Après avoir travaillé pendant plusieurs années chez Disney et avoir collaboré sur des projets de grande ampleur tels que « Mulan », « Tarzan » et « Lilo & Stitch », Rosana Urbes est rentrée au Brésil pour se consacrer à un projet personnel, « Guida ». Sélectionné à Annecy, le film a obtenu une Mention spéciale du jury Fipresci et le Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre, permettant ainsi à son auteure d’être la première réalisatrice brésilienne à être sélectionnée et primée au festival international d’animation. Son film, déjà évoqué à plusieurs reprises sur notre site, est un charmant projet autour de l’acceptation de soi, du vieillissement et du regard de l’autre, illustré de bout en bout par des croquis non achevés. Rencontre avec Rosana Urbes, une animatrice de talent, marquée par l’animation traditionnelle, l’observation, la poésie et la forme courte.
Pendant des années, tu as travaillé chez Disney. Ton premier film professionnel, « Guida », a un côté non achevé par ses croquis qui ne correspond pas beaucoup au style parfait et lisse du studio américain. Pourquoi as-tu adopté ce style-ci ?
Le sujet, le style et la raison pour laquelle j’ai fait ce film sont intimement liés. J’ai mis 3 ans pour le finir. Je l’ai animé à la main, sur papier, car je souhaitais rendre mes dessins vivants. Chaque scène du film observe et traduit en images un moment de la vie. Il fonctionne juste à partir de croquis, de ces moments où on essaye de trouver son personnage, sa scène. J’essaye de préserver au plus possible cet esprit, l’essence même de l’animation. Aujourd’hui, les choses me semblent trop digitales.
Est-ce que ce contact avec le papier et l’artisanat sont liés au fait que par le passé, tu as travaillé sur des projets importants, en collaboration avec d’autres animateurs ?
Exactement. Travailler sur des longs-métrages m’a appris beaucoup de choses et m’a permis de produire « Guida ». Le film compte plus de 8.000 dessins, Chaque scène représente une pile de feuilles. J’ai d’abord dû diviser le projet en séquences, faire un story-board et trouver le rythme du film. C’est quelque chose que j’ai appris grâce au travail chez Disney et sur les longs-métrages auxquels j’ai collaboré, mais c’est vrai que j’ai toujours voulu faire mon propre film et parler des choses qui m’importaient. Le film est une sorte d’auto-portrait. Le personnage de Guida travaille dans un monde bureaucratique et trouve par l’art une façon d’être elle-même. J’ai toujours dessiné et ce film est une plaque tournante dans ma carrière.
Tu as senti que tu devais absolument faire ce projet ?
Oh oui.
Tu as quitté le Brésil pour travailler chez Disney. Pourquoi ?
Il n’y avait pas d’industrie de cinéma au Brésil à l’époque. Ça a considérablement changé depuis. Disney m’a invitée, je ne pouvais pas refuser.
Tu avais fait des courts-métrages avant ?
Non, j’avais travaillé sur des publicités. Ils ont vu mon portefolio et ont jugé que j’étais employable. J’ai fait des livres pour enfants par la suite, ça m’a permis de développer mon style.
« Guida » parle de la nudité, de la féminité, de l’âge, de l’identité et est très éloigné des projets sur lesquels tu as pu travailler. Qu’est-ce qui t’a permis de te lancer ?
J’ai reçu une aide du gouvernement pour faire le film, cela a été un réel encouragement. J’ai aussi financé ce projet grâce à d’autres choses comme les livres pour enfants. J’ai toujours dessiné Guida sur des coins de livres et de carnets. Je souhaitais affirmer que le vieillissement n’est pas la mort, alors que notre société considère bizarrement l’âge. Je voulais combattre ce préjugé.
Avec un court-métrage…
Tu utilises les armes que tu as en ta possession (rires) ! « Guida » représente la liberté face à ce carcan de l’image qu’on a de soi. Le personnage est vraiment apparu quand j’ai organisé il y a quelques années une session de dessin de modèle vivant chez Disney. A cette occasion, une femme énorme est venue poser, elle était fabuleuse ! Cette femme de 200 kg était une fée, on était tous amoureux d’elle. Elle savait qu’elle était belle car elle avait accepté son corps. La beauté est quelque chose d’autre que ce que les médias et les standards nous imposent. Quand tu prends ton temps pour l’observer, la comprendre, tu vois la vraie beauté.
Pourquoi un studio tel que Disney a besoin de pratique, d’organiser des séances de modèle vivant pour ses animateurs ? L’imagination et la pratique ne suffisent-ils pas aux animateurs ?
Justement, on le fait pour l’exercice. Même si tu fais un film abstrait, tu t’inspires de la nature. Observer la vie me permet d’en parler dans les films. Quand j’ai fait les recherches pour « Guida », j’ai commencé à réaliser que l’histoire de l’art était remplie de modèles importants, incontournables à la confection des chefs d’œuvre dont on ne connaissait pas du tout l’histoire. Cette idée me suivra peut-être pour un prochain court. En tout cas, mon style est né avec ce projet. Depuis que je travaille sur des publicités et des longs-métrages, j’ai appris à avoir des styles différents pour coller aux projets. Mais finalement, je ne savais pas vraiment quel était mon propre style.
Ton film compte peu de couleurs, les dessins parlent d’eux-mêmes. Pour quelle raison ?
À nouveau, je voulais parler de l’animation traditionnelle, à la main. Le personnage était le dessin. Les couleurs pastel qui s’y trouvent sont plutôt complexes en réalité. Pour faire une couleur pastel, tu dois mélanger toutes les couleurs. J’ai beaucoup travaillé avec du sepia, une teinte que j’adore car c’est un équilibre entre les couleurs primaires.
Dans les longs-métrages de Disney, on ne trouve pas vraiment de sépia…
C’est mon manifeste ! Pour un artiste, c’est important de défendre ce ses croyances en termes de thèmes et de formes.
Est-ce aussi pour ça que tu es rentrée au Brésil et que tu as fondé ton propre studio d’animation ?
Oui, j’ai fait une longue balade avant de finalement revenir chez moi (sourire). La situation a considérablement évolué depuis mon départ aux États-Unis. Depuis moins de dix ans, le gouvernement brésilien commence à s’intéresser à l’animation. Une industrie est née, une association d’animateurs se bat pour nous. Un réel marché ne pourra se créer qu’avec des longs-métrages et des séries télévisés, mais on n’obtient pas un arbre sans cultiver les racines et les courts-métrages, ce sont ces racines. Le court-métrage est un format à part entière. C’est dur à comprendre car il n’y a pas d’argent quand on fait un court-métrage. Il faut avoir de l’imagination pour le comprendre et l’accepter.
Comment se fait-il qu’on ne voie pas plus de courts-métrages brésiliens en Europe ?
Les festivals nous encouragent formidablement, ils font connaître notre travail à l’étranger, mais il y a encore beaucoup à faire. L’animation est si riche, on peut raconter des histoires dont on ne peut pas parler autrement, avec un autre médium. On a une opportunité maintenant dans le pays, il faut la saisir !
Propos recueillis par Katia Bayer
Pour information, le film sera projeté le jeudi 10/9 à l’occasion de la reprise des Soirées Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).