Pour l’édition 2016 du festival Premiers Plans d’Angers , le jury Format Court (composé de Fanny Barrot, Katia Bayer, Agathe Demanneville, Lola L’Hermite, Gary Delépine) a décerné au film britannique « Mr Madila, Or The Colour of Nothing » de Rory Waudby-Tolley le prix du meilleur court métrage d’animation. Une nouvelle récompense pour ce film qui a obtenu cette année le Prix du Public au Festival des British Shorts de Berlin et qui a été sélectionné pour le prix du meilleur film d’animation du Royaume-Uni.
Dans ce film d’animation, réalisé au Royal College of Art, le réalisateur mène l’enquête sur Mr Madila, un guérisseur spirituel dont il possède une carte de visite. A la lecture de celle-ci, on apprend que Mr Madila peut régler les problèmes de magie noire, d’amour vaudou, d’impuissance sexuelle, de transactions financières, d’affaire judiciaire comme d’immigration. Guidé par une curiosité de circonstance, Rory Wauldy-Tolley contacte le guérisseur et obtient un entretien. L’enquête débute comme un reportage télévisuel. Équipé d’une caméra cachée, le réalisateur fixe le rendez-vous et se rend sur place.
Mais puisque Mr Madila ne veut pas être filmé, le film change d’aspect pour devenir un « cartoon », avec un entretien audio enregistré et une rencontre visuelle dessinée et illustrée après coup. Les deux personnages, Rory et Mr Madila, le réalisateur et le protagoniste, l’enquêteur et le sujet d’étude, contrastent fortement. Alors que Rory est petit, courbé, sceptique et demande à comprendre, Mr Madila quant à lui paraît hégémonique, il est plus grand et plus dynamique, il connaît l’ordre du cosmos et impose sa vision. Ce décalage inconciliable des deux personnages inscrit le film dans le genre du Buddy Movie (film autour de héros dont la collaboration est problématique) et nourrit tout l’humour de cette rencontre inopinée.
On ne se trompe pas en soulignant que les visages, celui de Mr Madila rond comme un atome, signe géométrique de la perfection divine, et celui de Rory de forme carré, symbole des quatre éléments et donc signe de l’existence terrestre, parachèvent de distinguer les deux traits d’esprits distincts. Ainsi sous la diction du guérisseur, le visage carré de Rory passe par le losange, le tourbillon, le cube, pour finir évaporé. Se laisser convaincre par la plaidoirie de Mr Madila, c’est avant tout s’y conformer. Mais Rory n’est pas convaincu, et comme une résurrection, l’animateur reprend sa forme initiale, imperméable aux paroles de l’enchanteur.
De façon judicieuse, Waudby-Tolley décide d’intégrer la fabrication du film dans le film lui-même. Au second et dernier rendez-vous avec Mr Madila, le réalisateur lui présente la première partie du film déjà montée pour recueillir ses premières impressions. Là encore, l’opposition des deux tempéraments est manifeste et jubilatoire. Mr Madila, acerbe, ne voit pas l’intérêt du film, il s’y trouve mal représenté, il n’aime ni le dessin ni la voix – qui est la sienne ! Décidément il faut que Rory le fasse jouer par un acteur pour être plus proche de la philosophie de Madila. La réalité est mieux défendue par la fiction que par elle-même.
Le conseil devient consigne, et Mr Madila écrit pour Rory le film qu’il doit faire, une publicité ésotérique vantant les mérites de Mr Madila où Rory interprète le patient en détresse. Et si Rory objecte qu’il n’a jamais dit les mots que le guérisseur met dans sa bouche, Mr Madila lui rappelle une vérité générale, « It’s a cartoon ! You can just make it up ! »
C’est sur cet éclat d’humour que le film se ferme, laissant les deux personnages définitivement mystérieux l’un pour l’autre, emblématiques de leurs deux approches distinctes, le spirituel et le rationnel. On pourra rapprocher ce film au long-métrage de Michel Gondry « Conversation avec Noam Chomsky » (2013) où l’artiste français illustrait ses conversations enregistrées avec le linguiste américain sur sa vision de l’homme et de tout ce qui nous entoure. Mais là où le film de Gondry prend source dans un dialogue passionnant et réflexif, le court de Rory Waudby-Tolley est polarisé par le discours omniscient de Mr Madila, un guérisseur qui fait peu de cas de la réalité et base sa spiritualité sur une couleur imaginaire, la couleur de rien (« the Color of Nothing »), une teinte que l’on peut toujours attendre de découvrir.
Consultez la fiche technique du film
Articles associés : l’interview du réalisateur, notre reportage consacré au travail du réalisateur