Après vous avoir proposé comme film de la semaine « The Mad Half Hour » du réalisateur argentin Leonardo Brzezicki, sélectionné il y a deux ans à la Berlinale et lauréat de notre Prix Format Court au Festival IndieLisboa, nous avons demandé à Maike Mia Höhne, la responsable des courts de la Berlinale de nous soumettre son film de la semaine. Le voici.
Better than friends de Tuan Nguyen, Documentaire, 18′, Vietnam, 2003
Synopsis : « Better than friends » est un portrait intime et intime de l’histoire deThoa et de Lam, leur famille et l’entreprise spéciale dont ils ont hérité. Au milieu de l’agitation d’une ville comme Ho Chi Minh (Vietnam), cette jeune équipe de mari & femme exploite une modeste entreprise familiale : une boucherie de chiens. Thoa et Lam sont des vendeurs de viande de chien qui travaillent assidûment de leur cuisine aux allées ouvertes par la porte arrière de leur maison, préparant et distribuant de la viande de chien pour assurer les exigences quotidiennes des restaurants locaux. Mais l’affaire est plus compliquée que ce que vous pourriez penser. En fusionnant le dialogue candide du couple avec des scènes de leurs routines quotidiennes, le film crée un portrait honnête du mariage entrelacé avec l’histoire, la politique, l’humour et l’espoir pour nous emmener au-delà des préjugés créés par les différences culturelles.
Vietnam dans les années 2000. « Better than friends » est raconté par le biais d’une dualité : amour et vie. Famille et affaires. Tout ensemble. In and out.
Un couple au début de la trentaine parle de sa vie, qui pourrait être celle de beaucoup de gens, mais qui ne l’est pas. La simplicité de cette dualité est le cadre du film. Au sein de cette simplicité, la tragédie de la vie n’est pas cachée mais bien manifeste. Un jeune homme et une jeune femme sont assis sur un canapé devant un mur blanc. Aucune image ne s’y trouve. Il fait chaud, elle a une robe d’été. Ils sont assis près l’un de l’autre. Le canapé est fonctionnel mais pas extraordinaire. L’on devine que le couple n’est pas pauvre, mais pas très riche non plus. Mais au-delà des questions d’argent, ils ont l’air heureux. Le rêve de Hollywood au Vietnam du Sud.
Il raconte leur première rencontre. Il suffit de quelques mots pour comprendre qu’il s’agissait d’un coup de foudre. Elle raconte à son tour le moment de leur rencontre et ils se mettent d’accord sur ce moment.
Depuis, ils sont ensemble, cela fait au moins 10 ans. Ils rient, ils sont heureux. La chaleur et l’amour entre eux se transmettent dans l’image. « Dix ans, ce n’est pas rien, c’est une longue période ».
On voit un chien dans une cage bricolée, le couple en train de cuisiner, un homme en train de causer affaires. Quelqu’un lui explique qu’il sait bien ce qu’il fait. Qu’il travaille pour cette entreprise depuis longtemps. Il sait s’y prendre. Elle comprend, tout ce qu’elle veut c’est qu’il réussisse. Elle est assez directe. Elle sait bien ce qu’elle veut, ce qu’il lui faut.
La structure du film révèle à chaque instant de plus en plus la vie personnelle et professionnelle du couple. Ils n’ont pas peur. Ni lui ni elle.
Il est important de comprendre cela. L’on le comprend même avant qu’ils ne le disent. On le comprend par leur démarche, leurs gestuelles, leur façon de parler. Leur métier n’est pas facile.
Ils vendent de la viande de chien. La viande de chien est un mets au Vietnam du Sud.
C’est un travail physique dans tous les sens du terme. On voit ce que ça implique de cuire un chien, plusieurs chiens. C’est un travail cru et physique, dans la rue. Sans rideaux, juste un grand Bec Bunsen pour brûler les chiens. Les mauvais jours, ils s’occupent de plus de chiens que quand il fait beau. Les mauvais jours, ils s’occupent d’environ 30 chiens.
Le film alterne entre les plans de travail et le couple qui raconte ce qu’ils font, comment cela fonctionne. Plus ils approfondissent les aspects liés à la vente et à la distribution, les conditions de travail (presque 365 jours par an avec seulement quelques jours de congé avant la fin de l’année), plus la situation initiale nous paraît grande. Ils sont reliés par un amour fort. Et ils ont besoin de s’aimer car sinon ils ne supporteraient pas la situation. Le travail est très dur, très dangereux, avec des gens qui travaillent dans les champs à cause des morsures de chiens. Mais ils font ce travail malgré tout cela, car, même s’il y a beaucoup de concurrence venant notamment des immigrés issus du nord du pays, même si ce n’est pas facile, c’est un moyen de gagner de l’argent. L’argent nécessaire pour la survie. Pour gagner sa vie. Et ils en vivent bien, parce que les gens aiment manger des chiens. Ils ne l’avouent pas ouvertement, mais ils le font activement. C’est de la viande abordable destinée principalement aux ouvriers, dit-on. Lorsqu’il pleut, plus d’ouvriers viennent manger, car ils ne peuvent plus travailler sur les chantiers. Donc c’est mieux pour le couple, d’un côté. De l’autre côté, il est impossible pour lui de faire un autre métier. Parfois, il fait aussi chauffeur de taxi. Mais quand il pleut, il ne peut pas conduire, à cause de la grande demande pour des chiens… parce que parce que parce que…
Leur principale source de revenu, c’est les chiens, donc même s’ils voulaient faire autre chose, ce serait très difficile d’y arriver. Cercle vicieux.
Les gens du Vietnam du Sud ne les approchent pas, quand ils réalisent ce qu’ils font. Elle dit : « Dans ce métier, nous ne pouvons pas imprimer de cartes de visite ». Et révèle ainsi le nœud du problème : c’est un commerce parce qu’il y a une demande. S’il n’y avait pas de demande, il n’y aurait pas de commerce.
La zone grise de la dualité – ce dont ils ont besoin et ce dont ils ont envie (un changement) – est représentée par les petits gestes du couple lorsqu’il s’adressent à la caméra et à l’artiste lui-même. « Better than friends » combine et reflète dans sa simplicité la complexité de vivre au Vietnam aujourd’hui. Et le Vietnam représente à son tour d’autres pays, d’autres vies. Et puis il y a le pouvoir de ce couple qui résiste à cette vie. Si le gouvernement levait un impôt sur ce travail, il y aurait moins de gens dans ce métier. Et pourtant, le gouvernement ne le fait pas.
Maike Mia Höhne