Ron Dyens, à la tête de la société de production Sacrebleu, a le don de dénicher des talents dont les films voyagent dans des festivals aux quatre coins du monde. Il est aussi l’un des producteurs les plus engagés concernant la place de l’animation en France : il se bat pour un cinéma d’animation de qualité et reconnu. Cette année, il était à Cannes avec deux films en sélection : Man on the chair de Dahee Jeong à la Quinzaine des Réalisateurs et Une chambre bleue de Tomasz Siwiński à la Semaine de la Critique. Rencontre avec un producteur passionné et au franc-parler assumé.
Format Court : Comment as-tu rencontré Dahee Jeong et Tomasz Siwiński, en sélection cette année à Cannes ?
Ron Dyens : J’ai rencontré Tomasz Siwiński il y a à peu près 6 ans. Je faisais partie du jury au Festival du Film de Zagreb en Croatie et j’avais beaucoup aimé son film de fin d’études, Little Black Square. J’ai par conséquent discuté avec lui et il m’a présenté plusieurs projets. On en a choisi un, on a retravaillé l’écriture puis on est parti dans la recherche de financements. Évidemment, c’est un sujet un peu particulier, donc il fallu convaincre les télévisions, le CNC, etc. Le film a été terminé tout récemment, on l’a présenté à Cannes et le voilà en sélection.
Quant à Dahee Jeong, il s’agit d’une jeune diplômée de l’école des Arts Décoratifs. J’avais également été membre du jury et j’avais été impressionné par la qualité du travail des étudiants. J’avais repéré deux ou trois jeunes diplômés dont Céline Devaux qui a fait Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine.
Avec Dahee Jeong, ça a été un peu différent car je lui ai proposé de travailler sur une collection portant sur le thème de la désobéissance. Je pense en effet que c’est important de savoir désobéir. On nous apprend à obéir lorsqu’on est enfant et à un moment, il faut se rebeller. J’ai ressenti ce besoin au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy et depuis, j’ai produit une dizaine de courts-métrages sur ce thème et l’envie de désobéir continue !
Tu repères fréquemment des auteurs/réalisateurs en devenir, des nouveaux talents. Comment vois-tu ton rôle de producteur ?
R.D. : C’est compliqué. Disons qu’à la fois, je me considère comme un filtre par rapport à tous les projets, à tous les auteurs qui veulent réaliser un film par rapport aux télévisions et aux festivals qui sont également un filtre. D’une certaine manière, je fais partie de cette sélection. Et puis après, je vois mon rôle comme un intermédiaire entre un auteur qui a besoin de s’exprimer et le public. J’essaie de rendre cette relation intelligible sans dévoyer le travail du réalisateur. Après, j’interviens sur la phase d’écriture mais pas sur la réalisation. J’essaie en tout cas de me mettre à la place du spectateur, d’avoir une réflexion sur le film terminé. À la place du spectateur, j’ai envie de voir quelque chose d’original qui n’a pas été fait avant, quelque chose d’essentiel dans ce qui est dit. Ce sont des critères qui sont très importants pour moi. En tant que producteur, j’ai un devoir d’exigence, celui de ne pas ennuyer le spectateur.
Tu dis que tu n’interviens pas dans la réalisation ?
R.D. : Bien souvent, les réalisateurs d’animation viennent avec une technique mais sans scénario, c’est d’ailleurs le drame de l’animation. Quand j’ai commencé, je venais du live et j’avais une exigence scénaristique que beaucoup de producteurs d’animation n’ont pas. À l’époque, il y a avait de nombreux films hybrides, la 3D et des nouveautés sur l’image sont apparues, ce qui a fait qu’on a un peu oublié le travail sur le scénario.
Au niveau du dessin, je laisse les réalisateurs faire car ils viennent toujours nous voir avec des images, avec un travail antérieur. Ce sont eux qui connaissent et maîtrisent leur technique, qui ont les images en tête, ce n’est pas à moi de leur dire de changer quoi que ce soit. Après, bien évidemment, j’ai besoin de savoir comment ils souhaitent travailler afin de les financer et de trouver l’équipe technique nécessaire. En bref, une fois qu’ils m’ont convaincu avec leur idée et surtout, qu’ils sont convaincus eux-mêmes, je n’ai qu’à les encourager et les accompagner.
Sacrebleu Productions est née en 1999 et à la base, tu produisais surtout des fictions, tandis qu’aujourd’hui, tu suis surtout des films d’animation. Qu’est-ce qui explique cette spécialisation ?
R.D. : J’ai l’intime conviction que les enjeux ne sont pas les mêmes entre la prise de vue réelle et l’animation en termes de festivals, de télévisions et de passage du court au long. Il y a beaucoup de films en prise de vues réelles qui sont mauvais et qui sont quand même sélectionnés, parce qu’il y a une industrie derrière qui est beaucoup plus importante qu’en animation. Je suis arrivé à un moment où il y avait une fraîcheur, une naïveté, une absence d’enjeux dans l’animation qui ont fait que l’on jugeait un film de ce genre plus facilement s’il était bon ou mauvais. Cela influence le jugement des films de ce genre. On dit d’un film d’animation qu’il est bon ou mauvais. En prise de vues réelles, par contre, il y a des enjeux d’argent qui font qu’un film en live est plus facilement sélectionné indépendamment de sa qualité artistique.
Quel est par conséquent ton point de vue sur l’animation en France aujourd’hui ?
R.D. : Je pense qu’il y a beaucoup d’argent en France pour le cinéma, entre les régions, le CNC et les télévisions, ce qui est bien, mais qu’il y a un réel manque d’exigence. Beaucoup d’auteurs ne se rendent pas comptent de la chance qu’ils ont d’être en France avec, entre autres, le droit d’auteur qui les protègent. Malheureusement, bien souvent, ils se comportent comme des enfants gâtés. A contrario, j’ai des relations avec des réalisateurs étrangers pour qui réaliser est essentiel et qui ont compris que le producteur n’est pas contre eux. Ils savent que le producteur a tout autant intérêt à faire un film réussi, qui marche, pour leur image de réalisateur tout comme pour sa propre image et pour la qualité du film.
Le producteur est en effet là pour optimiser les différentes relations. En animation, un réalisateur est aussi scénariste, chef opérateur puisque c’est lui qui créé et anime les images, et monteur. Ça fait beaucoup pour une seule personne, donc il y a un manque de regard extérieur. D’autant plus que bien souvent, le réalisateur a tendance à travailler de manière autarcique, un peu comme les auteurs de bande-dessinée. Le but du jeu c’est de créer une relation de confiance afin que le réalisateur croie en l’avis du producteur. Bien évidemment, celui-ci n’a pas toujours raison, mais il s’agit d’un réel échange entre les deux afin d’optimiser le film. Je me bats pour faire des films de qualité et pour les diffuser le mieux possible.
Peux-tu nous parler du projet Sexpériences que tu as initié avec tes auteurs/réalisateurs ?
R.D. : En réalité, j’ai travaillé uniquement avec Michaela Pavlátová, la réalisatrice de Tram. À la base, il était prévu qu’il y ait une dizaine de courts-métrages dont les scénarios et les bibles graphiques ont été présentés aux chaînes et institutions. Objectivement, on ne pouvait malheureusement pas faire un long-métrage de films explicites en animation parce que ça coûte très cher et que personne ne va voir des films de cul au cinéma. Même si on peut avoir une super presse, il y a un moment où les enjeux financiers deviennent vraiment importants.
Fort de ce constat, j’ai, dans un premier temps, proposé à la directrice artistique d’extraire un des courts-métrages de cette série et de le produire. On a donc extrait Tram qui a cartonné dans plus de 200 festivals et nous avons créé une belle relation de confiance et d’écoute avec Michaela Pavlátová.
Le souci est que peu de chaînes peuvent se permettre d’investir dans les films explicites, même en animation. Le projet était donc plus ou moins mort-né. On a néanmoins réfléchi à la manière dont on pourrait aborder différemment ce projet et on en est arrivé à la conclusion qu’il fallait en faire un seul et unique long-métrage pour lequel on a déjà de beaux partenaires. Ils souhaiteraient avoir une réalisatrice connue sur le projet. J’en ai déjà contacté certaines et on est en attente de réponses.
Si on revient sur tes deux films en sélection à Cannes, on note qu’ils ont beau être très différents, ils proposent tous les deux une vision très personnelle, très intérieure des choses. L’un traite de la maladie, l’autre des problèmes existentiels, mais tous deux adoptent la forme d’un voyage intime. Est-ce un hasard ?
R.D. : Il n’y a pourtant aucun lien entre eux. On a mis beaucoup de temps à réaliser Une chambre bleue, tandis que Man on the chair faisait partie de cette collection sur la désobéissance, un peu plus rapide à monter. J’ai laissé les deux auteurs complètement libres avec leur projet, je ne leur ai rien demandé particulièrement. Dahee Jeong, par exemple, a un univers très asiatique et elle a fait son film toute seule de son côté. Avec elle, j’ai plus volontiers agi comme un mécène pour qu’elle puisse faire son film, comme une bénédiction de producteur sur un travail de qualité. Je me mets en danger car c’est de l’argent de Sacrebleu, mais c’est très excitant car je dis à quelqu’un que je lui fais confiance, et quand ça se passe bien, je trouve ça très beau, très plaisant.
Propos recueillis par Camille Monin
Bravo ron samir