Grand habitué des sélections Labo du Festival de Clermont-Ferrand, Olivier Smolders présente cette année en compétition internationale « La Légende Dorée », un nouveau projet qui adopte la forme du portrait documentaire pour mieux explorer la psyché d‘un patient d’institut psychiatrique à travers un livre de collages d’images, dont il est l’auteur et qui se trouve rempli d’histoires violentes et de personnages décadents. Un film captivant qui réfléchit sur le mensonge inhérent derrière chaque histoire et notamment celle qui souhaite devenir une doctrine.
Philippe Grand’Henry, patient interné dans une institution psychiatrique, nourrit une obsession pour les personnages historiques déviants. Dans une longue “litanie” face caméra, il raconte la vie d’assassins irresponsables, de monstres de foire et autres musiciens damnés, à travers un livre de collage d’images de sa conception. Suivant le cheminement sinueux de sa pensée, qui se déploie par associations d’idées et ressenti personnel, « La Légende Dorée » met à nu la psyché de cet homme et entreprend une réflexion sur le pouvoir infini et pernicieux de l’Histoire et des mots.
« La Légende Dorée » se réfère à un livre du XIIIème siècle, portant le même nom et écrit par Jacques de Voragine, qui raconte la vie d’une centaine de saints et martyrs chrétiens. Il est considéré comme un ouvrage de référence sur la mythologie chrétienne, et plusieurs prédicateurs s’en sont servis pour légitimer leurs sermons en faisant de ces saints des modèles de vie à suivre.
Le parallélisme sémantique obtenu entre les deux titres permet à Olivier Smolders d’entamer une réflexion autour de la puissance des mots comme vecteurs illusoires de vérité. Par exemple, Philippe Grand’Henry raconte tour à tour être le fils d’un pétomane et d’un cannibale, il mélange véracité historique et affabulation personnelle, et se crée une sorte de mythologie imaginaire, foncièrement intime. Sa collection d’images et d’histoires de “saints et martyrs extravagants” ne se présente pas comme vraie, mais elle définit sa personnalité et son essence, lui qui “n’est pas fou, mais qui a juste des problèmes de mémoire”. C’est en quelque sorte “sa” vérité et ce qui lui permet d’affronter la tristesse, la désorientation et la solitude inhérentes à toute existence.
Succession d’images fascinantes au fil de collages savants et minutieux, histoires ensorcelantes narrant les actions barbares du Dr Holmes, de la comtesse Bathory ou encore du compositeur italien Carlo Gesualdo, « La Légende Dorée » se révèle virtuose en fin de métrage avec une séquence finale qui juxtapose en surimpression certains personnages clés avec Philippe lui-même. Au cours de cette séquence, le conteur et les contés ne font plus qu’un tout qui s’en prend avec véhémence à toute forme de vérité avérée, et notamment à celle de Dieu. Asséné comme une véritable profession de foi, ce discours final met en garde contre l’utilisation néfaste des histoires, qui “ne devraient pas servir à autre chose qu’à rêver… qu’à faire souffrir sans faire le mal…”, et se conclut sur une note plus mélancolique où l’on découvre un homme fragilisé, non pas fou, mais complètement perdu.
« La Légende Dorée » est une oeuvre riche qui questionne sur la vérité derrière tout homme. Cette vérité, n’est-elle pas qu’un assemblage disparate d’histoires contradictoires ? Ne devrait-elle pas se cantonner à ne définir qu’un seul être et ne pas essayer de s’imposer avec violence aux autres ?