« Faits et dits de Nasreddin II », le court-métrage de Pierre-Marie Goulet, en sélection au Festival du Film Court de Brest 2016, met en scène Nasreddin, un personnage mythique de la culture musulmane qui représente l’ingénuité, prodiguant à ceux qui l’écoutent des enseignements aussi absurdes que rationnels. Ce personnage déconcerte ses interlocuteurs, qui restent pantois, face à sa manière personnelle de voir le monde, bien différente de la leur. Il explique par exemple, contre la logique qui voudrait que ce soit moins cher et meilleur de fabriquer soi-même sa halva, pourquoi lui, l’achète tout fait : il n’a tout simplement jamais eu chez lui tous les ingrédients réunis au même moment ou si ça a pu être une fois le cas, c’est lui-même qui n’était pas là.
Pierre-Marie Goulet vient du documentaire et la sobriété de son traitement cinématographique le prouve. Il agit comme un documentaliste pourrait le faire s’il suivait un personnage réel. Il pose une caméra objective, fixe et filmant principalement en plan large et laisse agir Nasreddin devant elle, ses faits et gestes se suffisant à eux-mêmes. La trame dramatique fonctionne par un montage rythmé de plusieurs scénettes successives, indépendantes les unes des autres, chacune possédant une unité de lieu, de temps et de narration. Elles mettent en scène plusieurs exemples d’interactions qu’a pu avoir Nasreddin avec ses concitoyens, dans différentes situations : dans la rue avec ses voisins, chez lui avec sa femme, au hammam avec les employés de celui-ci, au souk avec un marchand, …
Luis Rego, acteur confirmé qui interprète Nasreddin, brille de simplicité. Sur son visage ne transparait que la candeur d’un homme qui expose naturellement son point de vue sur les choses et les situations. Son expression n’est pas celle d’un homme fier de se démarquer des autres par sa façon de penser mais celle d’un homme qui accepte sereinement de ne pas avoir la même logique que ses semblables. Il ne se sent ni supérieur ni inférieur, ni même différent. On pourrait presque croire qu’il ne se rend même pas compte qu’il perturbe les gens qui l’écoutent. Son assurance entraîne même parfois certains à accepter de se repositionner et à le suivre dans sa logique. Une jeune fille l’aide par exemple à chercher ses clefs à l’extérieur – où on y voit plus clair -, même si tout deux savent pertinemment que les clefs en question ont été perdues à l’intérieur. Le sens de l’absurde provient du sens commun du spectateur qui est bousculé par les réflexions de Nasreddin et le décalage entre sa quiétude et l’embarras des autres renforce l’aspect comique des situations.
Le film de Pierre-Marie Goulet, sur fond de beaux paysages portugais (l’intégralité du film est tournée à Mértola, petit village du sud du Portugal) et à travers un personnage à la philosophie déconcertante, perturbe le spectateur en remettant en cause, toujours en s’amusant, sa manière de pressentir les choses, les autres et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Au final, pourquoi ne pas simplifier nous aussi nos relations sociales, comme Nasreddin le fait avec une de ses connaissances, en s’évitant les banales politesses précédant toute discussion ? Pourquoi ne pas essayer de transformer par exemple un lac en yaourt… « Et si ça fonctionnait » ?