Sébastien Bailly : « L’intermédiaire 30 à 60 minutes est aujourd’hui le plus grand espace de liberté artistique pour les cinéastes »

Sébastien Bailly a créé les Rencontres du Moyen Métrage de Brive en 2004 avec la réalisatrice Katell Quillévéré (« Un poison violent », « Suzanne »). Depuis dix ans, il assure la fonction de Délégué général du festival. En parallèle, il a réalisé des courts et moyens métrages remarqués, comme « Douce » en 2011 et plus récemment « Où je mets ma pudeur » qui connaît un beau parcours en festivals. Après cette onzième édition du festival de Brive (8-13 avril 2014), il cédera sa place à un nouveau délégué. Il revient avec nous sur ces dix années de travail, sur sa vision du moyen métrage et sur ses nouveaux projets.

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Tu as occupé la fonction de Délégué général du Festival de Brive durant dix ans, depuis sa création en 2004. En quoi consistait ton travail ?

Je m’occupais de la sélection des films de la compétition, de la composition des rétrospectives proposées pendant le festival, de la constitution des tables rondes et de la programmation du ciné-concert. Durant le festival, mon rôle consistait à accueillir les réalisateurs, à les accompagner dans leur rencontre avec le public en animant les débats, fonction que j’ai assumée durant dix ans. À l’origine de la création du festival, il y a eu cette forte volonté de faire se rencontrer les cinéastes avec le public, de créer du lien.

Tu as fondé le festival avec la réalisatrice la réalisatrice Katell Quillévéré en 2004, avec la volonté de mettre en avant ce format un peu « bâtard » qu’est le moyen métrage, des films qui rencontrent rarement le public et circulent difficilement dans les festivals de courts métrages. Quelles sont les spécificités du moyen métrage selon toi ?

À l’époque, nous avions fait le constat que les films qui nous intéressaient le plus étaient des films longs, dans lequel les réalisateurs prenaient le temps de s’intéresser à des sujets complexes, de développer des personnages et de déployer leur mise en scène. On a créé le festival pour montrer ces films dans de bonnes conditions car les spectateurs ont rarement l’occasion de les apprécier pleinement dans les festivals plus classiques. Passer d’un film de dix minutes à un film de cinquante minutes dans un même programme peut déstabiliser et empêcher le spectateur d’accueillir la forme et la durée spécifique du moyen métrage.

Ces films nous intéressent aussi parce qu’ils sont plus libres, ils ne sont pas soumis à la pression du marché, aux contraintes d’une sortie en salles. Je pense que l’intermédiaire 30 à 60 minutes est aujourd’hui le plus grand espace de liberté artistique pour les cinéastes. Ça s’est manifesté lorsque sont arrivés des films comme « La vie des morts » d’Arnaud Desplechin, « La brèche de Roland » des frères Larrieu, « Ce vieux rêve qui bouge » d’Alain Guiraudie… . Des films marquants qui ont révélé des réalisateurs importants. Nous étions convaincus en 2004 que d’autres films de ce format allaient arriver et nous faire découvrir de nouveaux auteurs. Nous avons ainsi aidé et accompagné avec bienveillance l’émergence de cinéastes comme Arthur Harari, Justine Triet, Sébastien Betbeder, Mikhaël Hers, Shanti Masud, Lucie Borleteau, Yann Gonzalez, Virgil Vernier… Nous mettons un point d’honneur à ce que leur talent soit mis en valeur et présenté dans les meilleures conditions.

Tu évoques les cinéastes français qui sont passés par le festival, mais vous montrez également des films issus d’autres pays d’Europe. Aviez-vous dès le départ cette envie de proposer une sélection de films étrangers ?

L’envie était bien présente, mais lorsque nous avons créé le festival nous ne disposions pas d’un budget suffisant pour accueillir des films étrangers et leurs auteurs. On a commencé par proposer une sélection de films français qui est rapidement devenue francophone. C’est à partir de la septième édition que la compétition est devenue européenne.

Parmi les cinéastes qui ont été découverts et suivis par le festival de Brive, y a- t-il un auteur/ réalisateur en particulier qui t’ait marqué et dont tu es fier d’avoir montré le travail ?

Un des plaisirs de ce métier, c’est lorsqu’au milieu d’une pile de 500 DVD reçus en moyenne chaque année, tu tombes sur un film comme « Un monde sans femmes » de Guillaume Brac dont je ne connaissais ni le parcours ni le travail à l’époque. On se retrouve devant un film d’une apparente simplicité qui, en premier lieu, a le mérite de ne pas chercher à en mettre plein la vue. Le cinéaste parvient à mettre en place un récit assez complexe tout en restant accessible, ce qui constitue un tour de force remarquable. Il fallait mettre en avant ce film car il aurait pu passer inaperçu dans d’autres festivals.

Le premier moyen métrage de Justine Triet, « Sur place », fut pour nous une autre découverte importante. Encore une fois, c’est un film qui ne joue pas sur la séduction, qui demande à être reçu dans sa pleine durée pour comprendre la démarche de la réalisatrice. Il faut accepter de travailler avec le film, de s’en imprégner pour saisir la force et l’intelligence de son dispositif. En règle générale, nous sommes heureux lorsque l’on réussit à extraire une pépite de ce gigantesque tas de sable, mais cela exige des sélectionneurs, une attention et une ouverture suffisante pour se laisser surprendre.

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« Sur place »

Te méfies-tu de la séduction des films, de ceux qui succombent aux effets de mode lorsque tu sélectionnes les moyens métrages de la compétition ?

C’est en effet quelque chose que j’essaie de fuir, comme spectateur et comme sélectionneur, même si je peux reconnaître le talent et l’intelligence de certains cinéastes qui profitent des opportunités de l’époque pour s’emparer de thèmes et de formes séduisantes. Mais je pense qu’il faut être également sensible aux auteurs qui proposent des films « hors-temps », un peu inusables, comme ceux d’Arthur Harari par exemple (« La Main sur la gueule », « Peine perdue », Prix Format Court au Festival de Brive 2014) . Je pense que par leur aspect intemporel, ses films vieilliront bien.

Lorsque je visionne un film, j’essaye de comprendre le projet du cinéaste en acceptant les forces et les faiblesses du résultat final. Je suis plus sensible au travail d’un cinéaste aventureux qui prend des risques par le choix de son sujet ou dans la manière de le mettre en scène. Les films sages, lisses, qui empruntent des chemins balisés ou traitent de sujets bateaux ne m’intéressent pas. Je ne rejette cependant pas les réalisateurs qui ont recours à une mise en scène classique pour raconter leurs histoires, bien au contraire. S’ils manient les codes avec intelligence et maîtrise, des films magnifiques peuvent émerger. Aujourd’hui, le dispositif prévaut parce que l’époque exige des formes inédites, plus excitantes. Mais les cinéastes ne se montrent pas toujours à la hauteur de leurs propositions et peuvent réaliser des films qui tournent rapidement dans le vide.

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« La Main sur la gueule »

Après cette dernière édition, tu ne seras plus Délégué général du festival. Est-ce pour consacrer plus de temps à ton activité de réalisateur ou penses-tu proposer tes services à d’autres festivals, sous une autre forme ?

Ni moi ni Katell n’avions à la base le désir ni la vocation de créer un festival de cinéma. On l’a fait parce que l’on ressentait un vide qu’il fallait réparer, par amour du cinéma, pour aider de jeunes cinéastes. C’est une démarche profondément généreuse. J’ai consacré beaucoup de mon temps à d’autres, avec à chaque fois du plaisir et une reconnaissance partagée. Aujourd’hui, j’ai envie de me consacrer à mes projets de films. C’est une décision mûrement réfléchie que j’ai prise il y a un an déjà. Je me sens à présent capable d’assumer des envies profondes, comme celle de réaliser un long-métrage. J’ai envie d’écrire, de tourner rapidement quelque chose. J’ai besoin de parier là dessus, même si cela implique de prendre un risque. Je ne veux pas avoir de regrets.

Marc-Antoine Vaugeois

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