« Sali », premier court métrage du jeune réalisateur turc Ziya Demirel présenté ces derniers jours au festival Premiers Plans d’Angers, raconte le parcours d’une adolescente parsemé de rencontres et d’embûches dans Istanbul. Le titre, « Mardi » en français, nous met sur la piste : il s’agit d’une journée ordinaire, et nous suivons une jeune fille qui traverse la ville pour se rendre à l’école et à son entraînement de basketball, puis qui empreinte le bus pour rentrer chez elle. La ville et les rapports de proximité qu’elle implique deviennent le champ d’expérimentation de l’héroïne, et à travers elle, ceux du cinéaste. Le parcours citadin de cette adolescente ordinaire est dépeint comme un mélange d’errances insouciantes, de rencontres provoquées puis de contacts physiques non désirés, une proximité imposée au corps qui évoluent dans le décor urbain. Le film est une sorte de parcours en trois temps, suivant la perspective du corps féminin tandis que celui-ci entre en interaction avec différentes figures masculines, des échanges tantôt voulus, tantôt subis. Trois hommes, trois confrontations, trois réactions : le film nous offre une succession de tableaux qui s’enchaînent et suscitent à tour de rôle excitation, colère et frayeur chez l’héroïne comme chez le spectateur.
Personnage dynamique, filmé en perpétuel mouvement, cette dernière est d’emblée montrée comme une figure forte, espiègle et sportive, jouant au football avec une bouteille qui traîne sur le chemin. Lors de son entraînement de basketball, elle semble attirée par un jeune homme. Elle se lève pour le défier sur le terrain, tentant de lui prendre la balle et de marquer. Celui-ci l’entoure de ses bras, lui barre le chemin, mais elle parvient, apparemment amusée de cette interaction, à se défaire de l’étau et à marquer. Dans le bus qui la ramène chez elle, un vieil homme bousculé par les à coups du véhicule se tient à elle. Elle lui offre volontiers son soutien jusqu’à ce que l’homme ne commence à abuser de sa gentillesse, plaçant ses mains sur elle de façon trop insistante, tandis que la caméra, fixée sur le visage de la jeune fille, nous laisse percevoir la gêne puis la colère qui l’assaillent. Ce plan, plus long que les autres, nous fait ressentir le débordement et le malaise qui s’installe dans cet espace confiné. Alors qu’elle regagne finalement sa rue à pied, la jeune fille aperçoit un homme endormi dans une voiture, qu’elle avait déjà observé le matin même. Elle frappe le pare-brise pour le réveiller, dans un geste de provocation enfantin, mais qui suscite chez l’homme une violente réaction. Celui-ci sort de sa voiture et la poursuit dans la rue.
Dans tous ces échanges, Ziya Demirel parvient à trouver un équilibre sans cliché: son héroïne n’est pas une victime sans défense, mais il arrive cependant à montrer avec justesse la routine d’une jeune fille confrontée à une société patriarcale où la figure féminine se trouve trop souvent confrontée à des débordements et des réactions violentes. L’héroïne de « Sali » tente dans un premier temps de maîtriser les échanges tactiles qui peuvent s’opérer entre elle et le jeune homme sur le terrain de sport, tandis qu’une fois revenue sur le terrain public, celui de la rue, les rapports semblent plus difficiles à maîtriser, et la jeune fille se voit contrainte de prendre la fuite à deux reprises.
La caméra portée suit le personnage, d’abord dans une véritable démonstration d’énergie, dans une séquence de jeu et de déambulation, mais l’enferme également, la suivant de très près. Entre la sensation de légèreté et de liberté véhiculée par les premiers plans, et l’enfermement du personnage dans un cadre très serré, on ne sait finalement pas réellement où situer cette figure féminine. Sa situation serait-elle tout simplement résumée par cette phrase de son professeur évoquant le port de l’uniforme : « La liberté à ses limites, non ? » ? Ici, la limite semble être le cadre imposé par une société patriarcale où la femme semble ne pas devoir provoquer les échanges, marquer un score et passer maître du jeu, comme si les événements qui suivaient ce match mixte et cette démonstration de vitalité faisaient office de punition imposée à une jeune citadine un peu trop moderne, une jeune femme qui fume, qui fait du basket, qui tente de défier les hommes. Est-ce cela, un mardi tout ce qu’il y a de plus ordinaire dans l’Istanbul d’aujourd’hui ?