« Condom Lead », premier court-métrage palestinien sélectionné au festival de Cannes (2013), était présenté cette année en ouverture de la programmation « Palestine » à Clermont-Ferrand. Les réalisateurs, Tarzan et Arab Nasser, frères jumeaux, offrent une terrifiante déclaration d’amour et de désespoir dans un film court, sans paroles et avec une grande économie de moyens (budget quasi inexistant, tournage en un jour).
2009. L’opération Cast Lead/Plomb durci contre la bande de Gaza dure 22 jours sans interruption. Au cœur de la débâcle, un couple tente chaque nuit de faire l’amour. Peine perdue : les déflagrations des obus réveillent le bébé endormi dans la chambre, la femme se lève pour l’apaiser… et l’homme n’a plus qu’à gonfler le préservatif tout juste ouvert. Recyclage ludique et amer en ballons incongrus qui envahissent la chambre conjugale nuit après nuit. Jusqu’à la scène finale : accoudé à son balcon, l’homme observe, le temps d’une cigarette, la ville et la nuée de ballons transparents qui la survole.
La simplicité du scénario, l’absence de dialogue, la guerre suggérée par le hors champ sonore et les jeux de lumières dans la pénombre de la chambre, tout concourt à un propos minimal et terriblement éloquent. Urgence du geste vital. S’aimer pour conjurer la peur, pour rester dans l’ici et maintenant. Pour continuer d’exister. Eros et Thanatos intimement mêlés, une fois de plus. Le mouvement de rapprochement du couple est décomposé en micro-gestes, un dosage millimétré d’une lenteur et d’une précaution à couper le souffle. Comme si une maladresse, une précipitation brusque pouvait engendrer l’explosion venue de l’extérieur. Faire l’amour en marchant sur des œufs. Un certain érotisme se dégage de ces effleurements, de ces milles attentions, l’acte est réduit à sa pure nécessité. On ne peut s’empêcher de penser au texte de Mahmoud Darwich, le poète palestinien (« Une mémoire pour l’Oubli ») et à sa quête de café durant l’assaut de Beyrouth. Où la volonté de perpétrer le geste ordinaire et journalier est cruciale. Savourer le café devient question de vie ou de mort. Le gouffre est là, dans l’impossibilité menaçante d’accomplir le rite matinal et essentiel :« Comment faire pénétrer l’odeur du café dans mes cellules, tandis que les obus s’abattent sur la cuisine ouverte au-dessus la mer, répandant des senteurs de poudre et la saveur du néant ? (…) Je ne me demande plus si les murs du couloir offrent une protection suffisante contre la pluie d’obus. L’important, c’est qu’il existe une paroi pour me dérober à ce ciel transformé en métal dévoreur de chair. (…) Je veux sentir l’odeur du café. Cinq minutes. Je veux une trêve de cinq minutes pour un café. (…) Tous mes sens sont tendus vers cet unique appel. »
L’échappée générale des ballons/préservatifs développe une fin à deux versants, une interprétation ouverte et ambivalente. Ils arrivent pour ponctuer une interrogation toujours plus féroce et actuelle : comment envisager de donner encore la vie dans un monde où la folie des hommes broie tout sur son passage, jusqu’aux velléités d’accouplement ? Comment l’assouvissement d’un désir solide et tenace est-il encore tangible ? Comment penser l’avenir dans un décor si funeste ? Et pourtant la capote, objet utile et pragmatique, passe du concret trivial au message poétique, drôle et politique. La multitude de baudruches surplombant la cité vient réaffirmer l’omniprésence d’une résistance du quotidien, sa force et sa patience. Et le spectateur oscille : veut-il voir dans le calme de la contemplation de l’homme sur son balcon une forme de résignation, ou au contraire de confiance dans cette métamorphose éphémère et onirique du paysage ? Beau pied de nez alors à la laideur de la réalité…