« Au bruit des clochettes », co-production franco-tunisienne présentée en compétition nationale au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand et visible sur Arte + 7 jusqu’au 21/2/2016, est un mets raffiné qui nous laisse un goût amer dans la bouche. Avec ce premier film, la réalisatrice Chabname Zariab nous emmène dans le pays de son enfance à travers un récit à la narration classique, mais maîtrisée, à la rencontre de personnages romanesques poignants, victimes d’une pratique tabou mais devenue malgré tout courante en Afghanistan et en Iran.
Saman, le jeune homme que l’on suit tout au long du film est prisonnier, esclave d’un homme d’âge mûr pour qui il danse et satisfait les désirs des convives exclusivement masculins. Cette pratique ancestrale d’achat (ou d’enlèvement comme c’est le cas ici) de jeunes garçons imberbes que l’on transforme en objets sexuels, s’appelle le bacha bazi. Elle est officiellement interdite, mais officieusement autorisée, puisque l’apanage d’hommes riches et puissants, et serait aujourd’hui en train de reprendre de l’essor en Afghanistan. Le bacha bazi, est un terme qui vient à la fois de l’iranien et de l’afghan, signifiant plus ou moins «jouer avec les garçons» et du perse «garçons imberbes». Issus de milieux très pauvres, ces garçons, choisis pour leur beauté, sont formés à la danse et au chant.
Le personnage central de « Au bruit des clochettes », Saman, superbement interprété par Shafiq Kohi, a dix-huit ans et devient un homme. Bientôt, il va devoir être remplacé par un autre garçon. Le jour où le maître ramène sous son toit son remplaçant, Saman est contraint de le former. Anxieux, il le considère d’abord avec méfiance mais les deux garçons développent peu à peu une relation privilégiée pleine de tendresse. Alternant scènes de jour et scènes nocturnes en huis clos, le film repose sur un enchaînement de révélations diurnes, puis de pratiques nocturnes à demi révélées, filmées avec pudeur.
Le soir, Saman, qui apparaît voilé, entame sa danse et se découvre progressivement. Le temps est en suspens tandis que le garçon passionné semble oublier, pour un court instant, ses craintes. Le répit ne dure pas, après le spectacle, Saman doit satisfaire les désirs sexuels des clients. Allongé sur le ventre à l’arrière d’une voiture, un homme vient sur lui tandis que la caméra, glissant vers ses mains aux poings serrés, laisse deviner le reste. Cette scène sombre est aussitôt suivie d’un plan où le maître, à genoux sous un soleil éblouissant, termine sa prière. La position de soumission du maître face à son dieu fait écho à celle du garçon, et pourtant, le soleil si lumineux vient créer un fort contraste avec l’obscurité de la scène précédente de façon à révéler tout le paradoxe : entre pratiques officielles telles que la prière, et le bacha bazi, contraire à la charia, se creuse un immense fossé alimenté par l’hypocrisie des hommes, qui ferment les yeux face à l’inhumanité de certaines pratiques.
Dans une scène suivante, sous un soleil éclatant, Saman est interpellé dans la rue par deux clients au volant de leur véhicule et, assailli par d’autres hommes à l’approche, se voit contraint de monter dans la voiture. Les deux hommes, à coup de railleries, tentent de lui ouvrir les yeux sur sa situation en lui affirmant sa fin de « carrière » imminente, et l’emmènent dans une sorte de terrain vague où vit un homme aux trait tirés qui révèlent une beauté fanée, qui fut sûrement aussi saisissante que celle de Saman, afin de regarder en face son prédécesseur. Le regard vague de ce dernier, aussi perdu que celui du petit garçon devenu son élève, rend pour Saman la confrontation insupportable.
Dans « Au bruit des clochettes », la danse est aussi le moment où Saman prend le dessus sur son audience. Par la danse, par son art interprété avec passion et dévouement, le jeune homme parvient à envoûter le public, et à reprendre, pour quelques instants, possession d’un corps qui ne lui appartient plus et à inverser provisoirement les relations de pouvoir. Au bruit des clochettes, Saman reprend son corps et sa vie en main, et dans une danse qui clôt le film, tandis que la caméra se resserre sur le personnage enchaînant les pirouettes, et que tout autour de lui semble disparaître, le regard de celui-ci change, affichant une détermination qui semblait avoir disparue et une volonté de se réapproprier son corps et son destin. La danse, dont l’apprentissage est imposé aux garçons victimes du bacha bazi, devient finalement l’art par lequel s’exerce leur liberté.
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Article associé : l’interview de la réalisatrice
Pour information, le film sera présenté jeudi 9 février 2017 au Studio des Ursulines dans le cadre de la nouvelle soirée Format Court, en présence de la réalisatrice, Chabname Zariab, et sa productrice, Judith Lou Lévy (Les Films du Bal)
Bravo et merci Agathe, tu m’as fait revivre les moments que j’ai passé devant ce film au festival d’Angers !
(ps: on s’était croisés là-bas d’ailleurs il y a quelques temps !)
une étoile nous a quitter agathe tu serat toujours avec nous .
R.i.p.