Viaduc de Patrice Laliberté

« Viaduc » est un drame familial bouleversant qui convoque à la pelle des références cinématographiques communes passées à la postérité pour nourrir en profondeur sa propre histoire, que Patrice Laliberté arrive dans un tour de force final à rendre authentique et sincère. Une démarche risquée, il est facile de tomber dans le simple patchwork, mais ici heureusement réussie qui lui a valu le Prix du meilleur court métrage canadien au Festival du film de Toronto.

L’histoire est on ne peut plus simple : « La police poursuit Mathieu surpris à graffer un pont d’autoroute (le fameux Viaduc en titre), mais la maraude nocturne de l’adolescent a un but que lui seul comprend. À l’aube, il reprend le cours de sa vie en attendant de récupérer son frère à l’aéroport… » une histoire simple donc, dont le réalisateur accroît significativement l’épaisseur en y disséminent de très beaux portraits de personnages.

La première séquence est en ce sens exemplaire pour observer la dynamique du film, et la façon dont il demande à son spectateur de recoller les bribes d’informations pour composer un tout cohérent. Le film s’ouvre sur un plan vide qui ravive des souvenirs à tous les spectateurs, une banlieue pavillonnaire digne des plus belles heures de l’écurie Spielberg, de « E.T. » à « Polteirgeist » en passant par l’Outsider Tim Burton et son « Edward aux mains d’argent ». Un de ces quartiers réglés comme une horloge, habité par des familles nucléaires sans haine et sans reproches (du moins sur le papier), où la moindre exception à la norme est repérée et condamnée.

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Et le plan nous dévoile à droite Mathieu qui marche la tête cagoulée et une planche de bois sous le bras au-devant des méfaits qui lui valent 5 minutes plus tard d’être poursuivi par les forces de l’ordre. Voilà l’exception, la personne hors-norme de ce quartier de carte postal qui occupera, selon toute apparence, la place centrale du film. Mais sa fuite devant les forces de l’ordre et son échappée belle se traduit par une explosion musicale qui déborde de loin l’enjeu, introduisant par là un premier indice : il se joue des choses dans l’image dont nous ne comprenons pas encore la portée. Pas de quoi tressaillir de joie devant ce micro-exploit, si la musique part en trombe, c’est que les méfaits de Mathieu sont plus importants que nous ne le comprenons actuellement. C’est que l’histoire à commencé avant le film, et que ce « graff » dont la nature nous reste inconnue est la résolution, l’exploit du personnage pour résoudre une situation que nous ne connaissons pas encore.

Après les références visuelles attribuées aux classiques du cinéma mainstream des premières minutes, voilà que Patrice Laliberté projette son film dans une démarche très moderne, ne débutant pas son film au commencement de l’histoire mais en son cours, et posant d’emblée le spectateur dans une posture d’enquêteur qui devra s’attacher avec les éléments à venir à comprendre ce qui s’est déjà passé.

Cette ouverture menée tambour battant, le métrage continue de brouiller les pistes en lorgnant plus du côté de la chronique familiale et de la fable adolescente que de la frasque criminelle. À charge une scène de skateboard trop proche de « Mommy » pour que nous ne projetions pas expressément sur Mathieu les déboires et conflits que l’on avait découverts chez Steve dans le long de Xavier Dolan. Malheureusement pour nous qui pensions pouvoir attribuer facilement à Mathieu le profil du fameux personnage, isolement et incompréhension, la transition l’introduit en compagnie de deux amis occupés à parler consoles et drogues. On pense à « Paranoid Park » de Van Sant, et par collage, il devient plausible que notre adolescent taciturne ait commis un crime plus grave que le graff qui ouvre le film. La mort s’invite dans l’image, et l’attitude morose des autres membres de la famille rend plausible cette idée, le père de Mathieu dans un plan qui lui est réservé semble comme son fils refouler une douleur qui n’a pas de mots.

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C’est au troisième acte que se résolvent toutes les questions sans que Laliberté ne donne pourtant aucune réponse. Il y a bien la mort dans l’image, le frère de Mathieu atterrit à la base militaire dans un cercueil. Nous comprenons le silence des personnages, l’absence de dialogues forts qui seraient déplacés pour expliquer la perte d’un être cher et le sentiment d’injustice et de grande tristesse qui hante ses proches. La caractérisation est terminée, nous sommes en présences d’êtres brisés, il n’y a pas de débouché possible, pas de happy end, le deuil était là avant l’incipit.

Mais lorsque la famille reprend le chemin du domicile familial et passe sous le graff de Mathieu, la boucle est bouclée, et le « Ciao Bro » adressé à son frère, aussi anodin que pertinent, ne manque pas de faire fondre en larmes le patriarche toujours muet. L’ouverture en trombe était bel et bien un exploit de l’adolescent contre le sort, l’expression simple de la seule chose à faire, laisser partir ceux qui ne sont plus, accepter malgré nous-mêmes. Ce « climax » plus émotionnel qu’impressionnant confère à « Viaduc » sa plus grande qualité. Il est de ces bobines que l’on peut voir dans les deux sens et sans magnétoscope.

Patrice Laliberté a semé des indices, des références communes tout au long de son film, des cadrages comme des accessoires, pour finir par les relier a posteriori à ses personnages et son histoire de façon unique et personnelle. Tout est comme si le film, à l’instar de ses personnages démunis et incapables d’exprimer leur douleur, s’était lui-même retrouver à devoir employer les expressions visuelles des Spielberg, Dolan, Van Sant, et consorts, pour trouver dans l’autre les meilleurs outils pour révéler sa propre singularité.

Avec « Viaduc », Patrice Laliberté nous offre un court métrage qui traite d’un long sujet de façon synthétique et épique, un acte de foi humble et honnête que l’on oubliera pas.

Gary Delepine

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