Présenté au sein du focus Québec au Festival Nouveau Cinéma (FNC) de Montréal, le film d’animation « The Weatherman and the Shadowboxer », de Randall Lloyd Okita, a séduit l’équipe de Format Court par son style personnel et novateur, et la maîtrise de sa narration. Le film, lauréat de notre Prix Format Court au festival, présente deux personnages, deux frères qui ont pris des chemins séparés, suite à une enfance bafouée dont les faits restent ambigus : l’un, un présentateur de météo, entretient une image publique mondaine qu’il porte comme un masque, l’autre devient un « shadowboxer », un combattant de l’ombre qui refuse de fuir la vérité et la violence qui est en lui.
Ou peut-être que l’histoire de ces deux frères n’est qu’un prétexte ? Une allégorie des différentes postures qu’un homme peut adopter face à son propre malheur : le déni ou l’acceptation. Sans dialogues, « The Weatherman and the Shadowboxer » dévoile au spectateur le profil de ces deux frères par le biais d’une voix off. Le texte du narrateur est un des éléments phares du film : poétique et universaliste. Ce sentiment de film allégorique est renforcé par le fait que les deux personnages n’ont pas de visage, pas de voix; toutes les émotions passent par les images, par ce qu’elles ont à elles seules le pouvoir de transmettre.
Le « weatherman » est exposé au monde à travers l’écran de télévision mais son corps est rempli d’autres images mises en abyme : images météorologiques, images d’une ville en feu, données informatiques, explosions, autant d’éléments révélateurs d’un corps et d’un esprit tourmentés, mais sous contrôle permanent. Le second, le « whadowboxer », apparaît toujours de dos ou dans l’ombre, entre deux murs, tel un animal traqué, et communique avec ses poings pour affronter ses démons. Ici, Randall Lloyd Okita nous parle avant tout avec des images, des couleurs, des textures, et une bande sonore soigneusement travaillée par ses collaborateurs et compositeurs : Lodewijk Vos et Joseph Murray.
Le film se démarque par sa façon de traiter le thème de la mémoire et de la construction de l’individu, notamment par l’exploration, au-delà du texte, d’un langage visuel mêlant plusieurs techniques : prise de vue réelle, animations 2D et 3D, photographies surexposées, superpositions d’images, flashbacks, ralentis. La texture de l’image, un mélange intense entre fermeté et beauté, fait de couleurs sombres appuyées et de contrastes travaillés entre ombres et lumière, évoque le style du polar et de certaines bandes dessinés.
Le film commence par plonger le spectateur dans un univers inquiétant et s’ouvre sur des enfants qui jouent et qui, lorsqu’ils se retournent, ont les yeux rayés, effacés. Cette introduction est accompagnée d’un son agressif et inquiétant qui crée une ambiance digne d’un film d’horreur, accentuée par l’apparition même du titre souligné de rouge vif sur fond noir. Randall Okita joue avec les genres. Film d’horreur, néo-noir, bande dessinée, « The Weatherman and the Shadowboxer » est un film hybride inclassable, sur un sujet très personnel mais rendu ici universel. Le réalisateur montre une vraie maîtrise des outils de narration : un univers visuel qui enveloppe le spectateur, un texte d’une grande justesse, un son composé de bruits tonitruants et de musique interprétée au piano, participent à rendre ce portrait de deux âmes en peine poignant et incisif.
Consulter la fiche technique du film
Articles associés : l’interview de Randall Lloyd Okita, le reportage « Randall Lloyd Okita et le cinéma de l’abîme »