Plus d’une centaine de courts métrages ont été projetés cette année au festival international du film d’animation d’Annecy. Compétition, hors compétition, film de fins d’études ou programmes spéciaux : une grande variété de genres et de techniques étaient représentés, avec assez souvent, au détour d’un programme, plusieurs films dont les images sont restés en mémoire.
Don’t Hug Me I’m Scared 2 – Time réalisé par Becky Sloan, Joe Pelling (Royaume-Uni)
Apparu sur Internet à la faveur de deux courts métrages qui en appellent d’autres, cette hilarante parodie des marionnettes de « Sésame Street » (célèbre programme TV américain destiné aux enfants créé à la fin des années 60) met en scène trois personnages découvrant grâce à une horloge l’importance du temps dans leurs existences.
Becky Sloan et Joe Pelling détournent avec brio et pas mal d’humour noir les codes de cette institution télévisuelle aux vertus pédagogiques pour en faire un pastiche plus vrai que nature où nos trois compères apprennent à leurs dépens qu’on ne badine pas avec le Temps.
Marilyn Myller réalisé par Mikey Please (Royaume-Uni)
Marilyn Myller est le nouveau film très personnel, emprunt d’autodérision et d’ironie de Micky Please, auteur du remarquable « The Easgleman Stag ». « Marilyn » créé de ses mains de fragiles sculptures où chacune à sa place dans un univers qui lui est propre. Un soir, elle ne parvient pas à achever l’une des pièces sur laquelle elle travaille et entre alors dans une colère noire.
On retrouve ici ce qui fait la marque de fabrique des films de Micky Please : l’utilisation de textures en stop-motion où le blanc est omniprésent et irradie tout le film d’une énergie lumineuse.
365 réalisé par les frères McLeod (Royaume-Uni)
Après « Codswallop », « 365 » est une autoportrait visuel réalisé en un an. À l’origine de ce film, les frères Mc Leod se sont imposés quatre règles. Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2013, une seconde du film devait être réalisée chaque jour. Dans le même temps, une image accompagnée de son explication devait être postée quotidiennement sur Facebook. Il ne devait y avoir ni de scénario, ni de script ou de story-board. Les idées devaient venir de choses lues, vues ou vécues le jour même. Et pour finir, aucune animation ne pouvait être refaite après coup. Un an et plus de 1000 heures d’animations plus tard, les frères McLeod achevaient un film de 6 minutes qui ne restait pas en place. Chaque jour, ils avaient guetté le petit détail, laissant vadrouiller leur regard et leur imagination afin de capturer ce qui pourrait être à l’origine de l’animation du jour. Si les animations de ce film sont particulièrement inspirées et inattendues, c’est aussi le cas des sons créés tout spécialement pour ce film qui nous immergent en quelques secondes dans ces instantanés animés.
Symphony no. 42 réalisé par Réka Bucsi (Hongrie)
En 47 scènes toutes plus étranges les une que les autres, « Symphony no. 42 » nous donne à voir un monde empli de mystères qui semble répondre à des règles qui nous dépasse. Les scènes s’entrelacent entre elles au moyen d’indices tenus visuels ou sonores. À l’image du renard au début du film qui dessine un schéma et ne semble pas lui-même le comprendre, nous découvrons des personnages qui se débattent dans des situations plutôt improbables et qui partagent la même incrédulité face à un monde totalement abscons et sauvage, poétique et mélancolique. La relation complexe qui existe entre l’Homme et la Nature semble être au centre de ce film. Avec beaucoup de fantaisie, Réka Bucsi décrit la coexistence entre deux représentations concurrentes du monde : une rationnelle, où « l’Homme est la mesure de toute chose » et une décentrée où l’Homme n’est pas le centre du monde mais juste un habitant de la Terre comme n’importe quel autre animal.
Sangre de Unicornio réalisé par Alberto Vazquez (Espagne)
Après « Birdboy » qui lui a valu de nombreux prix dont un Goya du meilleur film, Alberto Vazquez vient de réaliser « Sangre de Unicornio ». Il est également question de personnages anthropomorphes qui évoluent à première vue dans un environnement enchanté.
Ici, deux ours en peluche vont chasser leur proie préférée, la licorne, car sa chair est tendre et son sang a un goût de myrtille. Alberto Vazquez créé un décalage saisissant en utilisant des archétypes du conte destinés aux enfants en les confrontant à des problématiques réservées généralement au monde des adultes. Il amplifie ces contrastes en mettant en scène des personnages habituellement épargnés par ce genre de cruauté (tout du moins dans les réinterprétations modernes de ces contes). D’une certaine manière, le réalisateur retourne aux origines du conte comme avaient pu le faire en leur temps Perrault, Andersen ou les frères Grimm dont les histoires, inspirées des légendes des Temps Anciens, n’étaient pas dénuées d’une certaine cruauté.
The Obvious Child réalisé par Stephen Irwin (Royaume-Uni)
« The Obvious Child » raconte la relation complexe qu’entretiennent une petite fille et un lapin. Celui-ci lui voue une totale admiration, mais reste incrédule face aux actes qu’elle commet. La petite fille cherche désespérément à faire accepter à la grosse tête qui vient d’en haut les restes de ses parents afin qu’ils aillent au paradis.
Après « Moxie » qui raconte l’histoire d’un ours pyromane qui voulait retrouver sa maman, Stephen Irwin continue de s’intéresser aux désillusions de l’enfance et parvient avec un curieux mélange de naïveté et de férocité, a nous embarquer dans un récit stupéfiant, bourré d’humour noir.
Timber réalisé par Nils Hedinger (Suisse)
S’il fallait écrire une punch-line accrocheuse pour ce premier film du réalisateur Nils Hedinger, il faudrait le présenter ainsi : Timber ou « Sa Majesté des Mouches » pour les arbres car il s’agit bien d’une histoire qui n’est pas sans rappeler le célèbre roman de William Golding adapté au cinéma par Peter Brook où des enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes sur une île. Dans « Timber », il s’agit d’un groupe de bûches qui tente de se réchauffer au cours d’une nuit d’hiver glaciale. Celles-ci se rendent rapidement compte que, pour se réchauffer, le seul combustible à leur disposition, c’est elles-mêmes. Un premier film prometteur sans fioritures avec une histoire simple et efficace, une comédie divertissante et bien menée jusqu’au bout. .
Bum Bum – Doch’ rybaka (Bum Bum, the Baby of the Fisher) réalisé par Ivan Maximov (Russie)
Dernier film en date du réalisateur Ivan Maximov, « Bum Bum, the Baby of the Fisher » est un film d’atmosphère. Dans un petit village de bord de mer habité par des animaux, un pécheur solitaire croise la route d’un bébé éléphant qui le prend pour sa mère. Dans ce film, le temps y est comme suspendu, les personnages que l’on voit évoluer sont à la lisière du fantastique, la musique écrite par Pavel Karmanov donne le ton et le temps de regarder évoluer ce petit univers. La force du cinéma de Ivan Maximov est de parvenir sans aucun dialogue, avec une histoire simple et poétique à exprimer des émotions profondément humaines et touchantes.
Phantom Limb réalisé par Alex Grigg (Australie – Royaume-Uni)
James et Martha ont eu un accident de moto. Martha a perdu son bras gauche et James se retrouve hanté par le membre fantôme de sa compagne. Plutôt que de s’intéresser à la principale victime de l’accident, Alex Grigg se focalise sur la culpabilité de son conjoint qui s’en sent responsable. Cette culpabilité se retrouve alors incarnée par les multiples apparitions de ce membre fantôme qui le poursuit sans relâche. Sans recourir aux dialogues (si ce n’est dans la première scène), le réalisateur parvient avec subtilité à montrer comment cette pensée finit par l’obséder mais aussi comment celui-ci parvient à s’en défaire. À noter, la très belle musique d’ Oswald Skillbard qui participe brillamment au parcours du personnage dans cette épreuve.
Myosis réalisé par Emmanuel Asquier-Brassart, Ricky Cometa, Guillaume Dousse, Adrien Gromelle et Thibaud Petitpas (France)
Comme l’indique très justement les co-réalisateurs de ce film des Gobelins, le myosis est un terme qui désigne la diminution de la pupille par contraction de l’iris. C’est un phénomène inconscient qui peut être provoqué par une lumière vive, par la peur, ou sous l’effet d’une prise de conscience.
« Myosis » est aussi le titre de ce film qui, en à peine trois minutes orchestrées avec précision et maîtrise, nous emporte dans un véritable tourbillon tout en tension et en émotion. La musique et le sound design de Igor Comes donnent une force encore plus vive à ces images déjà empreintes d’une beauté ardente.
Beauty réalisé par Rino Stefano Tagliafierro (Italie)
« Beauty » est un voyage à travers les oeuvres peintes par certains des plus grands artistes de tous les temps. Pendant 5 mois, Rino Stefano Tagliafierro a travaillé seul, les soirs et les weekends pour réaliser cet objet non identifié où se croisent les personnages des toiles animées de grands noms de la peinture tels que Caravage, Rembrandt, Rubens ou Vermeer. L’idée ici n’est pas de se substituer à l’oeuvre elle-même mais plutôt d’en proposer une version alternative et animée. Rino Stefano Tagliafierro instille des mouvements à peine perceptibles dans ces toiles, créant un effet de réel tout à fait remarquable et donne à voir ces œuvres sous un nouveau jour.
Le Retour des Aviateurs réalisé par Olga Pärn et Priit Pärn (Estonie, Canada)
Créé à quatre mains par deux grands noms de l’animation – Olga Pärn et Priit Pärn, « Le retour des aviateurs » est un conte satirique sur les relations hommes-femmes mettant en scène trois aviateurs ayant perdu leur avion qui se retrouvent cloués au sol. Ils cheminent ensemble dans le désert avec en tête leur femme respective et à la main une valise refermant chacun une des parties du corps d’une autre femme. Mêlant virilité et absurdité, le récit de ce film est un voyage singulier où flotte dans l’air un parfum sensuel. Non sans humour, nous suivons le parcours et les fantasmes de ces trois grands gaillards qui marchent inexorablement tandis qu’un aigle vole au dessus de leurs têtes, inatteignable…. Il faut noter la minutie du travail avec lequel ce film a été réalisé; l’animation sur le sable (accompagnée ensuite par ordinateur) réalisée par Olga Pärn est en effet une des plus compliquée à orchestrer. De plus, celle-ci se marie admirablement bien avec les dessins de Priit Pärn et donne à ses lignes une texture particulière. Le rendu est de toute beauté et produit une atmosphère unique.
The Bigger Picture réalisé par Daisy Jacobs (Royaume-Uni)
Lauréat du Cristal du film de fin d’études, « The Bigger Picture » raconte l’histoire de deux frères que tout oppose et qui doivent portant s’entendre afin de s’occuper de leur mère âgée. L’histoire n’est pas en elle-même très originale, c’est surtout le traitement de Daisy Jacobs qui est le principal intérêt de ce film. À partir d’une situation, elle créé un univers détonnant où se mélangent les techniques, mettant sur le même plan des dessins peints sur des murs avec des objets en 3D, le tout filmé image par image. Ce florilège de techniques reste toutefois au service de l’histoire et notamment du ressenti des personnages, venant ainsi illustrer une interaction entre les deux frères ou souligner un état d’esprit de l’un des personnages. Un film fourmillant de créativité où les personnages et leur environnement ne font plus qu’un.
One thought on “Annecy 2014 : La crème de la crème”