Erik Schmitt, le réalisateur de « Nashorn im Galopp », Prix Format Court à Brest cette année, était à Paris au mois de mars pour présenter son film au Studio des Ursulines lors de notre séance consacrée au festival. Il est revenu sur son parcours, ses difficultés (le passage au long-métrage, l’envie de brasser plusieurs genres, son décalage avec ses confrères allemands) et ses goûts (le visuel, le créatif, le sens de l’émotion). Pour en savoir plus sur cet auteur, ne cliquez pas et restez sur cette page.
Tu as monté ta propre boîte de production, Kamerapferd, avec ton ami Stephan Müller. Comment avez-vous eu envie de travailler ensemble, de monter votre propre structure et de produire vos propres films ?
Erik Schmitt : Kamerapferd, c’est le cheval de la caméra. Ce n’est pas vraiment une boîte de production, c’est plus un nom qui nous lie et qui permet de reconnaître nos films. On a fait une série de courts métrages qui ont tous bien marchés et qu’on a associés à ce nom. En Allemagne, le nom il a bien pris. Il y a plus de gens qui connaissent Kamerapferd que mon propre nom ! Aujourd’hui, on se pose la question de laisser tomber ce nom-là, chacun étant sur son projet de long-métrage et en contact avec des productions plus importantes.
Quels ont été tes premiers pas dans le ciné ?
Je suis sorti de l’université, je n’ai pas étudié le cinéma. J’ai fait beaucoup de choses créatives et de la communication. Après j’ai travaillé pour une boîte de publicité et puis, j’ai fait des petites vidéos. J’ai appris à faire du montage, à comprendre la caméra. Je me suis retrouvé à faire un long-métrage documentaire (« Solartaxi: Around the World with the Sun ») en suivant un type qui faisait un tour du monde pendant un mois en Inde. J’ai fait ce film sans vraiment avoir une idée précise de ce que je faisais, mais ça a marché et je l’ai vendu. Pendant ce voyage, le mécano m’a parlé de Stephan en me disant qu’il faisait des trucs comme moi, c’est comme ça que j’ai fait sa connaissance et qu’on a commencé à travailler sur des petites pubs pour les Télécoms allemands. Là, j’ai réalisé que c’était la première fois de ma vie que je rencontrais quelqu’un qui pensait comme moi. Quand je proposais des idées à mes copains, ils me disaient toujours que j’étais fou !
Dans tes films, tu joues sur plusieurs tableaux : le burlesque, la poésie, le sombre aussi. Dans les propositions allemandes en court comme en long, on a l’impression que les auteurs sont dans la retenue, l’austérité. D’une certaine manière, ton film aurait pu ne pas être réalisé en Allemagne. Tu en es conscient ?
Oui, j’aime bien mélanger les genres et c’est vrai que je ne me retrouve pas vraiment dans le court métrage allemand. En général, je ne me sens pas forcément connecté aux films allemands et j’ai du mal à trouver des modèles parmi mes pairs. En France, j’ai l’impression qu’on n’a pas peur de jouer avec ce que tu viens de décrire de mon travail. Je trouve ça très intéressant de pouvoir être drôle, léger mais aussi sombre et émotionnel. Pour le moment, en préparant mon long, cette idée de sombre m’intéresse d’ailleurs beaucoup, je me demande comment y accéder et comment l’exprimer. Dans le cinéma français, même les films commerciaux comme « Monsieur Claude » ou « Intouchables » qui s’adressent au grand public peuvent être innovants et toucher les émotions des spectateurs. Dans le cinéma allemand, ça ne se fait pas. Je ne sais pas pourquoi on a peur de ça en Allemagne .
En même temps, certains films d’auteur synonymes de gros succès commerciaux, ont touché les gens, des films comme « Barbara » ou « La Vie des autres »…
Oui, mais ce sont des films qui datent et puis, ce sont toujours les mêmes sujets : les nazis, la Stasi, la guerre…
Comment es-tu considéré dans le milieu du cinéma dans ton pays ?
Dans le court métrage allemand, j’ai l’impression que je suis plutôt le mec qui fait des trucs un peu fous. J’ai l’impression d’être un peu le seul dans cette catégorie, peut-être avec Stephan qui est malgré tout un peu diffèrent de moi et je trouve ça un peu dommage.
Est-ce que le mot fou, ça te discrédite ?
Non pas du tout, c’est juste un aspect de mon travail. Malgré tout, je suis content que tu remarques d’autres choses dans mon travail, notamment ce côté sombre. Ce qui était intéressant sur « Nashorn im Galopp », ce n’était pas juste de faire des images. Je voulais essayer de faire quelque chose qui marche sur plusieurs niveaux. Pour moi, c’était important que le film soit visuellement intéressant mais aussi émotionnel. Mon film suivant, « Forever Over » s’est fait rapidement. « Nashorn im Galopp » venait d’avoir sa première à la Berlinale et je voulais tenter des choses pour mon long-métrage, notamment en écrivant des dialogues un peu plus classiques. À la base, je ne voulais faire que deux scènes non connectées et puis, je me suis dit que je pouvais en faire un film. Après, en quelques jours, j’ai essayé de connecter le tout. Le film marche un peu mais je sens que je n’ai pas assez réfléchi à ce que je voulais vraiment exprimer du coté émotionnel. Le film a un aspect spontané mais quelques idées n’ont pas suffi à aboutir au film comme je le souhaite.
Sur un plateau, comment travailles-tu avec tes comédiens ? Leur permets-tu d’être spontanés ?
J’ai une relation particulière avec mes comédiens. C’est en utilisant ce lien que j’essaye de trouver le moyen le plus intéressant de travailler avec eux. La plupart d’entre eux reviennent dans mes films. Marleen Lohse, par exemple, aime bien avoir un texte de base qu’elle change un peu et sur lequel on travaille ensemble. Folke Renken a joué dans plusieurs de mes films. Je ne lui donne qu’un cadre et il improvise. Si je lui propose une scène, il ne pourra pas la jouer parce que ce n’est pas vraiment un acteur, c’est quelqu’un d’intuitif.
Dans tes films, on sent effectivement que vous vous connaissez tous bien…
C’est ce qui me manque un peu justement dans le travail qu’on faisait avec Stephan. On se voyait le matin, on essayait des trucs, on avait toujours des publicités à faire pour gagner notre vie, mais il restait toujours un peu de temps pour expérimenter. Un de mes courts, « Telekommando », a commencé comme ça. Cela fait un an que j’ai commencé à écrire mon long-métrage et c’est difficile. À un moment, j’étais frustré parce que ça n’avançait pas. On est sorti, on a décidé de faire un film et sur une idée de base, on a fait ce petit court en une journée. Ça m’a fait du bien, j’ai décompressé.
Pourquoi est-ce difficile, le long ?
Parce que c’est nouveau et que je n’ai jamais fait ça. J’ai besoin de comprendre la structure d’un long-métrage, je n’ai pas juste envie de me plonger dans l’aspect visuel, je veux vraiment raconter quelque chose d’émotionnel. L’idée, ce n’est pas de prendre 2-3 semaines et peu d’argent pour tourner. J’ai besoin de savoir où je vais, ce que je fais, pour un projet plus grand. C’est pour cela que ça dure longtemps, mais ça avance donc c’est intéressant.
À travers tes films, on peut penser à Gondry tant tu accordes un soin particulier aux effets visuels. Sauf que sans beaucoup de moyens, tu joues avec les échelles de plan, réalises des petites animations et restes dans la simplicité, l’artisanat.
Ces dernière années, ça m’a beaucoup intéressé de trouver des moyens à notre portée. Avec les effets spéciaux, on peut vraiment tout faire. Si tu lis Harry Potter et que tu y découvres un dragon, ce n’est pas un problème de le transposer au cinéma, c’est juste une question d’argent. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des illusions que tout le monde peut faire de ses mains et de trouver le chemin pour exprimer ce que je ressens. Pour moi, la créativité vient du cœur, elle est devant nous et ne se créée pas de toute pièces avec la technologie moderne.
Dans ton dernier film, tu as quand même créé une lune. Pas si simple…
Oui, on l’a imprimée mais tout le monde peut en fabriquer une. La créativité démocratique, c’est possible…
Excuse-moi, mais un type déguisé en lapin rose vient de passer…
C’est marrant, j’ai justement un lapin rose dans mon long métrage !
Dans « Nashorn im Galopp », tu t’intéresses de près au street art. Qu’est-ce qui te plaît dans l’expression urbaine ?
Le principe de raconter des choses en peu de temps et de s’adapter aux aspérités et à la taille du réceptacle où le graffiti s’affichera. L’espace n’est pas une page blanche. Le street art est l’art de communication en ville. Des messages permanents apparaissent, ça permet de lutter un peu contre la solitude et l’animosité de la ville. Le street art est un nouveau langage et les pages d’un livre qu’on écrit tous ensemble. Devant un bon graffiti, notre façon de voir le monde se met à changer. La ville est triste et grise mais grâce aux graffitis, l’œil est toujours à l’affut de la petite touche d’émotion imprévisible.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Arnbjörn Rustov
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