Dans le cadre de son Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage, Frédéric Dubreuil a bénéficié d’une carte blanche lors de la 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand. Il y a présenté une sélection de courts-métrages produits au sein de sa société Envie de tempête Productions ainsi que des films qu’il apprécie particulièrement.
Dans le premier programme, il s’agissait plus exactement d’une programmation pour célébrer les 15 ans d’Envie de tempête, par conséquent uniquement constituée de films produits par la société depuis sa création. L’occasion de voir ou revoir des courts-métrages d’auteurs que suit particulièrement Frédéric Dubreuil. Parmi ces films, 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot, un documentaire expérimental sur la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Le réalisateur manie à merveille les photos d’archives pour montrer ce qu’était la ville d’Hiroshima avant et après le 6 août 1945, mais aussi et surtout pour poser la question de l’oubli face au temps qui passe. Comment oublier de telles horreurs ? Avec cette œuvre, Jean-Gabriel Périot nous glace le sang, insistant sur le devoir de mémoire.
Dans cette programmation, on a pu également voir le dernier film de Sébastien Betbeder, Inupiluk, nommé aux César 2015. Avec une grande poésie et le sens de l’intimité, le réalisateur raconte la rencontre entre deux amis français, Thomas et Thomas, et deux Inuits, Ole et Adam, tout droit venus du Groenland, pour découvrir la France. Ce moyen-métrage manie avec humour tant les dialogues que les situations, et nous touche parce que les personnages prennent le temps d’observer, de communiquer et de vivre tout simplement.
Autres auteurs ayant fait partie de la tribu Envie de tempête, Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, avec leur film Ata. Le court-métrage se passe justement dans la ville de Clermont-Ferrand où une jeune Turque rejoint son amoureux français. Seulement, à peine arrivée, elle se retrouve seule, son compagnon devant partir quelques semaines pour raisons professionnelles. Durant son absence, elle fait la connaissance d’Ata, un ouvrier ouïgour qui travaille sur un chantier juste à côté de chez elle. Un peu comme dans Inupiluk, l’accent est mis sur la rencontre et le lien malgré les grandes différences entre les personnages, et sur l’importance de l’humanité au final.
Frédéric Dubreuil a également choisi de montrer l’un des premiers films produits par Envie de tempête, On a train de Barnabás Toth qui parle aussi d’une rencontre entre deux inconnus très différents l’un de l’autre. Enfin, on retrouve dans cette première sélection un film réalisé par le producteur lui-même, rappelant qu’à l’origine, Envie de tempête Production avait été créée pour produire ses propres films. Il a choisi de montrer ici une comédie déjantée intitulée La place du cœur où quatre éclopés se battent pour une place réservée dans le bus.
Dans le deuxième programme voulu plus « politique », Frédéric Dubreuil a réuni coups de cœur de producteur et films représentant la « ligne éditoriale » de sa société. Il a choisi de mêler le militantisme et la distraction à travers des formes de narration originales.
Parmi ces films, on a pu découvrir ou redécouvrir un petit bijou d’Agnès Varda, Réponse de femmes, documentaire tourné en 1975, qui fait sourire par sa désuétude mais qui retient notre attention de par son propos qui n’a pas beaucoup changé en 40 ans et par le côté « osé » de sa mise en scène.
On a aussi retrouvé deux courts-métrages produits en 2001 par la société de production pas moins engagée, Lardux. Le premier est Je m’appelle de Stéphane Elmadjian. Il dresse le portrait d’hommes français, irlandais, espagnols, … qui ont chacun été confronté à la violence à des périodes différentes du XXe siècle tels que la Seconde Guerre Mondiale, des révolutions ou des manifestations. La voix off de Feodor Atkin raconte la dureté de ce qu’ils ont vécu à la première personne et Stéphane Elmadjian filme des visages abîmés de sorte à nous rappeler les atrocités de l’humanité.
Le deuxième film de la société Lardux proposé dans cette carte blanche est À propos d’Éric P de Pierre Merejkowsky dans lequel celui-ci fait un portrait à la limite du documentaire et de la fiction d’Éric P., militant écologiste qui a lutté contre la construction du tunnel de Somport, mais qui n’a été ni entouré ni suivi dans ce combat. Le réalisateur se penche ainsi sur la personnalité d’un homme engagé mais déchu en comparaison avec José Bové, connu et reconnu.
Cette sélection a également proposé quatre films, certes assez différents les uns des autres, mais qui se moquent tous de manière assez poussive et à la limite du mauvais goût de notre chère société. Évoquons tout d’abord Viejo pascuero de Jean-Baptiste Huber dans lequel un enfant des bidonvilles chilien écrit une lettre d’insultes au Père Noël pour les cadeaux qu’il lui a fait. Le film est assez touchant lorsqu’on découvre que l’enfant, malgré sa misère, croit dur comme fer au Père Noël et à la magie qui l’accompagne, mais aussi au rock ‘n’ roll lorsqu’on découvre la manière dont il s’adresse au vieux barbu.
Ensuite, Il était une fois l’huile, film d’animation ayant beaucoup circulé en festival en 2010-2011, réalisé par Vincent Paronnaud, joue autour d’une parodie de publicité et de programme pour enfants. Tel un dessin animé éducatif, deux enfants se retrouvent en effet à faire un voyage merveilleux dans l’usine de fabrication des huiles Méroll (servant aux voitures et fritures !) en compagnie de la mascotte de la marque, Goutix. Le film est 100% politiquement incorrect; ce qui le rend absolument jouissif.
Dans le cadre de ce programme, on a pu voir aussi A heap of trouble de Steve Sullivan, un film très court (4 minutes), tout à fait barré comme savent le faire les Anglo-Saxons. N’en disons pas plus, de peur de dévoiler la cause du trouble de ce quartier résidentiel britannique, si ce n’est qu’il ne dérangera que les personnes les plus prudes et fera bien rire les autres. Autre film limite, Le poteau rose de Michel Leclerc ou la façon très crue mais aussi très drôle de raconter une histoire d’amour à la manière d’un journal intime filmé avec la patte « gaucho » du co-réalisateur du Nom des gens.
Enfin, Frédéric Dubreuil a souhaité remettre quelques films forts de Jean-Gabriel Périot produits par Envie de tempête tels que Eût-elle été criminelle et The Devil. Là encore, le réalisateur nous perturbe ou plus exactement nous questionne sur l’Histoire et ses horreurs que sont ici la Seconde guerre mondiale et le racisme aux États-Unis. Quelles sont les limites de l’humain ? Qu’est-ce qui anime les combats ? À travers une sublime utilisation des archives, Jean-Gabriel Périot prouve à nouveau qu’il est un grand humaniste.
Dernier film à composer cette carte blanche : Jean et Monsieur Alfred réalisé par Frédéric Dubreuil, pointant les inégalités sociales à travers une sorte de conte comique. Selon ses dires, il a placé ce film faute d’avoir pu mettre la main sur L’île aux fleurs de Jorge Furtado tandis qu’il n’avait aucun problème de droit et de copie pour le sien. Réjouissant de ce fait de pouvoir voir l’un des tous premiers films du réalisateur devenu producteur et de comprendre ainsi son goût pour les films engagés avec un ton léger.
Cette carte blanche a permis à Frédéric Dubreuil d’échanger autour d’idées, d’évènements et de constats sociaux sans « se prendre la tête » pour autant. Selon lui, « le court-métrage est l’endroit de la prise de parole directe, sans censure » et ces deux programmes visibles au Festival de Clermont-Ferrand en ont été la preuve. À l’heure où il est plus que jamais d’actualité que d’être solidaires et engagés, ce programme a donné davantage d' »envies de tempête.
Article associé : l’interview de Frédéric Dubreuil