Il a plus d’une corde à son arc. Trublion des plateaux de Canal +, tour-à-tour scénariste, écrivain, acteur, il est à lui tout seul l’élégance discrète et la nonchalance joviale. Vous avez deviné, c’est bien évidemment de Jackie Berroyer dont il est question. Entre deux projections de l’excellent Étrange Festival où il présentait une carte blanche en septembre, il a joyeusement accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. À moins que ce ne soit le contraire. Ce qui est sûr c’est que l’on serait bien resté la journée à lui parler de cinéma et de bien d’autres choses…
Ndlr : Jackie Berroyer sort tout juste du film La Vengeance est à moi de Shōhei Imamura et est encore habité par le film ainsi que par les autres séances récentes auxquelles il a assisté, il entame la discussion sans même que l’on ait besoin de poser de question.
Jackie Berroyer : Je trouve qu’il y a un grand vide aujourd’hui dans beaucoup de films affiliés au genre fantastique. Il y a des “poignards dans les yeux”, des gens qui marchent en tapinois dans l’ombre, il y a tout ce que l’on veut. La forme est parfois d’ailleurs assez bonne, mais cela ne raconte pas grand chose, et là c’est sidérant.
Parlons un peu de votre carte blanche, cette année, à l’Étrange Festival.
J.B. : J’ai accepté cette carte blanche, mais avec l’envie de prendre des risques sur certains films car je ne me souvenais pas forcément d’eux. J’avais surtout gardé une forte impression à la première vision. Par exemple, Exotica (Atom Egoyan, 1994), je ne l’avais pas revu depuis sa sortie. Quelqu’un de l’équipe du festival m’a dit : « Jetez-y quand même un coup d’œil, ça a pris un petit coup de vieux ». Esthétiquement, le film est peut-être ancré dans les années 90, mais le reste, le fond, l’ambiance, est bien là. On sait bien qu’au cinéma, c’est ringard vingt ans après, fantastique quarante ans plus tard. Parfois, effectivement, il y a des ratages esthétiques, un peu comme dans la musique, l’abus du vocoder (ou auto-tune) par exemple ; je ne suis pas sûr que l’on dise que ce sera extraordinaire dans cinquante ans. L’abus des gadgets, des dernières nouveautés technologiques, cela a tendance à mettre un coup de vieux aux films. Il y a aussi le cas des œuvres qui deviennent ringardes pour une génération particulière alors que pour les autres générations (avant ou après), ce n’est pas du tout le cas.
L’idée était donc de profiter de cette carte blanche pour revoir les films pour lesquels vous aviez eu un coup de cœur.
J.B. : J’ai joué là-dessus effectivement, ce n’est pas vraiment un pari que j’ai fait, plutôt une paresse (rires) ! Je me suis dit que le public du festival en savait au fond beaucoup plus que moi sur le genre. J’ai proposé un film, on m’a dit qu’il était passé l’année dernière, pour un autre, que c’était trop connu. Puis, je me suis rappelé deux films que j’avais vus à l’époque et qui m’avaient beaucoup frappé : Exotica et La Vengeance est à moi (Shōhei Imamura, 1979). Et pour compléter, je me suis dit que ce serait l’occasion de caser et de revoir des films chers auxquels j’ai participé, ceux de Jean-François Stévenin et Patrick Bouchitey. Et pour la dernière séance, j’ai réfléchi à quelque chose de proche de moi, avec des courts métrages, des formes courtes inédites. Je possédais des trucs divers dans de vieilles cassettes, des tentatives de sketches à moitié finis. J’ai eu envie de les numériser, sinon cela serait allé à la poubelle. Puis, j’ai eu l’idée de traiter toute cette matière sous la forme d’un faux documentaire, un mash-up d’images. J’ai appelé ça Tais-toi !, c’est une sorte de galop d’essai que j’améliorerai plus tard pour le proposer dans un circuit de courts métrages.
Quels sont les autres courts métrages présentés ?
J.B. : Il y a Mission Socrate (2009) et Clonk (2010). Et aussi deux chansons du Professeur Choron à l’Olympia, avec moi-même dans l’orchestre (rires). Edouard Baer m’avait conseillé à l’époque : « Tu devrais aller voir les mecs qui font le Cabaret de Philosophie ». J’y suis allé, ils occupaient un centre culturel du côté de Quai de Jemmapes ou pas loin, dans lequel ils jouaient à même l’entrée ou dans l’escalier. Et c’était quelque chose d’assez fou, drôle, intelligemment marrant. Ils étaient issus du circuit de la rbue et on ne les voyait jamais dans les médias. Et pourtant, on avait envie qu’il reste une trace de tout cela. Je me suis dit qu’il fallait qu’on les filme. Cela s’est recoupé avec le fait qu’ils avaient commencé à faire des petites choses sur internet avec Bertrand (ndlr : Lenclos, réalisateur de Clonk et co-réalisateur avec Jackie Berroyer de Mission Socrate).
On a tourné ces films vraiment vite fait, en trois à quatre jours. Il se trouvait qu’à un peu plus de cinquante bornes de Toulouse, un bled appelé Graulhet, réputé auparavant pour ses mégisseries (ndlr : tannages des peaux de bêtes) pouvait accueillir les tournages. Le secteur industriel s’étant effondré, l’endroit, devenu déshérité, contenait beaucoup de friches abandonnées et les artistes issus de la rue les ont investies. Ils pouvaient facilement répéter des spectacles et ranger leur matériel. Bertrand habite là-bas et connaissait du monde pour donner un coup de main sur le tournage. On a fait les deux films comme cela. Un peu vite, avec des scènes que l’on n’a pas pu tourner à cause de problèmes d’argent ou de lumière. Mais dans l’ensemble, malgré les défauts, il reste quelque chose, un esprit.
Il y a un ton enlevé que l’on retrouve aussi dans vos différents films (comme scénariste, réalisateur ou acteur), on sent une patte, un esprit. Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait être le trait d’union entre tous vos projets ?
J.B. : C’est une complicité, comme il y en a eu avec Hara Kiri ou avec Les Nuls. Sauf qu’il n’y avait pas l’argent qui puisse permettre de travailler de façon plus confortable. Mais c’était déjà pas mal. J’ai regretté un peu que Mission Socrate (ndlr : pour ceux qui ne connaissent pas le film, il raconte l’histoire de trois hommes qui, lors d’une rencontre fortuite au hammam, décident de remonter le temps afin de détourner Socrate de la pratique de la philosophie – qui leur semble être à la source de la décadence croissante et inéluctable de notre société) ne prenne pas plus d’envergure. Je connais le destin des courts et des moyens métrages… Il suffit d’arriver à ce que le film fasse 3/4h ou une heure de plus et après, le film existe dans le circuit des festivals, il peut être programmé à la télévision, on y prête plus d’attention, il peut même devenir culte.
Mais ça c’est arrêté là… Puis chacun est reparti faire ses trucs dans son coin. Les trois acteurs du film ont un projet de long métrage, à leur façon, dans le même esprit. De mon côté, je dois jouer aussi dans un film. Vous vous rappelez de La Chanson du Dimanche ? Alex, l’un des deux barbus de La Chanson du Dimanche, celui avec les cheveux longs, est devenu réalisateur. Il a réalisé des longs métrages, plutôt des comédies, dont l’une dans laquelle je joue avec le fils Bedos (ndlr : Amour & turbulences d’Alexandre Castagnetti, 2013). Il a une nouvelle comédie qu’il devrait tourner en octobre et il m’a proposé un rôle. Il m’a dit qu’il tournerait avec les trois compères du Cabaret de Philosophie. Il va donc tourner avec eux le long métrage que l’on aurait pu faire ensemble, il y a quelques années, au moment de Mission Socrate…
Comment choisissez-vous vos projets ? Est-ce que ce sont des coups de cœur ? Est-ce que vous aimez suivre des réalisateurs, comme par exemple Fabrice du Welz ?
J.B. : Ce sont avant tout des hasards. Pour Fabrice du Welz, c’est parce que je travaillais encore à Canal +, et son producteur aussi. À l’époque, ils préparaient ensemble un court métrage (ndlr : Quand on est amoureux, c’est merveilleux, 1999). Il y avait un acteur qui était tombé en panne en Tunisie et il ne pouvait plus venir sur le plateau. Le producteur a pensé à moi et a dit à Fabrice : « Demande à Berroyer ». J’étais en charge d’un gosse et ce n’était pas du tout le bon moment. Ils ont un peu insisté et j’ai fini par dire oui. J’ai embarqué le gosse qui est d’ailleurs revenu très content parce que du Welz lui avait filé un robot géant ! J’ai donc participé à ce court métrage que l’on trouve en bonus sur le DVD du film Calvaire. À la fin du tournage, du Welz m’a dit : « C’était cool. Quand j’aurai la chance de faire mon long, je penserai à toi ». Et il l’a vraiment fait, contrairement à la plupart qui oublient.
C’était assez drôle parce que quand le long métrage (Calvaire) se préparait, il m’a donné le scénario et m’a dit : « Tiens, il reste des rôles, s’il y a quelque chose qui t’intéresse… », sans me dire forcément lequel. J’ai mis le doigt sur le personnage de Bartel et il m’a dit : « C’est embêtant parce que ce rôle-là est prévu pour Philippe Nahon ». Puis il a réfléchi et m’a fait faire des essais avec Laurent Lucas. Et il s’est rendu compte d’un truc : avec Nahon, dès qu’il ouvre la porte, on sait sur son visage que ça va barder. Il a repéré sans doute chez moi comme une fragilité et l’a utilisé pour le film. Cela faisait gagner un peu de temps avant de filer une angoisse au spectateur.
Ce sont souvent des hasards qui m’amènent sur des projets. Il n’y a pas longtemps, j’ai joué sur un court métrage pour Claude Le Pape qui est principalement scénariste (ndlr : notamment de Petit Paysan, Cesar du meilleur acteur pour Swann Arlaud et Cesar du meilleur premier film). Son court métrage est pas mal, ça s’appelle Cajou. Je joue dedans un vieux qui perd un peu les pédales. Comme elle était contente et qu’elle écrit pour le réalisateur Thomas Lilti dont le film Hippocrate vient d’être décliné en série sur Canal +, elle a suggéré ma collaboration dans la série. Grâce à ça, j’ai joué un médecin en retraite qui vient donner un coup de main à l’équipe de jeunes qui a des problèmes et qui manque de personnel. Thomas Lilti m’a dit : « J’aime bien ton personnage, je l’aurai bien fait revenir dans la deuxième saison, mais il n’y a pas vraiment de raison, l’équipe s’est reconstituée, il n’ont plus vraiment besoin d’aide… ». Une fois chez moi, je lui envoie un mot et je lui dis que mon personnage pourrait revenir mais en tant que patient. Cela l’a intéressé, il m’a dit qu’il y penserait au moment de l’écriture. Je me suis peut-être trouvé du travail pour dans quelques mois… (rires) !
Vous êtes aussi scénariste, pourriez-vous nous parler de cet autre métier qui est aussi le vôtre ?
J.B. : C’est-à-dire que, d’une certaine façon, je suis un peu touche-à-tout et quand on ne m’appelle pas, je ne m’angoisse pas comme le comédien qui ne fait que ça… Mais franchement, je n’aime pas le dire parce qu’après on va dire que je suis amer… Je trouve que l’on ne m’appelle pas beaucoup, on m’utilise très peu en général. En tant que scénariste, presque pas. C’est comme ça, on se fait oublier. Je suis quelqu’un de très replié, retiré. Je ne vais pas faire du charme chez les uns et les autres. De temps en temps, à l’occasion d’une intervention quelque part, les journalistes écrivent à mon sujet « un acteur trop rare ». On dirait que les réalisateurs tiennent à ce que je garde ce statut honorable. C’est peut-être une conspiration pour me préserver du mal que l’on peut dire des gens quand ils se mettent à avoir du succès (rires).
Je ne suis ni frustré ni insatisfait, mais je reste attentif et tout à fait disposé à jouer ou à écrire des choses. Je me dis parfois que j’aimerais bien jouer un bonhomme qui ne soit pas un vieux pittoresque qui perd les pédales. J’inspire cela, alors que je pourrais très bien jouer un directeur de banque avec une certaine mentalité. Pas forcément le grand-père dans une version attendue. Simplement, un homme qui a cet âge-là… J’ai fait un jour une plaisanterie à ce propos et je m’en suis ensuite inquiété. Je racontais un peu la même chose à un journaliste et il m’a demandé : « Qu’est-ce que vous aimeriez jouer ? ». J’ai répondu : « J’aimerais jouer un personnage qui serait un homme très intelligent mais on donne toujours ça à des types qui sont obligés de composer… » J’ai vu que ça ne l’a pas fait rire du tout alors je me suis dit : « Merde, il va croire que je suis prétentieux… » (rires) ! C’est l’heure ?
Ndlr : On nous fait signe que l’interview est finie, Jackie Berroyer repart vers une autre salle obscure, non sans nous avoir salués chaleureusement avant… Il ne voulait pas rater Mandy le nouveau film attendu de Panos Cosmatos, avec Nicolas Cage.
Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès
Remerciements à Estelle Lacaud, Antoine Herren et toute l’équipe de l’Étrange Festival