Sans concession, le deuxième film d’Arthur Harari tente de décrire en près d’une heure les âpres retrouvailles entre un père et son fils sous le regard de la petite amie de ce dernier.
Une telle histoire peut être filmée de bien des manières différentes et la force du film d’Arthur Harari est de les embrasser toutes avec la même intensité, ce qui rend la progression de son film tout bonnement passionnante.
« La Main sur la gueule », on la prend dès le début. Un homme conduit. Son visage est aussi marqué et plein que la campagne anonyme qu’il traverse et qui défile derrière lui. Il n’y a aucun insert. Puis, au second plan, un train s’éloigne d’un quai vide, laissant derrière lui un couple en habits clairs sur un fond sombre. Le même vacarme mécanique emplit l’espace sonore, comme une insulte à la nature environnante.
Explorant la gare vide, le couple, simple et beau, contraste avec l’homme au visage buriné vu juste auparavant et qui finit par les rejoindre. Va-t-il y avoir un duel ? Une passe d’arme ? L’arrivée en gare est celle d’un début de western.
Dès cette première confrontation, plusieurs éléments attirent avant de mettre mal à l’aise. Harari aime à dire qu’il choisit ses comédiens directement dans son entourage pour travailler avec des personnes au travers de ses personnages. La méthode est d’une efficacité redoutable et on croit avoir deviné dès le début de son film toute la brutalité sourde et muette de Jean-Louis, le père (Christian Chaussex, vu depuis dans « Michael Kohlhaas » d’Arnaud des Palières), la colère prête à exploser de Bruno, son fils (Bruno Clairefond, souvent présent dans des rôles à deux visages) et la force naturelle de Liliane (Shanti Masud, depuis passée principalement à la réalisation).
Contre toute attente et au gré de scènes parfois muettes parcourues d’éclats magnifiques, les personnages se détruisent et se reconstruisent différemment. Un réseau de références bien assumées constitue les marqueurs de ces changements. On retrouvera donc un punk-rock déglingué (« Fontenay-sous-bois » des C Koissa), les stigmates de la comédie et du film noir français où tout se règle autour d’une mobylette, d’une table de cuisine.
Harari joue avec les symboles quand il fait de Liliane un personnage de la Nouvelle Vague au détour d’une marinière ou qu’il convoque le vocabulaire visuel dépouillé d’Alain Cavalier. Tous les moyens sont bons pour être au plus près de ses personnages. La précision du cadre, du son, des dialogues ainsi que les correspondances d’une coupe à l’autre rendent transparents les genres traversés par ce road-movie quasiment immobile et lui donnent cohérence et rythme.
Les visages s’ouvrent, se ferment, les corps se cachent et se dévoilent, le film tendant vers sa confrontation finale, attendue, dérisoire et magnifique, celle d’un fils et de son père.
Elle a lieu en plusieurs mouvements au terme d’un malaise savamment travaillé dans une durée nécessaire et fascinante, donnant ses lettres de noblesse à son format, le moyen-métrage. Avec une durée plus courte, les coups de folie de Bruno, la violence rentrée de Jean-Louis et la sensualité de Liliane ne nous impliqueraient pas autant. Plus longue, la redondance serait un risque tant Harari « verrouille » toutes ses situations.
On sort du film persuadé d’en avoir rencontré les personnages, d’avoir été les témoins muets d’une histoire qui pourrait être la nôtre et qui, faisant fi de notre volonté, l’est devenue.
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