Aïssa est une jeune fille congolaise en situation irrégulière. À partir de ce pitch du deuxième film de Clément Tréhin-Lalanne en compétition officielle au 67e Festival de Cannes, on imagine que l’on va encore avoir affaire à un énième film sur les sans-papiers. Pourtant, le point de vue du réalisateur est bien différent de ce que l’on a pu voir auparavant.
En 2008, le réalisateur réalise son premier film, « Lucien » (produit par Fulldawa Productions) qui sera projeté, entre autres, au festival Paris Cinéma. Il choisit déjà un prénom pour seul titre et laisse planer un certain mystère sur le sujet du film. Lucien, environ huit ans, rentre de l’école légèrement angoissé à l’idée de demander une simple signature à sa mère. Lorsqu’on découvre le comportement de ladite mère, on comprend aisément le désarroi du jeune garçon.
Tout comme « Aïssa » (produit par Takami), le film est court. Il dure sept minutes qui ne passent pas pour autant rapidement, bien au contraire. La force des deux films est de créer une atmosphère particulièrement tendue sans pour autant qu’il y ait une réelle violence des actes. De la même manière, son regard sur ses personnages principaux, aussi bien Lucien qu’Aïssa, est suffisamment aiguisé pour que nous nous mettions à leur place, dans des situations inconfortables.
Il aura fallu cinq ans à Clément Tréhin-Lalanne pour passer de nouveau derrière la caméra et nous offrir « Aïssa », un film court à nouveau (huit minutes), mais très efficace pour ne pas dire tranchant. Le réalisateur dit avoir réagi à un article lu dans le quotidien Rue 89 à propos de deux jeunes Congolaises ayant été examinées minutieusement par un médecin à la demande d’un officier de police pour déterminer leur âge réel. Cet âge réel, c’est celui qui permettra de décider de leur destin : se verront-elles accorder un titre de séjour ou bien seront-elles expulsées ? La violence de la situation se retrouve exactement dans le court-métrage de Clément Tréhin-Lalanne. À la différence de nombreux films sur le thème des sans-papiers où l’on voit des immigrés traqués et des forces de l’ordre agressives, ici, point de brutalité, mais une situation qui glace, celle de la visite médicale avec l’analyse détaillée de l’ossature et de l’anatomie d’Aïssa.
Dès le générique d’ouverture, la police anticipe le destin d’Aïssa : un cas supplémentaire parmi tant d’autres, un dossier juridique à traiter de la manière la plus détachée, un simple numéro. Puis, on découvre la nuque de la jeune fille. La caméra ne la quittera d’ailleurs plus jusqu’à la dernière image du film. On apprend qu’Aïssa a 17 ans, qu’elle termine un CAP d’esthéticienne et qu’elle est en pleine santé. Mais alors qu’a-t-elle fait de mal pour se retrouver là ? La voix off du médecin enregistrée sur son dictaphone décrit avec impassibilité les différentes parties du corps d’Aïssa, montrées ici de la manière la plus crue. La jeune fille est mise à nue, est apeurée devant cet examen froid et clinique.
Le rôle de « bête curieuse » étudiée sous tous les angles est campé par l’incroyable Manda Touré. Sans un mot, elle transmet une immense pudeur associée à de la frayeur. Le diagnostic du médecin vient ensuite clore le film avec la plus grande froideur. S’ensuit un cut qui laisse la gorge sèche, sans musique et sans compassion aucune. Clément Tréhin-Lalanne a encore une fois réussi à nous mettre mal à l’aise.