Après un passage au festival Premiers Plans d’Angers où le jury des courts-métrages l’avait distingué du reste de la sélection en lui remettant une Mention spéciale, c’est en remportant hier rien moins que le Grand Prix de la compétition nationale de la nouvelle édition du festival de Clermont-Ferrand que le film de Marine Atlan « Les Amours Vertes » fait parler de lui. Une nouvelle réjouissante, tant le film est remarquable et mérite, en plus de ses récompenses, que l’on s’intéresse à son cas.
Marine Atlan a suivi le cursus du département image de la Fémis, dont « Les Amours Vertes » constitue son film de fin d’études. Ce n’est pas un détail, tant l’on constate depuis plusieurs années que les courts-métrages les plus singuliers et réussis produits par la célèbre école sont réalisés la plupart du temps par des élèves issus de départements parallèles à celui des réalisateurs. On pense aux films de Jonathan Vinel (le multi-primé « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes »), d’Héloïse Pelloquet (« Comme une grande ») ou encore de Clémence Diard (« L’Amie d’Amélie ») qui ont tous suivi un cursus de montage, cursus à l’intérieur duquel semble émerger les talents les plus prometteurs de l’institution. Il en va de William Laboury, camarade de promotion de Marine Atlan dont les films « Hotaru » et « Fais le mort » semblent bien partis pour faire de nombreuses escales en festival sans jamais repartir bredouille (deux récompenses rien qu’à Clermont : Prix spécial du jury Labo pour « Hotaru » et Prix Canal + pour « Fais le mort »).
Faut-il en déduire que le regard d’un cinéaste s’éprouve et s’affirme mieux devant la timeline d’un logiciel de montage ou encore dans l’œilleton d’une caméra ? S’il serait malvenu de généraliser cette observation et d’en faire un cas d’école, l’on trouve néanmoins à l’intérieur des films des éléments de réponses qui corrobore ce sentiment d’évidence qu’ils produisent dans le rapport au médium, cette fraîcheur du regard que les élèves réalisateurs ont tant de peine à trouver et à garder intact au fil de leur cursus.
L’action des « Amours Vertes » prend place dans une ville provinciale de bord de mer, et nous conte le temps d’une saison la chronique de la vie d’une petite fille. L’héroïne, Camille, partage son temps entre l’école, sa bande de copines et les séances d’entraînement avec la troupe de majorettes locale dont elle est la benjamine. Marine Atlan orchestre dans un premier temps et avec une aisance certaine l’enchaînement de séquences brossant le quotidien de son personnage principal, en inscrivant ses partis pris de mise en scène dans une tradition naturaliste lorgnant du côté des stases récréatives de Jacques Rozier. Les parties dévolues aux séances d’entraînement des majorettes sont particulièrement réussies dans leur manière de saisir l’énergie d’un groupe d’actrices non professionnelles, leur bagout naturel et leur capacité à faire corps toutes ensembles. Le film pourrait néanmoins courir à cet instant le risque du ronronnement,et s’endormir au son de la petite musique que des décennies d’ersatz de films de Pialat ou de Rozier ont imposé et qui a aujourd’hui valeur de dogme pour tout un pan de la production française.
Fort heureusement, il n’en est rien, et Marine Atlan opère assez vite dans son récit et sa mise en scène un glissement bienvenu et surprenant. Ce glissement survient lorsque débarque, dans la petite ville par le Bus Vert, un bel adolescent, figure diaphane qui aimantera dès lors le regard de la jeune héroïne. L’on bascule alors dans un autre rapport au temps et à l’espace, en épousant pleinement le point de vue de la petite fille qui voit naître en elle un premier émoi amoureux. À l’occasion de belles scènes de filatures à vélo où l’héroïne prend en chasse le jeune homme à travers les rues de la ville, des travellings langoureux se substituent à un filmage en caméra portée pour mieux restituer l’érotisme de ce corps étranger filmé de dos. La mise en scène du film évolue à mesure que Camille sculpte son regard, apprenant ni plus ni moins à mettre en scène son désir en même temps qu’il s’impose à elle, en fétichisant ce corps qui devient un objet de fantasme. L’héroïne de Marine Atlan se découvre finalement en petite cousine des personnages d’Eric Rohmer, tous des metteurs en scène en puissance pour qui la consommation du désir n’est jamais une fin en soi, ce que viendra confirmer l’ultime séquence des « Amours Vertes » qui voit la jeune Camille renoncer à l’objet de ses convoitises en adressant une lettre d’adieu à l’adolescent.
Raconter une première expérience de l’érotisme chez une enfant est un pari pour le moins risqué et casse-gueule. On imagine malheureusement sans mal quelle vulgarité ou opportunisme un tel sujet pourrait appeler, connaissant le nombre de réalisateurs sévissant dans le milieu du court-métrage français et disposés à faire feu de tout bois pour produire du sulfureux à peu de frais. Marine Atlan s’en tire haut la main, en nous invitant à la fois dans son œil de chef opératrice attentif et aiguisé et dans son regard de metteur en scène qui n’a plus rien à prouver. Ce n’est pas tous les jours que l’on a envie de tirer notre chapeau à la Fémis et au festival de Clermont-Ferrand, alors profitons-en et souhaitons à cette jeune cinéaste et à son film le plus beau des parcours !