Sacha Feiner. Le fantastique entre fiction et animation

Sacha Feiner, le réalisateur belge récompensé au festival Le Court en dit long du Prix Format Court pour son dernier court-métrage d’animation « Dernière porte au sud », plonge dans son film le spectateur dans un univers fantastique d’après le point de vue d’un enfant et de sa tête siamoise. La précision des détails, du décor, la volonté de retranscrire et d’adapter la bande dessinée de Philippe Foerster, met en avant la sensibilité du réalisateur pour ses personnages, une sensibilité que l’on retrouve dans ses deux précédents films : « Gremlins fan film », et « Un monde meilleur ».

C’est en 2008 avec « Gremlins fan film » que le cinéaste se fait connaître du public, en réalisant un court-métrage parodiant les célèbres créatures des années 80. Il les incruste dans différents films qui ont marqué son enfance comme « Batman » ou « L’Exorciste ».

Ce premier court-métrage amateur, réalisé notamment avec l’aide de ses parents, suscita une importante réaction auprès de la communauté cinéphile, notamment de Rick Baker, le créateur des Gremlins. La technique de réalisation utilisé par le réalisateur impressionna les cinéphile du monde entier : Sacha Feiner créa un moule correspondant le plus possible à la marionnette originale, qu’il préféra à l’image de synthèse, et joua avec les éléments des films choisis. La difficulté fut présente au tournage lorsqu’il s’agit d’interagir avec des éléments précis des films, par exemple lors de l’incrustation dans le « Batman ». Le réalisateur décida d’intégrer les Gremlins dans le film au moment d’une course poursuite au bord de la batmobile. Il effaça la présence du méchant qui attaquait Batman, pour le remplacer par une dizaine de Gremlins. Les créatures donnèrent alors un aspect comique aux scènes choisies, car on ne s’attendait pas à les voir surgir du film.

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En 2013, Sacha Feiner réalisa un deuxième court-métrage de fiction dans un cadre plus professionnel : « Un monde meilleur », une fresque fantastique dans un monde où la surveillance est omniprésente et le sourire est prohibé. Lorsque le régime totalitaire s’effondre, le personnage principal Henry, obéissant et dépendant de toutes ces règles, est le seul qui n’arrive pas à s’adapter à cette nouvelle vie. Lors de la mise en place du nouveau gouvernement, il est perdu car on ne lui dicte plus ce qu’il doit faire et il continue pour autant à aller travailler alors que les bureaux ont été abandonnés.

Avec ce deuxième court-métrage, Sacha Feiner garde le désir de plonger le spectateur dans un univers fantastique. Il construit un personnage antipathique, car il est en accord avec le régime totalitaire, mais qui touche le spectateur par sa solitude et sa volonté de retrouver ses repères. Le personnage principale est émouvant, car il a été abusé par un régime qui l’a programmé pour accomplir une tâche : dénoncer ceux qui transgressent les règles. « Un monde meilleur » s’interroge sur différents sujets contemporains comme la place de l’homme dans la société ou encore le rôle de la famille dans la réussite sociale. Chaque détail de la mise en scène permet ce questionnement comme par exemple le décor de l’appartement d’Henry, mélange entre « 2001, l’Odyssée de l’espace » et « Le Cinquième élément » où chaque élément a été conçu par utilité. L’espace est conçu pour une seule personne, l’homme vit seul et les rêves sont enregistrés. Tout est contrôlé et minuté, ce qui renforce cette atmosphère mécanique et oppressante.

« Dernière porte au sud », le dernier court-métrage d’animation fantastique de Sacha Feiner, livre au spectateur un personnage beaucoup plus sombre, notamment par son jeune âge et la présence de cette deuxième tête sur son corps. L’atmosphère est plus pesante dans ce court-métrage par l’utilisation du noir et blanc, mais aussi par la voix-off de l’enfant qui plane au dessus de l’action. Cette interprétation naïve du monde peut se référer au deuxième court-métrage du réalisateur, « Un monde meilleur », où le monde est réduit à certains endroits spécifiques, comme les bureaux de dénonciation.

Sacha Feiner nous livre, à travers ses trois court-métrages fantastiques, une interprétation de son monde cinématographique, proposant des personnages enfermés dans leur univers (comme le régime totalitaire pour Henry ou le personnage de la mère dans « Dernière porte au sud ») et qui arrivent à découvrir un autre monde en y échappant. À la découverte de ce nouvel univers, ils réapprennent à vivre, difficilement pour Henry qui fuit ses nouvelles sensations, comme la liberté d’expression ou tout simplement la possibilité de choisir, et naïvement dans « Dernière porte au sud » où l’enfant découvre la réalité de son monde. Cela fait écho au spectateur et à toutes les premières fois où l’on découvre une nouvelle sensation. Sacha Feiner arrive à faire revivre cet état en chacun de nous, ce qui en rend ses courts-métrages d’autant plus passionnants.

Lila Toupart

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