Larp de Kordian Kadziela

Auréolé du prix du meilleur court métrage européen par le jury Format Court à la trentième édition du festival du film court de Brest, en novembre denier, Larp de Kordian Kadziela est un court métrage d’école qui s’attache à dépeindre le désarroi prononcé qui sévit chez les adolescents. Sergiusz, 17 ans, développe une passion bénine et exaltante pour les jeux de rôle grandeur nature (en anglais LARP aka Live Action Role Playing,) mais cet attrait loin d’être compris ou partagé par sa famille est moqué et ridiculisé à la moindre occasion.

Larp dure 27 minutes. C’est le temps que s’accorde son réalisateur Kordian Kadziela pour traiter de l’adolescence, cette période charnière où l’on n’est plus un enfant mais pas encore un adulte, où l’on doit, pour découvrir ce que l’on veut faire et qui l’on est, se projeter dans ses envies, dans ses passions, trouver des modèles à imiter, des comportements à calquer, être responsable et gagner en autonomie sans oublier pourtant d’arriver à l’heure au repas familial. À cheval entre deux âges, à cheval entre deux mondes des années durant.

Ce sont ces deux aspects d’une même vie qui font la complexité de cette période où l’incompréhension règne, pour l’adolescent et son entourage. Ainsi, alors que le film s’ouvre comme un récit de chevaliers par des batailles en cotte de maille dans la forêt, le passage d’un train avorte l’affrontement final des forces armées. Le sifflement de ce train est un rappel à la réalité, la sonnerie du réveil qui clôt les projections rêveuses de ces hordes d’adolescents casqués. Parmi eux Sergiusz, tout juste initié à ses pratiques, se distingue déjà dans les batailles et fraternise avec ses compagnons d’armes.

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De retour au domicile familial, Sergiusz doit reprendre un autre rôle, celui de l’enfant, celui du frère, celui de l’aîné. Il y est « surpris » par sa famille qui s’est réunie pour célébrer son anniversaire – deux semaines après la date prévue. Quelques échanges laissent transparaître la nature forcée de la réunion, les passions ne sont pas partagées, les cadeaux ne sont pas vraiment faits pour lui. Mais puisqu’on lui offre une maquette d’avion et qu’il ne s’y est jamais intéressé auparavant, c’est l’occasion idéale pour lui d’en entamer la collection. Il faut qu’il tienne son rôle, celui de l’enfant qui est heureux malgré tout, heureux comme sa famille qui interprète celui de la famille soudée et réunie en son honneur.

D’ordinaire, on traite l’adolescence au cinéma par ses débordements, depuis un point de vue d’adulte, soulignant les excès et l’absence de contrôle d’un adolescent colérique, maladroit, naïf ou rocambolesque. Mais dans Larp, plus que la fougue c’est un sentiment de tendresse extrême qui se distille tout au long du film grâce à son personnage principal Sergiusz, qui n’est pas dupe du désintérêt de ses proches pour sa passion pour les jeux de rôle et ne déplore pas cette situation car elle est aussi le signe de son émancipation. Cette prise de conscience de Sergiusz permet au réalisateur de révéler le charme trop sous-estimé des faux-semblants, des artifices et des subterfuges des membres de cette famille cherchant à se rapprocher les uns les autres alors même qu’ils savent l’exploit impossible.

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À l’image du calendrier des rencontres de Jeu de Rôles Grandeur Nature (de LARP donc) et des fiches de personnages que chacun y reçoit, les obligations familiales de Sergiusz et les rôles parents-enfants répondent eux-aussi à une distribution définie. Si cette observation s’offre de façon ostentatoire dans les scènes du jeu de rôle, où les costumes sont évidemment artificiels et où une Arménienne joue l’elfe et sa langue maternelle tient en place de l’elfique, la remarque implique aussi la vie réelle. Sergiusz l’a compris, c’est pourquoi le caractère artificiel du jeu de rôle ne le repousse pas, la vie de tous les jours l’y a habitué, voilà pourquoi il sourit quand il voit son entourage cabotiner à vouloir faire croire qu’ils attendent beaucoup des échanges avec lui, parce que c’est l’intention qui compte.

Avec de telles psychologies de personnages, Kordian Kadziela met en image les intentions de son personnage principal et les explicite par le cadre. Dans les phases de jeu de rôle grandeur nature, le réalisateur a l’habitude de serrer les cadres sur son personnage et d’opérer des champs-contre-champs qui soulignent la polarisation du film autour de lui. Hors du domicile familial, Sergiuzs doit constamment défendre sa place, la conquérir, tel le chevalier qu’il interprète et qui poursuit sa mission au péril de sa vie.

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A l’inverse, les scènes familiales, qu’elles réunissent toute la cellule ou bien seulement certains de ses membres, s’articulent avec des cadres larges qui permettent par leur frontalité de révéler l’orchestration des places dans le milieu familial.

Au final, tout est ordonné, et la logique du pater familias de Sergiuzs n’est pas plus ou moins farfelue que celle des organisations LARP. Elle est simplement valide au domicile, et perd toute sa justesse dans la rue. De même, la logique des organisations LARP est crédible quand elle seule s’exprime – la première scène nous propulse dans un film de chevalerie avant que le train ne détruise l’illusion. Sergiuzs lui, doit découvrir qui il est, et pour ce faire ne peut continuer d’épouser la dynamique familiale, il a besoin de choisir et c’est tout le besoin du LARP : choisir qui il veut être, le code qu’il veut suivre, et la tactique à employer pour atteindre ces objectifs.

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C’est d’ailleurs ce que Sergiusz affirme et démontre dans un face à face ultime. En confrontation avec un homme mieux bâti, il joue David contre Goliath et l’apostrophe comme le chevalier qu’il se pense. Et dans le combat, ce n’est pas la salve des petits coups de poings fébriles qui fera fuir l’assaillant mais bel et bien la constance de Sergiuzs, sa volonté de ne pas laisser faire les agissements du malotru. Sergiusz a réussi a lier les deux bouts, il a trouvé sa place dans le monde « réel », a su défendre ses convictions selon le rôle qu’il s’est composé, et peut rentrer chez lui poursuivre sa progression vers sa vie d’adulte.

Gary Delépine

Consultez la fiche technique du film

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