateur, le regard mélancolique et la verve libre, il parle comme d’autres aimeraient penser. Au départ presque mutique, Wilfried dévoile une personnalité et un sens unique de la dialectique qui vont rapidement faire de lui le personnage principal du film. Il va doucement renverser la situation. Alors que c’est Wilfried qui est séquestré, ce sont les deux loubards qui vont se faire happer dans son monde, assignés à résidence dans un domaine, métonymie, de leur hôte.
Claude Schmitz nous propose de prendre une pause et le temps de regarder la vie dans sa vraie nature, rocambolesque sans scénario, romantique et intrigante sans fil narratif pré-médité. Ce documenteur ou docu-fiction n’est autre qu’une percée dans le cinéma d’un réalisateur qui maîtrise le montage et qui a la capacité de regarder les gens, sans jamais les mépriser.