Depuis quelques années, le court-métrage Disney est, avec celui de Pixar, une véritable star. Au Festival d’Annecy par exemple, il a souvent droit à une présentation très complète, souvent plus longue que le long-métrage auquel il est attaché.
Cette année, le court-métrage « Feast » (littéralement “Festin”), première réalisation de Patrick Osborne, montrait, en 3D et en relief, une quantité affolante de nourriture ingurgitée par un chien. L’intérêt serait plutôt limité si on ne précisait pas les deux originalités du film. En premier lieu, une belle fibre poétique se dégage de la description des histoires de cœur d’un maître, vues depuis le point de vue de son chien.
Il y a aussi dans ce court de Disney un style unique, utilisant la 3D mais cherchant aussi à capturer le trait crayonné. Le type d’image, hybride au final, ne laisse pas l’oeil tranquille. Jeff Turley, le directeur artistique à l’origine de ces images n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà signé celles de l’oscarisé « Paperman », à l’esthétique en noir et blanc très dessinée. Pour « Feast », on retrouve également la productrice Kristina Reed, elle aussi déjà présente sur « Paperman ». Petite discussion avec ces deux figures importantes du court-métrage chez Disney, ainsi qu’avec un nouveau venu, le réalisateur de « Feast », Patrick Osborne.
Ayant commencé dans les effets spéciaux, comment avez-vous décidé de vous tourner vers un cinéma aussi graphique que celui de « Paperman » et de « Feast » ?
Patrick Osborne : Quand vous travaillez dans les effets spéciaux, il y a un moment où vous réalisez que vos images sont conçues autour des acteurs et leur performance vous semble d’autant plus intéressante. Quand je suis arrivé chez Disney pour « Volt », ça m’a donné l’opportunité d’être acteur. En fait, quand on est animateur, il faut incarner les personnages pour chercher leurs mouvements et c’est vraiment une étape amusante. En effets spéciaux, il y a pas mal de belles choses, mais ça se réduit souvent à une sorte de mécanique. Il s’agit de rendre réaliste l’environnement autour des acteurs. Or, je me suis rendu compte que c’était plus intéressant de jouer. J’ai eu envie d’être celui qui fait l’action, au moins en tant qu’animateur, et pas seulement celui qui contribue au réalisme du plan.
C’est ce que fait Disney en un sens : transporter le spectateur dans un univers où tout devient une performance d’acteur. Il y a donc de longs plans muets où seule l’expressivité du personnage compte. J’aime beaucoup ça et c’est cette tendance actuelle avec leurs derniers longs métrages (« Volt », « Raiponce », « La Reine des neiges ») et aussi leurs courts (« Paperman ») qui m’a donné envie de développer mon propre projet de court-métrage. D’ailleurs, quand j’ai eu l’opportunité de faire un court-métrage, tous mes scénarios avaient des dialogues. Je trouve que c’est la partie la plus intéressante à écrire.
Du coup, pourquoi avez-vous choisi d’incarner un chien, celui de votre enfance qui plus est ?
P. O. : J’ai eu des chiens pendant toute mon enfance, mais ils ne ressemblaient pas à ceux du film. Ils étaient plus beaux, mais il y a trop de beaux chiens dans l’animation. C’est un écueil facile, surtout chez Disney, le « beau cabot de studio ». On voulait aussi travailler à partir d’un graphisme plat, donc il nous est venu l’idée d’un chien ayant un pelage à motifs permettant de mieux repérer ses mouvements par rapport au décor. Aussi, les chiens ont un rapport à la nourriture qui est très direct et je voulais raconter une histoire liant la nourriture et d’autres sujets plus larges comme la famille ou l’amour ; le chien m’est alors apparu comme ce lien.
J’imagine que la sentimentalité du film touchera sûrement davantage les parents. Mais j’ai tenu à ce qu les enfants puissent suivre le film, même s’ils ne comprennent pas tous les concepts attachés à ce qu’ils n’ont pas encore vécu.
Est-ce plus simple de travailler sur un court-métrage que sur un long chez Disney ? Êtes-vous plus libre ?
Kristina Reed : Il faut s’insérer au milieu de productions bien plus grosses. Il y a déjà « de plus gros bateaux qui occupent le canal », des longs métrages. Mon travail consiste donc à recruter les bonnes personnes, à exploiter les ressources techniques dans les moments de creux, à trouver des arrangements commerciaux.
Jeff Turley : En tant que chef déco, je sais qu’on réajuste même certains aspects visuels du film en fonction des personnes qu’on arrive à avoir réellement et certains talents inattendus orientent le résultat final de manière imprévue. Toute la question est donc d’orienter ces changements par rapport à l’idée de départ pour que le film conserve sa cohérence.
Au vu de ce genre de difficultés, je pense pour ma part et pour répondre à votre question, que le court-métrage est plus difficile. Il y a énormément d’intervenants, tous très différents. Malgré cela, il faut organiser une production en miniature. C’est une difficulté supplémentaire.
K.R. : Cependant, il y a désormais, et depuis quelques années, un début de tradition autour de la « petite perle » en court-métrage. Nos productions en forme courte sont désormais bien plus respectées et considérées qu’avant au sein de chez Disney. Elles sont vues comme des sources d’inspiration autant artistique que technique. C’est donc plus simple aujourd’hui de produire. Disney fait des courts-métrages depuis ses tout débuts mais il y a une nouvelle énergie dans le studio autour du court-métrage. C’est en partie depuis « Paperman », (NDR : Oscar du meilleur court-métrage d’animation 2013) que Disney a mieux compris ce que le court pouvait apporter au studio : un lieu d’innovation, mais aussi, un moment de remise en question de la narration. C’est devenu plus simple à produire pour ces raisons-là. Il y a même désormais, en interne, des programmes plus formels, ce qui est encore mieux.
Pouvez-vous nous en parler ?
K. R. : Il y a un programme chez Disney que nous appelons « Spark » (« L’étincelle »), où chacun peut proposer un projet. On vous donne un mois pour développer ce que vous souhaitez. La seule contrainte est de ne pas être engagé sur une autre production pendant ce temps-là. Patrick a donc engagé Jeff et quelques autres animateurs sur son projet, « Pet ».
P. O. : C’est un exercice pour faire la bande-annonce d’un faux film qui n’existera jamais. C’est donc surtout une recherche visuelle, plus encore qu’un film. C’est ainsi que j’ai rencontré Jeff. Nous sommes devenus très proches et c’est rare dans une structure aussi grande, avec près de 700 personnes. On s’est dit qu’on pourrait se passer du reste d’une équipe classique pour un moment. En travaillant au même endroit, on s’est rendu compte qu’on tentait de « détruire » un peu les outils qu’on avait. On luttait contre l’image numérique tout en l’utilisant pour en faire ce qu’on voulait.
Le film qui résulte de « Spark » reste-t-il au sein de Disney ? Vous ne faites jamais de partenariats avec d’autres studios lors de ces programmes ?
P. O. : Le film reste effectivement en interne chez Disney. Le programme est destiné aux artistes maison, il leur permet de travailler leurs idées qu’ils doivent apprendre à pitcher. Cela ne concerne pas seulement les artistes. Une telle production implique également des techniciens. C’est en fait une belle opportunité de se rencontrer pour tous ceux qui travaillent dans le studio et c’est vraiment une belle idée.
Qu’avez-vous conservé de l’exercice « Pets » et du programme « Spark » que vous avez aimé retravailler sur « Feast » ?
J. T. : Il y a beaucoup d’éléments notamment graphiques. Il y a aussi cette idée d’utiliser les outils informatiques pour d’autres buts que ce pour quoi ils ont été conçus. Patrick voulait vraiment mettre le développement graphique original de son histoire en avant et on a tenté de rester fidèle à ce principe. D’autres films le font, mais ici, le développement graphique devient l’inspiration première du film, ce qui est assez rare. C’est une idée qui vient de « Pets ».
P. O. : On a aussi utilisé des idées issues de la mode et du type de photographie moderne qu’elle produit. On a fait venir un photographe spécialisé en publicité alimentaire qui nous a expliqué quelle lumière rendait la nourriture appétissante. La principale idée graphique que je souhaitais utiliser est que la lumière sculpte les objets mais influence aussi les sentiments liés à ces objets.
Une autre inspiration extérieure nous est venue d’un travail qu’on a fait sur les split-screen, qu’on a répertorié dans les films, avec ou sans musique. Par exemple, on est arrivé à la conclusion que sans musique, on trouvait que le personnage était mieux mis en valeur.
K. R. : Pour revenir à l’aspect visuel du film il faut se rendre compte que les outils utilisés pour « Feast » sont les mêmes que ceux utilisés pour « Big Hero 6 », le long-métrage qu’il accompagne. L’aspect visuel est complètement différent d’un film à l’autre, voire radicalement opposé. « Big hero 6 » est un film très lisse où le trait est invisible. L’univers visuel de « Feast » est bien plus rugueux. L’association des deux fonctionne d’autant mieux par contraste. Ce n’est pas une question d’outils mais une question d’artistes.
Comment avez vous choisi de faire chaque coupe du film en flou au début de chaque plan ? Etait-ce pour donner une réelle consistance au temps qui passe dans « Feast » dont l’histoire se déroule sur plusieurs années ?
P. O. : Il y a l’idée du passage du temps, c’est vrai, mais aussi le fait que le chien parcourt des lieux différents. Je me suis alors rendu compte que ça allait trop vite pour le spectateur qui doit bouger ses yeux trop rapidement et manque la performance d’acteur que je voulait justement mettre en avant.
Pour donner l’impression que cette performance est saisie en une fois, nous avons eu un seul animateur pour animer toute cette longue séquence. Il a donc choisi de lier les arrière-plans afin d’aider le spectateur à suivre l’action. Ça prendrait trop de temps sinon, pour qu’à chaque décor, le spectateur s’y retrouve sans perdre de vue le personnage principal. Chaque décor remettant à zéro les possibles, on a préféré une transition douce qui, à nouveau, va dans le sens d’une seule performance d’acteur pour le chien, le personnage que l’on suit en premier dans le film. On insiste ainsi également visuellement sur la gradation, car dans cette première séquence, le chien apprécie la nourriture de plus en plus.
K. R.: Au niveau pratique, le court-métrage dure 6 minutes pour 60 plans. La plupart des plans durent 3 à 4 secondes. C’était donc un souci constant de ne pas perdre le spectateur.
Comment avez-vous travaillé le soundesign ?
K. R. : On a utilisé la musique au début du film, comme tout les autres outils, pour indiquer le temps qui passe. Il y a une chanson des années 1990, une mélodie bien différente plus tard et l’idée est de colorer chaque scène d’une atmosphère qui lui est propre. L’idée est d’amener le spectateur à regrouper les éléments de l’histoire lui-même. Normalement, surtout chez Disney, la musique indique quoi penser, mais ici, elle incite le spectateur à penser par lui-même.
Comment définiriez-vous dans votre travail la limite entre le style et la description de la réalité?
J. T. : C’est vraiment une question compliquée. Quand nous travaillions sur « Paperman », John Lassetter (NDR : Fondateur de Pixar, réalisateur de « Toy Story » et actuel directeur de Walt Disney Animation Studios) a dit quelque chose qui m’a marqué : « Quand le style vient se mettre entre l’histoire et le spectateur, il devient superflu. » Il arrive que le style fasse obstacle à ce que vous essayez de dire, qu’il se suffise à lui-même. Cela arrive quand vous saisissez mal les contours de votre histoire. C’est là qu’il faut faire le choix douloureux de lier votre style à votre histoire. Et on arrive, du coup, à des réflexions comme : « Cette texture ne fonctionnera pas pour la scène ». Il faut donc ne garder que les éléments de style utiles à ce que vous avez à dire.
Patrick et Josh (le responsable effets visuels) me disent souvent que je vais trop loin. Je leur fais confiance, Kristina est aussi un bon garde-fou. À vrai dire, cette question n’a pas de réponse individuelle mais c’est un questionnement collectif permanent pour trouver ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Propos recueillis par Georges Coste