Depuis quelques années et une collaboration au long cours avec Les Films Sauvages (« Deyrouth », « Les Petits Cailloux » et « Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes »), Chloé Mazlo développe un cinéma d’animation drôle, sensible et poétique, s’intéressant à la vie quotidienne et à ses petits désagréments. À l’occasion de la sélection de sa nouvelle œuvre (« Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes »), adaptée de Boris Vian, à l’édition 2015 du festival Côté Court, nous lui avons posé quelques questions sur son art animé si frais et délicat.
Peux-tu revenir en quelques mots sur ton parcours ? Comment es-tu arrivée à la réalisation de films d’animation ?
J’ai étudié le graphisme conceptuel et narratif aux arts décoratifs de Strasbourg. J’avais vécu des histoires amoureuses tragi-comiques durant ma scolarité et je les ai racontées spontanément dans un film d’animation qui n’était autre que mon projet de fin d’études, « L’Amour m’anime ».
En sortant de l’école, j’ai envoyé le film dans des festivals, et là, un producteur, Jean-Christophe Soulageon (Les Films Sauvages), m’a remarquée et a voulu me rencontrer. Nous nous sommes retrouvés dans un lieu pour le moins incongru, un PMU vers la Place de Clichy (Paris), et il m’a proposé de continuer à faire des films, ce que je n’avais pas forcément imaginé de prime abord, mais qui m’a semblé alors être une très bonne idée.
Ton cinéma semble fonctionner sous la forme d’un journal intime animé avec son lot de joie et de souffrances, tout en possédant un humour salvateur qui permet de créer une distance. Es-tu d’accord avec cette analyse ?
Le second degré est pour moi une chose capitale, autant dans la vie que dans la création. La distance est nécessaire pour apporter une certaine légèreté à des propos qui véhiculent et explorent, malgré leur aspect coloré, des sujets graves. Par ailleurs, je regarde très peu de films d’animation, c’est plus le destin quotidien de nos vies qui influence mon cinéma.
Il y a également dans mon travail l’envie de mettre en images littéralement ou avec humour des symboles, paraboles et métaphores, car j’ai eu une éducation moyen-orientale très picturale et métaphorique, qui m’a initiée dès mon plus jeune âge à l’art de la métaphore. Les images métaphoriques me servent à dédramatiser le propos et j’ai beaucoup plus de facilité à m’exprimer à travers ces images qu’avec des mots. Je crois davantage en la puissance évocatrice de l’image poétique qu’en la représentation « fidèle » de la réalité.
Comment t’est venue l’idée de départ (un mal de ventre oppressant) de ton film « Les Petits Cailloux » et comment as-tu « traduit » cela en fiction ? Peux-tu également me parler du parcours du film et de l’obtention du César du meilleur film d’animation ?
Je suis partie d’une expérience vécue, une histoire de maladie mal diagnostiquée que j’ai supporté et avec laquelle j’ai cohabité durant 5 ans.
Quand j’ai finalement réussi à m’en défaire, je me suis demandé comment et pourquoi je m’étais résignée à subir ces douleurs. En en parlant autour de moi, j’ai fait le parallèle avec beaucoup d’histoires que chacun vit que cela soit dans nos relations amoureuses, amicales, au travail, à la maison… Pourquoi quand nous avons le choix n’abandonnons-nous pas ces boulets ? Est-ce que nous nous culpabilisons d’être simplement heureux et que ces poids nous apportent une constance, un équilibre ?
De ces questions ont découlé l’envie d’en faire un film. Pas forcément pour y répondre, mais pour pouvoir les mettre en perspective.
Le film n’a pas eu une grande carrière en festival, et il n’a été sélectionné dans aucun festival de film d’animation de France. L’obtention du César était donc complètement inattendue et symboliquement forte. Je continue avec plus d’assurance et de sérénité, car ce prix démontre en quelque sorte que nous ne nous sommes pas trompés dans notre cheminement artistique. Je fais également attention à ce que cela ne change pas ma façon de travailler.
Quelles sont les techniques d’animation que tu utilises dans tes films ?
Je n’utilise qu’une seule technique d’animation : la pixilation, c’est-à-dire l’animation image par image d’objets ou d’acteurs dans un décor. Je n’utilise pas de fond vert, mais de la vidéo-projection car je souhaite maîtriser le processus créatif au moment du tournage. C’est une prise de risque qui peut entraîner des ratés, mais qui permet aussi des accidents heureux et une bonne part d’improvisation.
Tes films font la part belle au travail de décoration et de costumes, peux-tu m’expliquer comment se déroule ce travail artistique ?
Ce travail se fait en amont du tournage, il faut en général deux bons mois pour les concevoir et beaucoup de patience, cela ne peut pas se faire dans l’urgence. J’ai été aidé par l’artiste Bérengère Henin sur mes deux derniers films. C’est vraiment un moment que je privilégie, une étape intermédiaire qui suit l’écriture du scénario et qui délimite le visuel du film.
De nombreuses personnes me suivent de film en film, ce qui peut donner parfois l’impression d’un travail artistique « en famille ». Comme me l’a fait remarquer Nicolas Pariser, réaliser un film, c’est un peu comme organiser une grande fête. Alors, forcément, je préfère y inviter ma famille et mes amis… et j’ai la chance d’être entourée de talentueuses et bienveillantes personnes !
Pour ton dernier film « Conte de Fées à l’usage des moyennes personnes », comment t’est venue l’idée d’adapter Boris Vian et comment s’est passé l’adaptation de son œuvre ?
Boris Vian est un auteur qui a toujours fait partie de ma famille de référence, pour sa vision décalée du monde qui me semble plus juste que la réalité elle-même. J’avais contacté l’ayant droit principale, Nicole Bertolt, pour un autre livre, mais les droits étaient déjà pris. Elle m’a gentiment encouragée à trouver un autre ouvrage à adapter, précisant que mon univers correspondait en effet à celui de Boris Vian. J’ai donc exploré son immense héritage pour finalement découvrir ce conte très peu connu en rentrant un soir dans le métro : une fille le lisait en rigolant, cela m’a intriguée.
Sous les conseils « autoritaires » de mon producteur, Jean-Christophe Soulageon, j’ai travaillé avec Yacine Badday pour l’écriture. C’est un grand spécialiste de Boris Vian et un scénariste exceptionnel. Nous avons lu intensivement l’ouvrage puis l’avons mis de côté, pour se l’approprier et écumer l’histoire qui était trop foisonnante de détails et de rebondissements. Nicole Bertolt nous a vraiment offert une confiance absolue. Elle a été présente à chaque étape de la création avec une bienveillance rare qui nous a beaucoup aidés et émus.
Quels sont tes projets à venir ?
Il y a plusieurs projets dans les tiroirs des Films Sauvages, mais je n’ose pas encore trop en parler, car nous attendons des réponses. En tout cas, j’ai envie de continuer dans la lignée de mes films précédents, et le défi -quotidien- consiste à ne pas se perdre en route…
Sinon, si je regarde la liste de mes bonnes résolutions pour 2016, je devrais aller à la piscine une fois par semaine, déménager et me faire enlever mes dents de sagesse !
Propos recueillis par Julien Savès
Pour information, « Les Petits Cailloux » sera projeté le jeudi 18/2 à 20h30 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de Jean-Christophe Soulageon, le producteur du film (Les films sauvages)