Pour fêter le 20ème anniversaire de Festen, Doriane Films a sorti le 6 septembre dernier, une nouvelle édition DVD contenant le film, deux courts-métrages de Thomas Vinterberg, ainsi que Free Dogme, un documentaire de Roger Narbonne et Marie Berthélius, abordant les principes du Dogme95.
Pour rappel, Festen fut projeté pour la première fois au Festival de Cannes en 1998 et repartit avec le Prix du Jury (ex aequo avec La Classe de Neige de Claude Miller). Le film est la première œuvre manifeste du Dogme95 avec Les Idiots de Lars Von Trier.
Daté et proclamé en mars 1995 par les deux réalisateurs danois, ce dogme impose aux réalisateurs désireux de s’y plier, dix règles de fabrication très strictes. Selon le dogme, c’est en se forçant à éliminer tout élément superficiel pendant leurs tournages que les cinéastes retrouveront la forme de cinéma la plus pure possible. Interdiction donc d’utiliser des lumières artificielles, du maquillage, de la musique extradiégétique… Le but du Dogme95 est simple : contrer les grosses productions formatées et bourrées d’effets spéciaux, pour projeter sur les écrans une création libre et engagée.
Alors que le Dogme95 l’exigeait, Festen n’a pas pu être tourné en 35mm à cause de soucis de production. Avec son chef opérateur Anthony Dod Mantle, Thomas Vinterberg décide par conséquent d’explorer les balbutiements du numérique, en se tournant vers les caméras DV bon marché. L’image de Festen est aussi réaliste que plate, loin de ce que l’on a l’habitude de voir jusqu’alors. L’effet de proximité devient saisissant : on a l’impression de regarder un film de famille filmé par l’un de ses membres. La mise en scène est alors en totale adéquation avec son sujet…
Car Festen retrace l’anniversaire d’un patriarche de famille bourgeoise qui, devant une assemblée réunie en son honneur, va être accusé d’agression sexuelle par son fils aîné. À sujet choc, traitement cru : la caméra DV tenue au poing est au plus près des personnages et le ressenti est frontal. L’image est sans cesse en mouvement et les angles de prises de vues sont multiples et omniscients. Le tout donne vite le tournis mais crée une nouvelle dramaturgie au sein même de l’image.
Comme Vinterberg fuit tout esthétisme, le film dérange par son rendu sale et improvisé. Le montage décomplexé – entre jump cuts et faux raccords – amplifie la dimension étouffante et impudique de l’événement familial, et le huis clos devient violemment ludique ! En fustigeant la figure du patriarche et de la bourgeoisie, Thomas Vinterberg s’attaque métaphoriquement à la réception lénifiante et confortable des grosses productions balisées, celles-là même qui affadissent notre œil critique de spectateur et notre pensée.
Mais habitué à une certaine grammaire de la mise en scène, le spectateur est malmené jusqu’à l’indigestion. Par ce choix revendiqué de détruire les codes esthétiques, Thomas Vinterberg nous projette au cœur d’une destruction familiale plus vraie que nature. L’expérience est viscérale tant le dispositif technique rend physique et réaliste les scènes de joutes verbales et de bagarres. On ressent la même tension que devant un film d’action à la postproduction luxueuse, sauf que dans Festen tout repose sur la captation de l’instant T entre performance et improvisation.
En explorant les bonus du DVD, deux court-métrages de Thomas Vinterberg nous éclairent sur les obsessions du cinéaste. Un dernier tour, premier court-métrage professionnel tourné en 1993, suit les dernières heures d’un jeune homme condamné à mourir.
Le garçon qui marchait à reculons, deuxième et dernier court-métrage professionnel, sorti en 1994, retrace le parcours du jeune Andreas qui est persuadé de pouvoir faire revenir à la vie son grand frère décédé s’il passe toute une journée à reculons.
Malgré des sujets lourds, le réalisateur danois s’amuse à rendre ces histoires excentriques et imprévisibles. Le spectateur ne sait plus s’il doit ressentir de la joie ou de la tristesse pour ces protagonistes qui basculent peu à peu dans la folie, seul refuge exutoire contre la dépression et la mort. On retrouve alors les thématiques fortes du réalisateur (le deuil, la fraternité, l’imaginaire) travaillées toujours de façon ludique via des projections subconscientes.
On retrouve ce même goût pour le jeu dans Festen, que ce soit dès le scénario (quand Christian demande à son père de choisir entre le discours vert ou le discours jaune), ou lors du tournage. Vinterberg raconte s’être amusé à tourner la scène du fameux discours deux semaines après le début du tournage ; ainsi les figurants incarnant le reste de la famille, et qui ne connaissaient pas le script, furent choqués en découvrant en direct le contenu du discours. Ce malaise spontané capté par les caméras DV se ressent dans le film fini, estompant d’autant plus la frontière entre le réel et la fiction.
Sur un DVD à part, le documentaire Free Dogme, tourné en 2000, vient parfaire l’exploration du Dogme95 via une conversation téléphonique émise simultanément entre Lars Von Trier, Wim Wenders, Jean-Marc Barr et Lone Scherfig. Pendant 60 minutes, durée d’une cassette DV, chaque cinéaste se filme pendant qu’il participe à la conversation. Le film final, monté en images alternées et en temps réel, réunit géographiquement les cinéastes autour d’une réflexion précieuse sur la nécessité de ne jamais cesser de repenser le cinéma.
Comme vous l’aurez compris, cette édition DVD très complète est l’argument parfait pour revoir l’un des films cultes des années 90. Même si nos yeux ont vu défiler des milliers d’heures d’images numériques en 20 ans, Festen est resté ce petit bijou d’impertinence et de modernité qui marqua éternellement nos souvenirs de cinéphile.
Pour ceux qui aimeraient le (re)découvrir sur grand écran, sachez que le film est ressorti en salles ce 14 novembre. Pour les plus curieux, une adaptation théâtrale signée Cyril Teste tourne dans toute la France depuis un an. De quoi relativiser sur sa propre famille à quelques semaines des fêtes de fin d’année…
Pierre Le Gall
Festen de Thomas Vinterberg : édition DVD Doriane Films