Chaque année, la Procirep récompense une société de production de courts-métrages lors du Festival de Clermont-Ferrand, ce qui met en lumière un producteur, sa carrière et ses productions passées et à venir. En 2014, Envie de tempête Productions et son créateur-directeur Frédéric Dubreuil se sont vus remettre ce prix. Le producteur a bénéficié d’une dotation de 5.000€ à utiliser sur une prochaine production de court-métrage et d’une carte blanche lors de la dernière édition du Festival de Clermont-Ferrand.
Nous avons rencontré Frédéric Dubreuil dans ses bureaux du 20e arrondissement à Paris pour une discussion passionnée sur le métier de producteur tel qu’il le conçoit et sur le cinéma en général. Alors que le court-métrage Inupiluk est nommé aux prochains César et qu’il prépare deux tournages de longs-métrages, le producteur n’oublie en aucun cas ce qui l’a motivé à ses débuts, c’est-à-dire un cinéma engagé politiquement et artistiquement avec une nécessité de continuer à des films.
Format Court : Peux-tu nous parler de ce qui t’a amené à faire du cinéma ?
Frédéric Dubreuil : Très jeune déjà, je faisais des petits films en super 8. Je devais avoir 6 ou 7 ans et je m’amusais à faire des petits films d’animation avec la caméra de mes parents. Depuis le début, sans que je puisse expliquer pourquoi, j’avais ce désir de faire du cinéma et plus particulièrement de la réalisation. J’ai donc orienté toute mon adolescence dans ce sens-là. J’ai commencé à faire du théâtre assez jeune en tant que comédien amateur. Après, je suis rentré dans une troupe permanente. Je suis devenu administrateur presse en même temps. En parallèle, je faisais un BTS audiovisuel option montage à Boulogne. Ça a duré deux ans. A côté, j’ai créé une association avec des amis techniciens pour faire des courts-métrages que je réalisais à l’époque. De fil en aiguille, pour essayer de toucher des subventions, on a décidé de créer Envie de Tempête Productions sur cette même base, dans l’idée de produire et diffuser mes films, mais aussi de produire d’autres ceux des autres. J’ai toujours eu le goût d’accompagner, que ce soit en presse pour la troupe de théâtre ou pour nourrir des projets des autres au niveau cinématographique.
En effet, je ne cherchais pas à vouloir être à tout prix réalisateur et à ne faire que ça. Il y avait vraiment cette idée de fédérer des compagnons et des camarades réalisateurs pour qu’on puisse, ensemble, faire des films, plutôt dans un esprit un peu frondeur avec initialement une volonté de remettre en question des choses. C’est pour cette raison que le format du court-métrage était naturellement évident puisque c’est selon moi, le seul endroit du cinéma où l’on peut se permettre d’être impertinent, tenter des choses et surtout, les rater. Ce droit-là est fondamental lorsqu’on apprend nos métiers.
Est-ce qu’à la base du nom de ta société de production, Envie de Tempête, il y a une intention militante ?
F.D. : Bien sûr oui, toujours aujourd’hui, je pense, même si ça a évolué avec mon âge et mon expérience. Pour la petite histoire, au début, nous avions pensé à Avis de tempête. Nous sommes allés à l’INPI pour protéger le nom et nous nous sommes aperçus que quelqu’un d’autre avait déjà déposé ce nom. En fouillant un peu, je me suis rendue compte que la personne avait déposé une quinzaine de noms en relation avec Avis de tempête et j’ai eu peur qu’elle protège plein de noms pour faire des procès derrière. Nous avons donc arrondi à Envie de tempête et je ne le regrette pas. Le nom est, à mon avis, plus percutant, voire plus amusant avec le jeu de mots. De plus, il correspond à notre idée de désir militant et à celui de faire des films. J’ai toujours eu envie que l’on apprenne par nous-mêmes, que l’on remette en question des choses, le cinéma de fait et que l’on continuer à chercher. J’apprécie le fait de prendre des risques et de proposer des œuvres pas forcément attendues. Je trouve mon plaisir de producteur dans ce genre de pari. Je préfère même quelque part, un film un peu raté mais qui tente quelque chose qu’un film bien fait mais dont on ne se souvient plus une semaine après. Au risque de paraître prétentieux, l’ambition qu’il y a derrière tout ça est de faire des films marquants.
Tu évoques des films marquants avec des aspects militants, mais y a-t-il pour autant une ligne éditoriale chez Envie de Tempête ? La question se pose surtout lorsqu’on observe les œuvres de deux des auteurs que tu suis, Jean-Gabriel Périot et Sébastien Betbeder, qui sont résolument différentes.
F.D. : En vieillissant, les choses s’affinent un peu, dans le sens où le côté militant et politique se retrouve dans différentes strates. Il y a d’un côté Jean-Gabriel Périot, un auteur qui propose une vraie proximité dans le propos et dans la forme et qui me touche depuis le début. On avait produit son premier film, We are winning don’t forget. J’aime beaucoup ce qu’il fait car il a quelque chose d’impertinent qui me correspond aussi et j’aime plutôt l’idée de mettre les pieds dans le plat en tant que producteur.
D’un autre côté, il y a Sébastien Betbeder qui est en effet beaucoup plus mesuré, mais qui présente tout de même des aspects politiques car il réalise des films profondément courageux, dotés d’une forme et d’un enjeu artistique. Ses films sont à la fois accessibles et dotés d’une exigence intellectuelle.
À mes yeux, défendre le cinéma comme un acte poétique, c’est un acte politique, simplement parce qu’imposer de la poésie aujourd’hui va à l’encontre du monde dans lequel on vit.
En parlant de Sébastien Betbeder, comment gères-tu sa capacité et son énergie de création ? Avec deux longs-métrages et un court-métrage en 2012, puis un court en 2014 et deux longs à venir en 2015, son rythme est assez effréné. Comment s’envisage une telle production en plus des autres projets de ta société ?
F.D. : Je crois que Sébastien et moi nous sommes rencontrés à un moment de nos vies où nous passions un cap l’un et l’autre : pour moi, de passer au long-métrage et pour lui, de continuer ses réalisations, mais à sa façon. Je pense qu’il a trouvé chez moi un compagnon de route, quelqu’un qui se bat, de A à Z pour ses films et qui le fait intégralement. Ceci étant, c’est sûr que comme Sébastien est très productif, ça me laisse assez peu de temps pour d’autres gens.
Les questionnements autour du long et autour du court ne sont pas tout à fait les mêmes. Après quinze d’expérience, j’arrive à démêler le fait que je suis un artisan dans l’âme. Je préfère donc suivre peu de réalisateurs et faire les choses bien plutôt que d’essayer d’être dans un flux perpétuel de renouvellement ou de trouver la bonne affaire. Cela ne nous empêche pas parallèlement, de suivre d’autres auteurs. On vient d’ailleurs de finir de produire trois courts-métrages.
À ce propos, quels sont les projets pour 2015 ?
F.D. : On produit deux longs-métrages coup sur coup de Sébastien puisqu’on finit le tournage de Marie et les naufragés en février puis on part le 23 mars au Groenland pour tourner à nouveau. On prépare aussi deux moyens-métrages : le premier de Thomas Blanchard qui joue dans Inupiluk et le deuxième de Darielle Tillon qui avait réalisé un long en 2009, Une nouvelle ère glaciaire et un court qui avait très bien marché en 2002, À la vitesse d’un cheval au galop. On va également travailler avec Philippe Petit qui fait partie de la bande de Quentin Dupieux. Je suis intéressé par tous ces gens car je ressens chez eux une vraie nécessité de faire des films. On se transmet donc nos énergies.
Tu as beau produire désormais des longs-métrages, tu continues à produire des courts. Quelles sont tes motivations à persister dans ce format ?
F.D. : Pour moi, le court-métrage représente l’avant-garde du cinéma. On a donc besoin de réfléchir sans arrêt sur ce qu’est le cinéma et vers quoi on tend. Le court-métrage permet de tenter ces choses-là et de s’affirmer comme tel. En d’autres termes, on a besoin d’être frondeur quand on fait du court-métrage. Après, il y a d’autres enjeux et d’autres contraintes à produire des longs-métrages. J’ai en réalité l’envie et le besoin de rester dans le court-métrage, d’une part pour rencontrer des gens et de tester une collaboration, d’autre part parce que j’ai l’impression ainsi, d’être au bon endroit pour le cinéma que je fais. Encore une fois, le pari est ce qui m’excite le plus. Par moment, une pépite arrive, à l’image de Jean-Gabriel Périot par exemple, avec des films superbes tels que Eût-elle été criminelle qui est d’une violence inouïe et d’une modernité énorme et qui, huit après, continuer à tourner encore en festivals.
Je pense qu’il y a tellement peu de places dans le long-métrage que nous, les jeunes producteurs ou les producteurs de courts, ne sommes pas les bienvenus. De ce fait, on nous met dans la marge si bien que tout notre enjeu est de justement faire briller cette marge. On en est obligé de se situer là. À chaque coup que je fais, je remets presque en question ma structure. Il s’avère que pour Marie et les naufragés, on a un petit budget de long, mais malgré ça, j’investis beaucoup et je joue de ma boîte. Il faut donc que le film marche. Je n’ai pas le choix, mais c’est aussi parce qu’on ne nous laisse pas le choix. C’est la seule place qu’on nous laisse et où l’on peut exister lorsqu’on n’est pas issu du sérail.
Il y a aussi des auteurs que tu as suivis pendant un temps et qui travaillent aujourd’hui, auprès d’autres structures de production, comme par exemple Jean-Gabriel Périot.
F.D. : J’ai en effet produit le premier film de Jean-Gabriel, ainsi que les suivants, ses quatre premiers films et sa première fiction exactement. On a eu une vraie histoire. Puis, à un moment donné, il a eu envie de faire un long-métrage. C’est tombé au moment où l’un de mes collègues a quitté la structure d’Envie de tempête et c’était un peu compliqué. À l’époque, je ne me sentais pas la force et le courage de l’accompagner sur du long et on s’est donc séparé d’un commun accord. La séparation s’est faite dans une bonne entente qui fait que l’on se retrouve aujourd’hui. Tout récemment, j’ai produit son dernier film, Si jamais nous devons disparaître ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, qui à peine terminé, était déjà sélectionné dans plusieurs festivals. Lorsque Jean-Gabriel est parti de chez nous, il a fait un petit passage chez Sacrebleu qui l’avait appelé. Après, il est allé naturellement chez Local Films car il montait des films pour Lorenzo Recio. Avec eux, il a fait son premier long, Une jeunesse allemande, qui vient d’être sélectionné à Berlin. J’aurais adoré produire ce film qu’il nous avait proposé à l’époque. Je m’en suis voulu mais on n’était pas prêts, alors je ne regrette rien.
Avec le recul, je m’aperçois qu’on a produit les films de bon nombre de personnes qui ont fait du long derrière avec d’autres boîtes : Emmanuel Gras, Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci aussi dont on a produit plusieurs films et Patrice Deboosère également qui prépare son premier long ailleurs. Il n’y a jamais eu de dispute avec ces auteurs, on ne s’est jamais fâchés. Ils sont partis comme dans une histoire d’amour en fait.
En parlant de la relation auteur/producteur, comment ça se passe avec tes auteurs vu que toi-même, tu réalises ?
F.D. : J’ai été moi-même auteur-réalisateur. Depuis environ quatre ans, je n’ai pas écrit une seule ligne ni réalisé un film. Je me situe comme producteur et c’est depuis ce temps-là qu’Envie de tempête existe vraiment dans le regard des gens. Aujourd’hui, je n’ennuie pas trop les auteurs que je suis avec mes propres réalisations. Je n’ai pas de frustration non plus car je prends beaucoup de plaisir à accompagner les autres. Le jour où je sentirai une quelconque frustration, je pense que je réaliserai à nouveau, mais aujourd’hui, je suis dans une autre dynamique et je n’ai pas l’urgente nécessité de raconter quelque chose sur un écran. En revanche, comme j’ai été réalisateur, j’ai une vraie proximité avec les problématiques de mes pairs. Je suis dans une pensée artistique avant tout parce que je sais l’importance que ça a pour un réalisateur et je pense que c’est une vraie qualité. Après, pour être honnête, j’ai 40 ans et les gens que je produis sont plus en liaison avec mon âge et mes problématiques que des jeunes réalisateurs. Néanmoins, je suis un peu partagé. Je trouve ça très bien de se nourrir de gens plus jeunes qui vont amener un nouveau regard, quelque chose de frais, mais j’ai aussi toujours la crainte de ne pas comprendre, de me retrouver trop âgé pour gérer ces films-là. Ceci dit, je tiens à prendre chaque année un nouveau réalisateur qu’on ne connaît de nulle part et qui m’envoie son scénario par la poste. L’objectif est par conséquent de renouveler un peu le cheptel et de s’ouvrir justement à des gens nouveaux.
Tu es le lauréat 2014 du Prix Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage. Que représente ce prix pour toi ?
F.D. : C’est un prix qui m’a beaucoup touché car pour moi, c’est surtout un prix de camaraderie. Certes, c’est l’organisme de la Procirep qui génère ce prix, mais en fait, ce sont les copains producteurs qui votent pour les autres copains. C’est amusant car je constate chaque année que pour la plupart des producteurs qui reçoivent le prix, cela correspond dans leur carrière au moment où ils passent au long-métrage. Je pense que les copains producteurs remarquent quand l’un d’entre nous se lance et ils soutiennent ce mouvement-là. On se sent donc très épaulé, très porté par ces gens qu’on croise tout le temps et c’est assez agréable. C’est un prix fraternel en fait alors que bien souvent, on n’a pas assez le sens du collectif. Il faudrait qu’on se fédère plus pour prendre le pouvoir et pour pouvoir dire que c’est à notre tour d’arriver sur le long, autrement dit, de créer une nouvelle vague.
Peux-tu nous parler de la carte blanche dont tu as bénéficié durant cette 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand ?
F.D. : En réalité, il y a deux programmes. Le premier correspond aux quinze ans d’Envie de tempête (CB1). On y montre quelques uns des films qu’on a produits et qui ont marché ces quinze dernières années, des films dont on est fiers et qu’on a envie de revoir. C’est pour cette raison qu’on a programmé par exemple, Inupiluk ou encore 200 000 fantômes.
Pour le deuxième programme (CB2), je souhaitais programmer L’île aux fleurs de Jorge Furtado, mais je n’ai malheureusement pas réussi à l’avoir. Je voulais aussi prendre un film de Chris Marker mais il était trop dur à trouver. Je me suis donc rabattu sur un programme qui me plaît beaucoup, mais qui aurait peut-être été un peu différent si j’avais eu plus de temps ou si le Festival de Clermont m’avais aidé à trouver les copies des films qui m’intéressaient. Néanmoins, les films que j’ai choisis pour ce deuxième programme (A heap of trouble, Il était une fois l’huile, Viejo pascuero, …) correspondent à ce que je voulais montrer, c’est-à-dire qu’il est important de revendiquer que le court-métrage est aussi un acte politique, surtout avec ce qui se passe en ce moment. Après, ce ne sont que des films que j’ai particulièrement aimés. Ce sont des films qui rentrent dans un discours de fond mais revendiquent, tentent des choses et sont pour autant, de vrais films réussis. Ce sont des courts dans lequel il y a un réel enjeu qui dépasse le film et qui provoquent quelque chose. Parallèlement, ce sont des films distrayants et décalés. On y retrouve vraiment de la joie et du plaisir, voire un aspect assez festif qui colle d’ailleurs un peu à ma perception du Festival de Clermont.
Propos recueillis par Camille Monin
Article associé : Retour sur la carte blanche à Envie de tempête Productions à Clermont-Ferrand