Dans sa forme comme dans son fond, « Peine Perdue » ressemble à un documentaire sur l’éducation amoureuse. C’est avec simplicité et fluidité que le réalisateur Arthur Harari filme cette danse des corps en attraction, laissant les comédiens et le décor raconter ce qui ne peut se dire dans les dialogues. Une réalisation très aboutie, presque irréelle, récompensée cette année par le Prix Format Court au Festival de Brive.
« Peine Perdue », deuxième court métrage du réalisateur Arthur Harari (après le déjà très remarqué « La Main sur la gueule » en 2008, Grand Prix du Festival de Brive et Lutin du meilleur court métrage), aborde les complexités de la séduction sur un fond d’environnement bucolique, aquatique et champêtre. Rodolphe (Nicolas Granger) observe au loin le jeune Alex (Lucas Harari) qui tente de se rapprocher de Julia (Émilie Brisavoine), une parisienne en vacances avec une amie (Aude Louzé). Par empathie mais aussi par goût étrangement malsain du jeu de dupes, Rodolphe propose son aide (et son expérience) à Alex lors d’un concert en pleine nature (concert en « live » puisque les personnages dansent sur « Comment ça se danse », de Bertrand Belin, qui interprète le musicien dans le film). Le trio nouvellement créé ne sera qu’éphémère, planant comme une ombre sur la totalité du film : le postulat de départ (comment séduire quand on est timide) se met au service des relations interpersonnelles, chassant les premières attirances, fébriles et maladroites, au profit de rapprochements plus « triviaux ».
Car il est ici essentiellement question d’êtres humains, de leurs failles et de leurs douleurs, de leurs joies légères et de leurs engouements. Rodolphe, a priori personnage principal de « Peine Perdue », traîne sa mélancolie au bord de l’eau. En revêtant pour Alex la figure du grand frère (il le fait même croire à Julia lorsqu’il l’aborde, alors qu’il connaît Alex depuis quelques minutes à peine), Rodolphe se joue de lui-même et des autres, appliquant son désenchantement à une technique de séduction plus que douteuse. Un jeu sur la distance nécessaire qui doit s’établir entre les personnages, laissant éclater à chaque scène la complexité de Rodolphe, contrebalancée par l’apparente « pureté » de comportement d’Alex. Une naïveté chez le personnage d’Alex, timide et maladroit à l’extrême, renforcées par le sous-jeu très contrôlé de Lucas Harari qui nous livre ici une vraie performance d’acteur tout en retenue, en distance et en subtilité. Quant à Julia, elle semble laisser les coqs se (dé)battre entre eux, préférant aller chercher ce qu’on ne lui donne pas dans les bras d’un tiers.
« Peine Perdue » est un exemple d’efficacité dans la simplicité, d’une part dans la façon dont les comédiens s’approprient l’errance de leurs personnages, d’autre part dans la forme choisie par le réalisateur. Arthur Harari ne s’embarrasse pas de démonstration de force filmique : sa mise en scène est simple, fluide, quasi documentaire, et ponctuée de symboles entêtants et obsédants. Visuellement, l’eau prend une place importante : plans d’ouverture et de clôture de son film, une île déserte, un no man’s land (comme l’est également le lieu où se déroule toute l’histoire) devenu chimérique pour le dernier plan grâce à la présence fantomatique de Rodolphe (il n’apparaît pas sur le plan d’ouverture), Robinson Crusoé désenchanté qui trouve la libération dans l’isolement. L’élément aquatique est à souvent l’image, en arrière-plan des ébats amoureux, des rapprochements physiques, du concert et bien sûr des balades en barque. Une présence rendue plus forte encore par la bande son qui lui est associée (au même titre que pour des personnages, l’eau ici à son leitmotiv sonore) : un air de flûte quasi obsessionnelle, extrait de Fantaisie n°3 de Georg Philipp Telemann. « Peine Perdue » ne se contente pas d’explorer différentes formes de séduction, il aborde également la frustration amoureuse, les renoncements et les déceptions. Et ce, tout en sobriété.
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