Il y a trois semaines à Trouville, le festival de courts métrages Off-Courts accueillait des professionnels aux origines diverses. Parmi eux, Serge Abiaad, Directeur général de la Distributrice de films, une société québécoise de distribution de courts et longs métrages indépendants, créée en 2012. Chargée d’accompagner les films et de leur offrir un rayonnement international, la Distributrice fait montre d’une présence récurrente sur les marchés de gros festivals tels que Cannes, Toronto (Le TIFF) et Sundance. Au vu de cette notoriété grandissante, nous avons rencontré son directeur.
Qu’est-ce qui a motivé la création de la Distributrice ? Se cantonne-t-elle aux films québécois ?
On a commencé en 2012, avec l’idée de faire valoir quelques films d’amis et puis, ça a commencé à grandir un peu par soi-même. On a commencé à distribuer davantage de films. La première année, on avait un catalogue de cinq films, une dizaine de films l’année d’après et jusqu’à aujourd’hui, on distribue non seulement des films québéco-canadiens mais aussi des films internationaux. On distribue quelques films français dont un, d’ailleurs, qui est en compétition à Off-Courts : le film de Julien et de Simon Dara « The Ordinary » (Prix du Jury-Région Normandie).
On a commencé vraiment à distribuer des films internationaux lorsqu’on a pris en exclusivité pour notre catalogue un film anglais de Fyzal Boulifa qui avait gagné à Cannes en 2015 dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs, « Rate me ». Depuis, on a aussi distribué des films d’une cinéaste américaine, Jennifer Reeder (« Crystal Lake ») et d’autres films internationaux qui viennent d’Ukraine (« E.W.A » de Gigi Ben Artzi) ou qui sont tournés à Haïti (« Vers les colonies » de Miryam Charles). Lorsque l’on distribue un film, on en est intrinsèquement les représentants à la vente, mais cette année, pour certains films, on agit uniquement à titre de vendeurs.
T’intéresses-tu à un genre en particulier ? En fais-tu le genre privilégié du catalogue de la Distributrice ?
D’un point de vue cinématographique, il n’y a aucun genre qui nous intéresse particulièrement. On distribue des films de fiction expérimentaux sans dialogues aux films documentaires en passant par l’animation. Ce qui nous intéresse d’abord et avant tout, c’est que les films que l’on représente se conforment un peu à ce que l’on pourrait vulgairement appeler notre ligne éditoriale. Qu’est-ce que serait notre ligne éditoriale dans ce sens-là, si on n’arrive pas à cloisonner un film dans un genre particulier ? Ce serait des films qui ont une perspective particulière sur un sujet particulier et proposent un discours marqué de ce sujet. Ce sont des films qui sont majoritairement des films indépendants, c’est-à-dire financés par des petites boîtes qui n’ont pas forcément eu de l’aide au niveau des institutions subventionnaires.
Donc plutôt des films d’auteurs ?
Des films d’auteurs, absolument ! Encore là, le mot auteur est à définir aussi. Parce que si l’on prend la définition de François Truffaut, un film d’auteur, « c’est le film dont le cinéaste est le scénariste », ce qui n’est pas forcément toujours le cas des films que l’on distribue. Je dirais que notre catalogue présente des films qui se rejoignent dans cette idée de singularité, d’exploration du langage cinématographique. Il y a beaucoup de films que l’on distribue qui n’ont pas forcément d’histoire, qui ne racontent pas grand-chose mais ils racontent un point de vue. Je pense que le cinéma qui m’intéresse est un cinéma qui m’engage à me questionner et à dialoguer avec le cinéaste.
Si je comprends bien, tu ne cherches pas nécessairement des films narratifs ?
Exactement !
Est-ce que dans ce sens, tu te refuses à distribuer ces films disons plus « traditionnels » qui donnent la primauté à l’histoire plutôt qu’à la manière de la raconter ?
Je ne m’interdis rien. Je peux tout fait distribuer des films plus « traditionnels ». Roland Barthes, en parlant de Rossellini, disait que « la modernité est l’aplatissement absolu du fond et de la forme ». C’est quand on arrive au degré zéro et qu’à la fois la forme est au service du fond et le fond au service de la forme. Je pense que les films de la Distributrice travaillent sur ces deux créneaux-là. Ce n’est jamais tant le fond qui guide l’histoire ni la forme qui est le moteur de l’histoire ; les deux se rejoignent absolument. C’est cette espèce d’harmonie que les cinéastes finissent par trouver qui m’intéresse.
Quels sont les moyens mis en place pour la diffusion des films de la Distributrice ?
Il y a évidemment les plateformes conventionnelles : le cinéma et surtout les festivals s’il s’agit de couts métrages. La VOD est devenue indispensable pour offrir au film une certaine autonomie financière. Je ne suis pas un grand fan de la VOD, mais il ne faut pas non plus être cynique dans ce milieu-là. C’est souvent le seul moyen pour certaines personnes de voir certains courts métrages. La dernière plateforme de la vie d’un film, c’est la télévision. C’est là où le travail de démarchage commence et c’est pour ça qu’on va dans des festivals pour soutenir les films, pour les voir, mais surtout pour les pousser auprès d’acheteurs.
Penses-tu que ces plateformes aident à une meilleure visibilité du court métrage ? Rendent-elles le film court plus accessible ?
Pour la VOD, je ne pense pas que ce soit une meilleure visibilité, c’en est une parmi tant d’autres. Maintenant je pense qu’on n’a jamais eu autant de films disponibles et qu’on a pourtant si peu cherché à aiguiser notre cinéphilie. Avoir autant de films à notre disposition nous pousse vers ceux les plus faciles à consommer ; la posture même dans laquelle nous sommes quand on regarde un film sur un petit écran n’exige pas d’être très attentif ou de dialoguer avec le film ; en général on est dans son lit, on a envie de quelque chose de paisible, de facile, de simple. Le cinéma n’est plus devenu quelque chose d’évènementiel. Je me prends en exemple, quand je vois des films sur Netflix ou avec des liens de visionnement, en tout cas par internet, j’ai envie que ça soit léger. J’ai envie que ça soit aussi immédiat et consommé que la posture dans laquelle je suis disposé à voir le film. Je pense aussi que le genre de film que l’on fait se conforme à notre manière de consommer les films. Lorsqu’on fait des films pour l’immédiateté, on ne fait plus tant de films pour l’éternité.
Penses-tu que le festival de Trouville participe activement à cet effort d’amélioration de la visibilité des films courts et dans quelles mesures ? Comment définirais-tu le court métrage aujourd’hui ?
Oui, surtout parce qu’il est exclusivement dédié à ce format. Souvent les courts métrages qui sont sélectionnés dans des festivals qui incluent le long se perdent totalement dans cette masse et d’ailleurs ça pose toute la question de ce qu’est le court métrage. On a souvent tendance à dire que le court métrage est un passage vers le long. C’est ce que j’ai déjà vulgairement appelé un bizutage cérémonial pour passer au long ; une manière de faire ses preuves. Je pense que lorsqu’on fait du court métrage, c’est qu’on est foncièrement un cinéaste à la base. On n’en fait pas pour devenir cinéaste. Si on le fait pour le devenir, c’est qu’on ne l’est pas et qu’on ne le sera probablement jamais. Alors bien sûr, on peut prendre l’exemple de la peinture. Au début, on commence avec des esquisses, on est plutôt copiste que peintre et ensuite on développe son style. Mais parvenir à faire ceci implique que l’on soit déjà peintre à la base. Aujourd’hui, je pense que 95% de gens qui font du court métrage ne sont pas cinéastes parce qu’avec la démocratisation des moyens, on peut tous faire des films, c’est facile de faire des images. Maintenant, c’est beaucoup plus difficile de faire valoir une perspective très particulière, de poser un regard singulier.
La Distributrice a-t-elle aussi dans l’idée de mettre en avant les jeunes cinéastes, qui a priori n’auraient pas une expérience professionnelle avérée ?
Oui, effectivement ! Je ne discrimine pas tant au niveau de l’âge, ce qui m’importe c’est le film et pouvoir me faire une idée de la personne qui l’a fait. C’est seulement après que je chercherai à connaître cette personne, l’âge ne constituerait qu’un facteur minime dans la relation que nous pourrions bâtir, à compter de ce moment. Mais je ne suis pas du tout dans une mission de faire valoir le cinéma des jeunes créateurs. Encore une fois, si l’on parle un peu des moyens de faire valoir les films, il y a internet et ces jeunes cinéastes peuvent très bien le faire tout seul. Maintenant, à côté de la Distributrice, je suis enseignant de cinéma à Montréal et j’enseigne des jeunes de 18 19 ans qui sont au Cegep (équivalent première, terminale), et ça m’intéresse énormément d’essayer d’aiguiser, tout en dialoguant avec ces jeunes, leurs regards sur le cinéma. Mais je ne cherche pas forcément à faire l’entremise entre les jeunes et un public plus aguerri. Je pense néanmoins qu’il faille rester attentif à ce qu’ils ont de neuf à proposer.
Propos recueillis par Marie Winnele Veyret
Le site de la Distributrice : www.ladistributrice.ca
Article associé : notre reportage sur le festival Off-Courts