Prix de la Meilleure Première Œuvre de Fiction (SACD) au dernier Festival de Clermont-Ferrand, le court-métrage « Son Seul » de Nina Maïni fait partie des films de fin d’études du dernier crû de la prestigieuse Fémis. La jeune cinéaste, issue du département son, livre un court-métrage humble, émouvant et drôle dont la qualité première est de prendre pour sujet le cinéma comme artisanat et pour héros deux figures discrètes et connues des plateaux de tournages : l’ingénieur du son et son perchman.
Gaby et Pierre, respectivement campés par Philippe Duquesne et Pascal Demolon, se retrouvent seuls après une journée de tournage pour enregistrer des «sons seuls» sur une plage, à savoir des sons d’ambiance destinés à alimenter le montage du film en cours de fabrication. Les deux quinquagénaires, amis de longue date ayant roulé leur bosse ensemble, profitent de ce moment d’intimité pour évoquer leur avenir en même temps qu’ils s’appliquent à enregistrer leurs sons seuls, en courant notamment après des cris de mouettes difficiles à obtenir.
Le court-métrage de Nina Maïni force l’admiration, d’abord parce que l’émotion qu’il produit n’excède jamais le cadre très simplement défini par la mise en scène : aucun ajout de musique, aucun effet ostentatoire produit par des mouvements d’appareils sophistiqués ne vient suppléer aux intentions affichés par le récit et la dramaturgie. La réalisatrice s’en remet essentiellement au jeu de ses interprètes, tout en déployant patiemment une mise en scène discrète, construite sur un jeu savant et ludique entre les différentes échelles de plans.
La grammaire du cinéma burlesque à laquelle se réfère la jeune cinéaste a toujours reposé sur un traitement égal de l’image et du son, les films de Jacques Tati ou de Luc Moullet constituant de lointains modèles. Nina Maïni fait à son tour preuve d’inventivité en exploitant la dimension comique de sa situation de départ, où l’effet burlesque n’est pas seulement produit par les mouvements physiques des personnages mis en perspective dans des cadres élargis, mais également par la proximité que produisent les sons enregistrés par les protagonistes à l’intérieur des scènes. La place accordée aux éléments sonores ambiants est prépondérante et le film y trouve son équilibre dans l’économie qu’il fait des dialogues entre les personnages, où le peu de mots qu’ils échangent livrent l’essentiel sans verser dans la psychologie.
Le mérite en revient aux interprètes, le couple Duquesne/Demolon parfaitement accordé, dont nous avions découvert et apprécié l’alchimie dans un précédent court-métrage comique : « Les Chiens verts » de Mathias et Colas Rifkiss (2012). La bonhomie délicieuse de Philippe Duquesne contraste ainsi avec le tempérament de chien fou de Pascal Demolon, les deux acteurs se rejoignant néanmoins au même endroit dans leur jeu, celui de l’enfant, joueur et primesautier, qui s’exprime dans le regard désarmant de tendresse et d’innocence de Duquesne et dans les moues boudeuses de Demolon. Cette qualité de jeu apporte la dernière touche essentielle au constat qu’énonce le film : les artisans du cinéma ne cesseront jamais d’être des enfants, recherchant sans cesse le plaisir dans le travail.
Et le film de se clore de la plus belles des façons, en laissant défiler son générique alors qu’un montage sonore fait se succéder des amorces de prises de sons, les voix des techniciens anonymes s’agglomérant pour constituer un cœur dans un ultime sursaut burlesque. L’élégance et l’humilité dont fait preuve la jeune cinéaste ravit et nous rend curieux d’une prochaine réalisation.