Découvert au festival de Brest, « Misterio » y a remporté notre Prix Format Court fin 2013. Le film mêle naturel et surnaturel, étouffement et soif de liberté, personnages hors normes et situations cocasses. Depuis dix ans, son auteur, Chema García Ibarra, intéressé par l’humour, la science-fiction et les acteurs non professionnels, fait des films sans beaucoup de moyens dans son coin, à Elche, une petite ville d’Alicante. À l’occasion de la projection de « Misterio » lors de la carte blanche consacrée à Brest, en mars dernier, nous avons invité Chema Garcia Ibarra à Paris à nous parler de ses moteurs et de sa conception bien personnelle de raconter des histoires. Venu avec sa compagne Leonor Diaz, il nous a offert après coup une « Jetée II » soit un “court cryptique de-science-fiction réalisé pour nous avec amour » que nous vous invitons à découvrir dans cet entretien.
Format Court : Vous êtes en couple et travaillez ensemble depuis des années. Comment avez-vous été amené à collaborer ?
Chema : Avant mes trois courts, j’ai fait un film de jeunesse en 2007 (« Miaau ») que je n’aime pas beaucoup. On était ensemble avec Leonor et je lui ai demandé d’assurer la direction artistique de mon film car je la trouvais douée pour ça. Elle n’avait aucun lien au cinéma.
Le cinéma m’intéresse depuis l’enfance. Les études coûtaient chers, j’ai donc étudié la publicité car il y avait des cours communs avec la section de cinéma. Je n’avais aucun intérêt pour la publicité, mais je savais que j’apprendrais des choses propres au cinéma et que je voulais faire des films. J’ai demandé à Leonor de m’aider sur le premier projet, ça m’a plu et ça a été le début de notre collaboration.
Leonor : Au début, quand on s’est rencontré, il chantait dans un groupe de rock et j’étais une groupie ! Quand il m’a parlé de cinéma, ça m’a paru curieux, je l’ai pris comme un jeu. Travailler avec lui m’a plu.
Tes films, Chema, comportent des images très visuelles, des synopsis très courts. On est proche de la publicité.
C. : J’ai travaillé 7 ans comme rédacteur et graphiste. Même si je ne partage rien artistiquement parlant avec les gens qui travaillent dans la publicité, ça m’a parlé. Quand tu lis mes synopsis, tu sais que je viens de la pub. Ils sont très courts, ils tiennent en une phrase. Souvent, les festivals me demandent d’envoyer des longs synopsis mais je leur réponds qu’il n’y n’a pas !
Ils ne sont pas juste courts, ils sont mystérieux aussi.
C. : Je n’aime pas raconter trop de choses ni en dire trop. J’aime jouer avec le mystère, l’intriguant.
Dans les courts, il y a aussi un lien avec le fantastique, l’ironie, le surréalisme. C’est une voie que tu souhaites explorer ?
C. : Oui, c’est quelque chose de très espagnol (rires) ! Cette ironie, cet humour noir, c’est très commun chez nous, ça correspond à notre culture. Mon réalisateur préféré est Buñuel. Même quand il fait ses films hors de l’Espagne, ses films sont très espagnols. J’aime cette vision noire de l’humour qui est d’ailleurs très présente dans ma vie (rires) !
Leonor, tu te sens connecté au monde de Chema ?
L. : Je suis très fan de son humour. Dans notre vie quotidienne, nous avons le même humour et rions des mêmes choses.
Au début de « Protoparticulas », pendant plusieurs minutes, le silence règne quand le personnage s’approche de la camera pour jeter des ordures. Il faut être patient, endurer ce silence et cette longueur. Tu te rends compte que certains spectateurs peuvent ne pas adhérer face à une séquence pareille ?
C. : Oui, mais beaucoup y réagissent. Pour moi, cette scène est très drôle. Commencer un film avec un personnages qui s’approche lentement de la caméra, dans le plus grand silence, pendant deux minutes, ça correspond à mon humour.. Quand je tournais ce plan, je me retenais de rire !
Comment passe-t-on de l’envie de cinéma à sa concrétisation ?
C. : Pourquoi est-ce que je veux faire des films ? Parce que je suis cinéphile depuis mon enfance. Petit, j’aimais surtout la façon de raconter des histoires. Je ne faisais pas attention au support mais j’étais réellement fasciné par la façon dont les histoires commençaient, dont les personnages étaient présentés et comment les choses se terminaient. J’ai voulu apprendre comment raconter des histoires car ça me fascinait. J’ai commencé à écrire beaucoup de nouvelles et puis, un jour, j’ai senti qu’il y avait beaucoup de possibilités à raconter des histoires avec une caméra. C’est très important de ressentir de la joie et ça m’arrive toujours en écrivant des histoires, en filmant mes amis, ma famille.
Travaillez-vous à deux le scénario ?
C. : Non, j’écris seul. Je n’aime pas dévoiler des choses sur l’histoire avant que le scénario soit terminé. Je n’en parle à personne, c’est peut-être une superstition, je ne sais pas (rires).
L.: Je commence à travailler avec lui quand le scénario est terminé. Je ne sais rien du projet. Chema est très stressé pendant le processus d’écriture. Nous ne communiquons pas. À ce moment, je hais son travail et le cinéma en général mais quand il me fait lire le scénario, je redeviens heureuse !
Qu’est-ce qui est difficile, Chema, quand tu écris ?
C. : Tout. Tout est difficile (rires) ! Probablement, ça aurait été plus facile si j’avais étudié le cinéma. Néanmoins, il y a dix ans, quand j’apprenais à faire des films, j’ai probablement lu tous les livres ayant trait au scénario. Maintenant, c’est différent, je ne pense plus à ça. Le processus d’écriture reste le seul difficile aujourd’hui à mes yeux. Le tournage, le montage, le casting, c’est facile pour moi. Comme je ne veux pas travailler avec des comédiens, je dois écrire des choses que les non professionnels peuvent faire. Par exemple, j’évite que les gens parlent beaucoup ou même qu’il y ait des conversations. Je pense à ça quand j’écris pour ma mère ou ma grand-mère. Ça rajoute une difficulté car je ne suis pas totalement libre. Je dois être réaliste et trouver des solutions narratives car ce sont mes proches que je filme.
Cette difficulté-là pourrait disparaître si tu travaillais différemment, avec des acteurs professionnels. Pourquoi ne le fais-tu pas ?
C. : Parce que je n’aime pas ça. Je sais que si je travaillais avec des professionnels, ce processus serait plus facile mais ça ne m’intéresse pas. Je suis un grand fan de Robert Bresson, il m’a beaucoup influencé. Il n’a jamais travaillé avec des comédiens professionnels mais avec des gens n’ayant aucune relation au cinéma. Depuis le temps, mes proches savent précisément ce que je veux et ils n’ont pas peur de la caméra. C’est pour ça que je travaille avec eux.
Dans tes films, tes personnages s’éloignent souvent de la réalité. Est-ce que tu cherches à critiquer notre société en parlant d’évasion ?
C. : Mes personnages veulent toujours s’échapper. Je m’intéresse beaucoup à la façon naturelle d’accepter le surnaturel, l’étrange. Quand j’étais petit, je vivais dans une ville proche de celle où se passe « Misterio ». Ma grand-mère connaissait une personnelle qui entendait la Vierge et c’était quelque chose de totalement normal pour les gens. L’extraordinaire au milieu de l’ordinaire, ça me fascine, c’est pour ça que j’ai fait ce film, mais ce n’est pas mon intention de proposer une critique de la société.
Souvent, les personnages sont en marge de la société, Pourquoi t’intéresses-tu aux anti-héros, aux personnages invisibles ?
C. : Ces personnages sont là parce qu’on ne s’attend jamais à ce qu’ils y soient. Je n’aime pas les personnages standard, les jeunes gens magnifiques au cinéma (rires) ! Par exemple, dans « La Vie d’Adèle », pourquoi sont-ils jeunes et beaux ? Je préfère le travail de Bruno Dumont : tous ses personnages sont laids !
Le format long t’intéresse ?
C. : J’ai travaillé sur « Uranes », un long-métrage pour la télé, ça m’a plu de faire quelque chose de plus long que d’habitude. Écrire un long me semblait gravir une montagne, mais le projet a marqué une étape. Je me sens préparé après dix ans de courts métrages. Je n’ai jamais été dans l’urgence de faire des longs. Avant, je testais des choses, maintenant, j’ai trouvé mon style mélangeant l’humour noir, l’absence de mouvement, de voix, de musique, Il y a cinq ans, je n’étais pas prêt, mais maintenant, après les courts et ce long, c’est comme si j’étais diplômé en cinéma (rires) !
Propos recueillis par Katia Bayer
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