Déjà auteur de trois courts métrages d’animation dont Edmond était un âne et Monsieur Cok, Franck Dion continue sur sa lancée avec un quatrième court métrage : Une tête disparaît. Récompensé du Cristal du court métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2016, Une tête disparaît expose un thème qui se complaît dans son universalité sans manquer d’originalité.
Un poulet sans tête, une tête sans corps. Dans ce court, la tête ne reste jamais en place. Jacqueline, une femme d’un certain âge se prend littéralement la tête, qu’elle porte sous son bras. C’est son anniversaire et comme tous les ans, elle s’en va prendre le train, pour se rendre à la plage. Mais voilà, une grande bécasse ne cesse de la suivre et de l’appeler ‘maman’.
Une perte de repères et une vision altérée du monde qui l’entoure. De fait, la hauteur disproportionnée, les yeux exorbitants et les lèvres serrées, Jacqueline voit sa fille comme une menace à la tranquillité de son voyage. Cette représentation fortement contrastée de ces deux personnages est typique du cinéma de Dion. Une représentation que l’on retrouve dans Edmond était un âne (Prix du Jury à Annecy en 2012) ; par sa petite taille et son bonnet d’âne, Edmond est un marginal dans une société où la différence se vit comme une tare. Par ailleurs, avec Une tête disparaît, Franck Dion cherche à rendre intelligible le discours d’une femme, souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Jacqueline sait que quelque chose ne va pas très bien avec sa tête. Mais il est important pour elle de prendre ce train seule, comme une grande. Consciente de sa pathologie sans être capable de la surmonter. C’est là, tout le drame de cette femme qui, au reste, ne se bat plus que pour sa dignité. Tant qu’elle peut encore se prendre la tête sous le bras, et sentir qu’elle en possède une, elle espère être traitée en adulte responsable. La complexité de cette maladie nous est, in fine, révélée par un concept simple et efficace.
Franck Dion a su, par ses dessins épurés, presque fantomatiques, saisir ces mouvements de déraison qui rongent Jacqueline et lui font croire à de nouveaux souvenirs, si ce n’est de nouveaux repères. Il a réussi à nous embarquer dans un voyage poétique et fantastique, au cœur de l’intériorité d’un personnage désorienté. À bord de ce train qui paraît très transparent, ce sont les souvenirs de Jacqueline qui semblent s’effacer.
La musique déstructurée et violente composée par Pierre Caillet accompagnée du fabuleux saxophoniste hongrois Akosh rend le film palpitant d’émotions. Cette recherche de la mémoire, cette volonté de se remettre la tête sur les épaules, est immédiatement ravivée à l’écoute du Beau Danube Bleu de Johann Strauss II, qui donne au film une légèreté exquise. Légèreté qui créée chez nous une grande empathie pour Jacqueline. Sur un air de free jazz, le spectateur plonge dans ses souvenirs sans jamais oublier ce mal affreux, au cœur du film : la perte de la mémoire; la perte d’une vie.
Au-delà de l’émotion, Une tête disparaît, frappant de lucidité, met au jour l’ironie d’une maladie désastreuse. Dans sa fulgurance, le genre animé nous prouve, ici, son pouvoir d’évocation de la souffrance mentale, avec pudeur et justesse.