Maxime Roy vient remporter le prix SACD de la meilleure œuvre de fiction à Clermont-Ferrand pour Beautiful Loser, qui raconte la reconstruction d’un ancien toxico tout juste devenu père. Ce court, comme le long-métrage en préparation qui en sera le prolongement, est inspiré de la vie du comédien François Creton, qui joue son propre rôle et avec qui il a co-écrit.
Tu cadres tous tes films, es-tu né avec une caméra dans la main ?
Pas du tout ! Je suis arrivé tardivement au cinéma, vers 18 ans. J’ai passé une partie de mon adolescence chez un ami dont le père était projectionniste aux Dames Augustines, une cabine de projection privée. Durant cette période compliquée qu’était mon adolescence, j’ai pu quitter un univers dans lequel je ne me sentais pas bien pour passer beaucoup de temps dans cette salle avec lui. Il s’appelle Marc Stora et c’est lui qui m’a fait découvrir le cinéma dans cette cabine de projection. Mon véritable coup de foudre pour le cinéma a eu lieu après la projection d’un film de Pascal Thomas [NDLR : Le Crime est notre affaire]. Toute l’équipe était venue, Catherine Frot, André Dussollier… et moi j’étais caché derrière avec les bobines. Je n’avais pas vraiment le droit d’être là, et je les ai observés parler du film, de leurs problèmes, de leur intimité. Ça m’a bouleversé, j’ai dit à Marc que je trouvais que le cinéma était un endroit où on se confie, que je n’avais pas eu l’habitude de faire ça, de me confier, et que j’avais envie de faire du cinéma.
C’est là que tu t’es inscrit en école de cinéma. Qu’est-ce que tu en as tiré exactement ?
Mon école, l’ESRA, m’a énormément apporté. J’y ai fait de très belles rencontres avec des professeurs comme Jacques Faure, Jean-Jacques Jauffret. Je me suis senti écouté, regardé. J’ai eu enfin la possibilité de faire des courts-métrages, de rencontrer des techniciens de mon âge avec lesquels j’ai évolué. Je ne sais pas si j’aurais trouvé ça ailleurs. J’en suis à la fois fier et en même temps, j’ai parfois regretté de ne jamais avoir tenté les grandes écoles. Mais ce qui est certain, c’est que j’ai rencontré à l’ESRA des gens merveilleux, et que les élèves y jouissent d’une grande indépendance. On doit se débrouiller seul, on nous donne la possibilité de monter des projets seuls, ce qui est finalement assez proche de ce qu’on va découvrir après dans le milieu du cinéma, où on est assez livré à nous-mêmes quand on commence.
Comment s’est passé pour toi ce grand saut à la sortie d’école ?
J’ai d’abord monté une société où j’ai essayé de tout faire tout seul jusqu’à me rendre compte que j’avais besoin d’être épaulé. Et c’est là j’ai fait une rencontre merveilleuse avec ma productrice, Alice Bloch [NDLR : de TS Productions], qui m’accompagne depuis plusieurs années et me permet de comprendre la personne que je suis, mes envies. Si on veut réaliser des films, la première personne à rencontrer c’est son producteur. Il faut faire des films éventuellement de façon autoproduite pour montrer de quoi est capable mais ensuite c’est cette rencontre avec cette personne qui est le socle essentiel si on veut percer en tant que réalisateur. Et ce n’était pas gagné parce qu’on s’est engueulé sur un film lors de notre première rencontre. On aimait tous les deux le film, La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, mais de deux façons différentes. On a eu une petite prise de bec puis on a appris à se connaitre et elle a su voir ce que j’avais à dire à un moment où ce n’était pas forcément évident.
Les réalisateurs entretiennent souvent des relations compliquées avec leurs premiers films, entre nostalgie et déni. Et toi ?
Mon premier court-métrage, 1895, était vraiment un essai, un truc balancé comme ça. J’en ai un souvenir assez trouble mais je sais que je découvrais la réalisation, que j’avais envie de crier, que j’avais cette grosse rage de balancer quelque chose. Ça a donné une métaphore compliquée à comprendre. Mon second court, Beauté Carnivore, a été plus important pour moi, c’est le premier film que j’ai assumé seul. C’est un vieux film, qui a dix ans, j’en suis très loin aujourd’hui, mais j’ai une grande affection pour lui. Je l’ai fait à un moment où je me cherchais, où j’étais encore en découverte de ce qu’était le cinéma, les plans étaient très contemplatifs, avec une caméra sur pied, parfois avec des grues, des plans complexes qui traversent des fenêtres, des personnages en errance. Aujourd’hui, j’utilise une caméra portée proche de l’acteur, ma principale préoccupation c’est la relation avec mes acteurs et ma caméra, ce qui était pas du tout le cas y a dix ans.
Alors que tu étais en plein dans l’écriture de ton long-métrage, tu as réalisé deux courts-métrages coup sur coup l’année dernière, dont Beautiful Loser, sélectionné à Clermont-Ferrand. Devrait-on y voir un besoin de plateau ?
Quand j’ai commencé à faire mes premières expériences, j’étais dans l’urgence, mon envie de plateau était très forte, mais c’était un très mauvais sentiment, j’ai appris à m’apaiser. Aujourd’hui, je pense qu’il ne faut pas aller en tournage si on n’est pas certain de ce dont on veut parler, de tenir une armature très claire sur l’histoire qu’on veut filmer. Le plateau, on ressent le moment quand on est prêt, c’est une évidence, c’est une nécessité quand ça arrive. J’ai tourné deux courts et le tournage du long est imminent, mais j’ai passé les 6 dernières années à écrire. C’est tout un temps de réflexion qui est arrivé à maturation et qui m’a permis d’être plus solide. Beautiful Loser, c’est un brouillon du long. Sur une impulsion très rapide, on a fait des essais pour le long qui se sont transformés en court.
Beautiful Loser est fortement inspiré de la vie de ton comédien principal et co-auteur, François Creton [NDLR : il a remporté grâce au film le prix Adami d’interprétation masculine à Clermont]. Comment êtes-vous parvenu à conjuguer fiction et réalité ?
Inventer une histoire de toute pièce ce n’est pas tout à fait mon style. Adapter un livre, une BD, ça peut être en réflexion, mais moi je suis plutôt attaché à ce que des gens ont envie de me raconter. Il y a quelque chose de quasi-documentaire dans mon approche avec mon co-auteur où j’essaie de triturer ses sentiments, d’en tirer les traits pour transformer la réalité en fiction. Quand j’ai connu François, qui était alors mon beau-père, il était encore sous méthadone, un traitement contre les opiacés, et il m’a profondément touché. On est devenus très proches, et on a eu envie de co-écrire ce long-métrage qui a la même intrigue principale que Beautiful Loser plus d’autres sous-intrigues, comme la relation avec un père très violent en train de mourir. Pour le personnage de Michel, on s’est par exemple inspiré de la façon de parler de François à l’époque, ce verlan daté et typé 93, Montreuil, Croix de Chavaux, qui donne l’impression d’un personnage bloqué dans les années 80, touchant, mais qu’on a envie de voir grandir. Mon deuxième court-métrage Sole Mio tourné en novembre est aussi inspiré de l’histoire d’un ami à moi dont le père, chauffagiste, est devenu transgenre et demande à son fils de taire sa transition à sa mère.
Peut-on en déduire que ton approche du scénario est plutôt spontanée et informelle que vraiment écrite ?
Àl’école, on ne m’a pas vraiment appris l’écriture, qui m’a toujours paru être un artisanat fascinant mais extrêmement complexe. Je me considérais comme un très mauvais scénariste quand j’ai commencé, voire une personne incapable d’écrire une histoire. Je ne savais pas écrire un dialogue, créer une dramaturgie avec des personnages tiraillés par quelque chose de fort et qui vont rencontrer d’autres personnages qui seront parfois des obstacles parfois des partenaires. Et puis je me suis rendu compte que ça s’apprenait avec le temps, un temps considérable sur lequel il ne faut pas lésiner et que j’ai passé avec ma prod, en résidence d’écriture, à l’atelier Grand Nord au Canada. Grâce à l’aide à la réécriture, j’ai aussi pu rencontrer des conseillers à la réécriture, et tout un monde de l’écriture que j’aurais pu dénigrer alors qu’en vérité c’est le socle le plus important pour faire un film. J’ai aussi lu tous les livres de références, Story, L’Anatomie du scénario… j’ai dépouillé les scénarios de réalisateurs que j’admire comme Claude Sautet, Ken Loach, James Gray. Mais l’écriture s’apprend aussi en travaillant sur soi, sur ce qu’on a envie de dire, ce qui nous émeut, et si tu pars d’une nécessité, de quelque chose d’original, et que tu restes humain et sincère, la technique te sert à avancer. Je serais incapable d’écrire une histoire sans ça.
Es- ce que tu tu penses que cette technique est aussi importante quand tu écris avec des comédiens qui vont jouer leur propre rôle ?
C’est vrai que j’ai la grande chance d’écrire pour des gens qui ont travaillé leur rôle pendant 30 ans, qui ont l’histoire en eux. Pour eux, le vrai travail c’est d’arriver à avoir la distance nécessaire. Mais pour les autres comédiens, je me suis rendu compte qu’une immense partie de leur travail c’est de comprendre le scénario, l’histoire, les personnages, les enjeux. Quand l’acteur vit dans l’histoire, que l’histoire est ancrée en lui en amont, il extraordinaire sur le plateau. D’où mon envie d’aller vers l’actorat. Dans le peu de films que j’ai pu faire, je travaille mon rôle comme un scénariste avec un travail de fond, de recherche. Depuis longtemps, je suis très jaloux des comédiens, et je cadre aussi pour être au plus près des acteurs, ça me donne sentiment de jouer. Ce n’est pas encore totalement assumé, j’ai fait quelques courts métrages, mais ce n’est que le début. J’ai une marge de progression énorme et ça m’excite beaucoup. Pour l’instant, on me prend beaucoup pour ce que je suis dans la vie, certaines personnes qui ont trouvé intéressant de me mettre devant une caméra. Mais je n’ai pas encore les outils, la technique, et j’ai toujours des peurs et des appréhensions. Ma femme est comédienne, j’aimerais jouer avec elle, et on commence à évoquer des choses, mais est-ce que je pourrai à la fois jouer et cadrer ?
Propos recueillis par Yohan Levy