Acteur fétiche d’Arnaud Desplechin et des frères Larrieu, réalisateur entre autres des très beaux « Tournée » et « La Chambre bleue » (actuellement à l’affiche), Mathieu Amalric joue sur tous les fronts avec brio. À l’occasion d’une présentation de son dernier film au Café des Images (Hérouville-Saint-Clair), Format Court est allé à la rencontre de cet électron libre du cinéma français pour revenir sur quelques moments clés de sa carrière et sur l’importance du court-métrage dans son parcours.
Tu présentes aujourd’hui « La Chambre bleue» , ton cinquième long-métrage. Tu n’as jamais cessé d’alterner dans ta carrière de réalisateur les formes courtes et les films longs. Comment as tu commencé à réaliser des courts-métrages ?
En 1985, j’ai tenté le concours de l’IDHEC (l’actuelle Fémis). Comme le processus d’admission était très long, je m’étais dit que si je n’intégrais pas l’école, je réaliserais un court-métrage. Je n’ai pas été reçu, alors j’ai tourné un film qui s’appelait « Marre de café » et qui était très, très mauvais (rires). J’avais réuni des étudiants de Louis Lumière dans l’équipe technique, on avait emprunté une caméra et le matériel de son à l’école. On jouissait d’une grande liberté et on s’est lancé avec ce mot d’ordre : « Il faut tourner ! », même si à l’époque on ne pouvait filmer qu’en 16 mm et que la pellicule coûtait cher.
J’ai toujours essayé de conserver cette vitesse, cette spontanéité dans la réalisation de mes films. Souvent, les producteurs nous incitent à réécrire les projets. On passe alors des mois, des années à congeler le scénario au risque de perdre le désir initial. Aujourd’hui, les caméras numériques nous donnent l’opportunité de tourner plus rapidement. On peut concilier plus facilement le moment où l’on a envie de faire un film et le passage à l’acte. Le geste est plus proche du désir.
J’adore les commandes de films en tant que réalisateur, notamment les commandes de courts-métrages. Tout le monde sait que, logiquement, il faudrait commencer par réaliser des longs-métrages pour arriver aux courts-métrages, car c’est beaucoup plus difficile à réussir ! Sur une forme courte, tu ne peux pas rater le moindre plan.
Il y a peu de temps, j’ai réalisé « Next to last (Automne 63) », un film de commande pour la collection Hopper lancé par Arte . Réussir un film de cinq minutes, c’était un sacré challenge ! Je pense aussi aux courts-métrages que j’ai réalisés pour l’Adami, où je ne disposais que d’une journée pour tourner. Je me suis planté sur l’un des deux films, et j’ai appris à ce moment là que plus le film est court, plus la préparation est importante. J’avais bien préparé « Deux cages sans oiseaux », celui dans lequel j’ai fait jouer Antoine Gouy et Ina Mihalache, et je suis content du résultat.
Tu as aussi fait quelques rencontres déterminantes via le court-métrage, notamment celle d’Arnaud Desplechin.
J’ai tourné « Les yeux au plafond », mon troisième court-métrage en 1992. Comme l’acteur qui devait jouer le rôle principal était injoignable au moment du tournage, je me suis résolu à jouer dans mon propre film. Ce court-métrage a été sélectionné au Festival Premiers Plans d’Angers en 1993 où j’ai rencontré Arnaud Desplechin. Arnaud a vu mon film et a décidé de me faire passer des essais pour le rôle principal de « La Sentinelle », son premier long-métrage, qu’il a finalement attribué à Emmanuel Salinger. J’ai tout de même joué un second rôle dans ce film, et ce n’est que quelques années plus tard qu’Arnaud m’a recontacté pour le rôle de Paul Dedalus dans « Comment je me suis disputé… ». Il m’a inventé en tant qu’acteur.
On t’a retrouvé récemment en tant qu’acteur dans le moyen-métrage de Christophe Loizillon, « Petit Matin ». Lorsque l’on regarde ta filmographie, on remarque que tu as toujours participé à des courts-métrages, de façon ponctuelle. Tu essayes de rester attentif et disponible à ce genre de projets ?
La rencontre est très importante pour moi. Si un cinéaste vient vers moi et que je sens un désir fort de cinéma, ça me touche et j’essaye d’être disponible. Par exemple, je dois tourner bientôt dans le court-métrage d’une jeune réalisatrice issue du Fresnoy, Dorothée Smith. On est en train de s’arracher les cheveux pour trouver une soirée de libre pour un tournage de nuit au Père Lachaise, mais cela va se faire.
Christophe Loizillon était l’un des cinéastes qui nous épatait dans la génération des années 90. Il travaillait sur des sensations, avec une grammaire de cinéma unique ! On s’est recroisé par hasard il y a quelques années dans un café, après s’être perdus de vue pendant quinze ans. Lorsqu’il m’a proposé de jouer dans son film, j’ai dit oui.
On l’oublie parfois mais tu avais provoqué un tollé lorsque, en 2004, tu t’étais exprimé au nom du jury officiel du Festival de Clermont-Ferrand et avais déclaré que vous ne remettriez pas de Grand Prix cette année-là au vu de la médiocrité des films de la sélection. Peux-tu revenir sur cet épisode singulier ?
D’abord, on ne fustigeait pas tant la médiocrité des films qu’un simple manque d’enfance, d’inconscience de la part des réalisateurs. On était déçu de découvrir des films et de sentir que ces jeunes cinéastes étaient entravés dès leurs premiers courts-métrages. Pour ma part, je trouvais ça bizarre qu’au Festival de Clermont-Ferrand qui est censé être le « Cannes du court-métrage », on mette déjà en place une sélection parallèle avec la compétition Labo qui accueillait des formes innovantes, ludiques alors que la sélection officielle réclamait des films cadenassés. J’étais déprimé de sentir que trente des soixante films sélectionnés avaient tous quelque chose en commun. Chaque époque a ses travers, et cette année-là, c’était les bons sentiments.
Je me souviens avoir beaucoup aimé un film de la compétition Labo, « Le Pays des ours » de Jean-Baptiste Leonetti. On avait demandé au comité de sélection s’il était possible de lui remettre le Grand Prix, et on nous a répondu que c’était impossible. On a fait cette déclaration lors de la cérémonie de clôture pour secouer les organisateurs, et comme je me suis exprimé au nom du jury, j’ai été la cible principal de leurs attaques après coup. J’ai pu discuter avec les réalisateurs à l’époque qui l’ont mieux pris, même si l’échange fut un peu violent. Aujourd’hui, je me dis que l’on aurait dû écrire notre texte plus précisément, que notre déclaration était trop brouillonne. Mais à l’époque, c’était une position terrible, je ne me rendais pas compte de l’impact que pouvait avoir ma parole dans un cadre pareil.
Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois