Loin de se cantonner aux effets habituels du Super 8, « Motu Maeva », premier film de la réalisatrice Maureen Fazendeiro est un parcours à la fois libre et précis, entre passé et présent, dans la vie de son seul et unique personnage, Sonja André, une étonnante passagère du siècle. Conçu comme une « machine à voyager dans le temps sensible », avec ses allers-retours, ses passages thématiques et ses moments suspendus, ce moyen-métrage a été récompensé du Grand Prix Europe du Festival de Brive et a reçu le soutien du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques).
« Motu Maeva » commence comme un film expérimental en Super 8 avec un lent travelling sur une nature sauvage : une rivière et une foret. L’image est en couleurs, les bordures sont floues, une énorme perforation l’accompagne tout du long, le son est inexistant.
Le temps et les lieux sont inconnus et semblent abolis. Un bruit survient, il est plus net que l’aspect « granuleux » caractéristique de l’image. Puis, le récit commence avec la voix de femme âgée. Sonja André explique comment « elle s’évadait par son esprit » alors que des massacres se déroulaient autour d’elle pendant la guerre. Puis enfin, on la voit à l’image au bout de ces 5 premières minutes où le film déploie son dispositif.
Le Super 8 est en ce moment au cinéma ce que le disque vinyle est à la musique : un retour un brin nostalgique à la matérialité analogique des contenus créatifs s’opposant à la virtualité du numérique. Souvent, le Super 8 se retrouve cantonné à l’évocation de souvenirs de famille, un peu fanés, un peu miraculeusement sauvés du dernier tri du grenier. Et des images de ce type, il y en a dans « Motu Maeva », mais leur usage est bien plus intéressant.
La première force du film est de mêler ces images du passé avec celles du présent. Puisque le Super 8 est là en 2015 comme il l’était dans les années 1960, pourquoi ne pas lier les deux ? Voyager dans le temps et l’espace à la faveur d’une simple coupe de montage ? C’est cette proposition toute cinématographique que « Motu Maeva » nous offre.
Le récit en voix-off est la seconde force du film. Il oriente la reconstitution de ces souvenirs dont l’image vient entériner l’existence. Son inscription dans la structure du film, ni vraiment thématique ni vraiment chronologique, peut dérouter. Aussi, les enjeux de chaque souvenir, souvent liés aux valeurs plus larges de Sonja, forgées au fil de l’expérience d’une vie, forment la seule toile de fond cohérente au propos du film.
Cette structure libre permet au film d’aborder sans lourdeur et de manière subjective des sujets aussi denses que la spiritualité, l’éthique du mariage, le rapport à l’autre, à l’ailleurs et à la mère.
Il y a d’ailleurs une très belle scène dans le film, la seule où Sonja ne parle pas et où sa mère lui laisse une carte postale sonore. L’émotion est palpable derrière la voix émue de cette mère venant aux nouvelles d’une fille lointaine qui la décrit comme autoritaire. Le film est donc un subtil aller-retour entre paroles et images, formant un lien sensible entre souvenirs et sentiments.
L’écriture est véritablement cinématographique car ces paroles et ces images ont toutes été capturées sur le vif, aujourd’hui comme dans le passé. Mais leur disposition méticuleuse leur permet d’entrer en résonance pour faire exister à nouveau ces souvenirs le temps du film.
Libre de la contrainte de lieu, de temps et même de structure narrative, « Motu Maeva » choisit malgré cela de reconstituer une journée, avec un début à l’aube et une fin la nuit. Une journée réduite à 40 minutes de film pour résumer toute une vie, voilà bien le véritable tour de force de ce beau premier film.
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Article associé : l’interview de Maureen Fazendeiro