Le Rêve de Bailu de Nicolas Boone

« Le Rêve de Bailu », court-métrage en compétition Silvestre au festival IndieLisboa 2015, est une commande du gouvernement chinois à Nicolas Boone. Cet artiste vidéaste est également le réalisateur de « Hillbrow », primé au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal et présenté en compétition Fictions Internationales à Lisbonne ces jours-ci.

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« Le Rêve de Bailu » se situe après le terrible tremblement de terre qui ravagea la province de Sichuan en 2008. À cette époque, les autorités chinoises avaient fait reconstruire entièrement de nombreux villages. Celui de Bailu a la particularité d’avoir été repensé selon une architecture dite à la française. Nicolas Boone répond à la commande qui lui a été faite en réalisant un unique plan-séquence d’une douzaine de minutes déambulant dans le village. Fervent utilisateur de ce procédé, « Hillbrow » est lui, une succession de dix plans-séquences, suivant plusieurs jeunes délinquants d’un quartier de Johannesburg.

Les couleurs vives, le beau ciel bleu, les personnages souriants et la joyeuse musique ambiante du « Rêve de Bailu » l’emplissent de la gaité qui, à première vue, correspondrait au cahier des charges du film de propagande. Mais une deuxième lecture du film, beaucoup plus grinçante, est aussi possible. La technique du plan-séquence, nécessitant une construction chronométrée et millimétrée en amont du tournage, est une parfaite métaphore de l’artificialité du village. Le parti pris architectural où tous les types d’architectures françaises d’antan sont représentés ne paraît que peu réaliste pour un regard français.

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Ce village donne plus l’impression d’un décor construit en carton pâte pour un parc à thème que d’un réel village. Heureusement, celui-ci est justement destiné au tourisme. Les habitants supposés de Bailu se transforment le temps du film en des marionnettes contrôlées par Nicolas Boone. Ils se déplacent et agissent selon ses instructions qu’il a par ailleurs décidé de laisser dans la bande sonore. Ce choix permet également de témoigner de l’artificialité de la vie de ces gens, qui, déplacés après le séisme, n’ont plus aucun repère.

Le réalisateur aime jouer avec les frontières entre le documentaire et la fiction et, comme Magritte avec sa pipe, se plait à perdre le spectateur dans une réalité qui, une fois reconstruite, n’en est en fait plus qu’une représentation. A l’instar d’un journaliste, il suit ses sujets avec une caméra épaule fluide pour être au plus proche de la vérité, essayant avec un procédé simple et léger de se faire oublier. Mais en tant que cinéaste au regard critique, il remet totalement en scène la vie quotidienne des villageois, ne dévoilant finalement aucune réelle vérité. Ainsi, ce film est autant un documentaire que le village est un authentique village français.

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Avec ce court-métrage, Nicolas Boone a réalisé en quelque sorte le film attendu par le gouvernement chinois si celui-ci s’en arrête à la première lecture, mais a su détourner la commande pour, en arrière-fond, critiquer le non-sens évident de la construction de ce type de village. Toute l’ironie du film prend son sens dans le titre, « Le Rêve de Bailu », celui-ci représentant alors la double lecture du film.

Zoé Libault

Consultez la fiche technique du film

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