Jonathan Vinel est étudiant à la Fémis en département montage. Il a réalisé une poignée de courts-métrages expérimentaux qui lui ont valu d’être remarqué par Les Cahiers du Cinéma. Caroline Poggi, étudiante à Paris 8, a réalisé « Chiens », un premier court-métrage qui a fait le tour des festivals. Ensemble, ils ont tourné « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes », évoquant l’envie de suicide d’un jeune homme Joshua, lauréat du très convoité Ours d’Or lors de la dernière Berlinale. À l’occasion de la sélection de leur moyen-métrage au dernier festival de Brive, Format Court est allé à leur rencontre. Ils reviennent sur leurs parcours, sur la genèse de ce film et sur quelques secrets de fabrication.
Quels ont été vos parcours respectifs ?
Caroline : J’ai grandi et vécu en Corse jusqu’à mes dix-huit ans. Puis, j’ai fait des études à Paris 7 où j’ai rencontré Jonathan. Après l’obtention de ma licence, je suis rentrée un an en Corse pour suivre des cours au DU CREATTACC (Créations et Techniques Audiovisuelles et Cinématographiques de Corse) et réaliser « Chiens », mon premier court-métrage dont Jonathan a fait le montage. Aujourd’hui, je suis inscrite en master à Paris 8.
Jonathan : J’ai grandi à Bouloc, un petit village près de Toulouse où l’on a tourné « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes ». L’envie de réaliser est venue assez tard dans mon parcours. Lorsque j’étais lycéen, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Un jour, un copain a dit qu’il voulait se lancer dans le cinéma. J’ai suivi le mouvement et j’ai essayé de réaliser un court-métrage, de façon très brouillonne sans réussir à le mener à son terme. C’est lorsque j’ai commencé à monter des images préexistantes que j’ai réalisé mes premiers films. J’ai continué ce travail expérimental à la fac, en parallèle de mes études. Puis j’ai intégré la Fémis en département montage. C’est dans le cadre d’un projet hors-cursus que j’ai écrit et réalisé ce film avec Caroline l’année dernière.
Jonathan, tes précédents courts-métrages mettaient déjà en scène des groupes d’adolescents dans leurs rapports au monde, faisant face à la détérioration de leur unité. Caroline, tu travailles également dans « Chiens » la notion de meute, avec un personnage principal entouré d’animaux qu’il ne reconnaît plus. Est-ce que ces thématiques communes ont-été un moteur pour l’écriture de « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes » ?
Jonathan : Je pense que l’on se rejoint avant tout dans notre envie de ne pas faire des films réalistes, de construire chacun à notre manière des univers fonctionnant comme des cocons qui isolent des éléments de la réalité qui nous intéressent. Notre envie commune lors de l’élaboration du film n’était pas de raconter une histoire, mais de vider un lieu et de placer à l’intérieur deux personnages. On voulait fabriquer une nouvelle «bulle», une sorte de huis-clos en plein air.
Caroline : Il y a aussi l’envie de jouer sur différents registres d’émotion, d’osciller en permanence entre la douceur et la violence. Le surgissement d’éléments fantastiques est un autre trait commun à nos films respectifs, un moyen de se détacher de la réalité.
Ces décrochages fantastiques sont généralement produits par des effets spéciaux ou de montage dans vos précédents films. Ils sont un peu absents dans celui-ci.
Jonathan : Ils sont moins voyants, moins évidents. Ce film-ci exigeait une forme plus narrative et linéaire. On avait prévu au moment du tournage de filmer plus de scènes qui fonctionneraient par éclats, mais le film les a simplement rejetés.
Caroline : Les quelques éclats qui émaillent le film sont issus de la manière de mettre en scène des éléments très prosaïques de la réalité. Un couteau-papillon, un congélateur, une piscine, filmés sous un certain angle décollent de leur fonction première et peuvent atteindre un autre niveau de représentation.
La durée plus longue du film (30 minutes) par rapport à vos précédentes réalisations vous permet également de développer des moments de latence, de flottement. La trajectoire du récit et des personnages est donnée d’avance, l’intérêt du film repose moins sur des péripéties que sur des instants digressifs.
Caroline : Les personnages suivent un chemin qui leur est destiné, qui ne déviera pas en cours de route. Il s’agissait encore d’une envie commune avec Jonathan de nous approprier une narration propre aux jeux vidéo, où une mission attribuée au personnage est définie par avance et doit être menée à son terme.
Jonathan : On avait besoin de cette ligne narrative claire pour se permettre de mettre en scène ces «à-côtés», des moments plus calmes et contemplatifs. C’est une autre différence par rapport à nos précédents films qui fait que celui-ci peut tenir sur une durée plus longue.
Vous aviez prévu de réaliser un casting de voix pour les comédiens du film pour que les acteurs présents à l’image soient doublés par d’autres. Cette idée assez originale est-elle restée au moment de la fabrication ?
Jonathan : C’était effectivement un parti pris lors de l’élaboration du film, mais on l’a abandonné en cours de route parce que l’on aimait les voix des comédiens, notamment celle de l’interprète du fantôme. L’acteur est un garçon de 17 ans qui n’avait jamais fait de cinéma, et on trouvait que sa voix grave à la Garou était parfaite pour le personnage (rires).
Caroline : Le son des dialogues n’est pas celui du direct, ce sont les sons seuls des prises post-synchronisées au moment du montage son. On s’est rendu compte que cela créait un décalage, que cela contribuait à rendre palpable la sensation de détachement des personnages. Comme s’ils étaient déjà un peu absents, un peu hors du monde. On a travaillé longtemps sur la post-synchronisation du film. Le travail consistait à isoler des éléments, à nettoyer la bande-son pour ne garder que ce qui nous intéressait. Par exemple, en enlevant le bruit des pas dans les scènes de dialogues, on donne plus de poids aux mots et à la présence des comédiens.
J’ai l’impression qu’avec ce film, vous êtes allés au bout de cette obsession des thématiques liées à l’adolescence (le rapport au groupe, la mort de l’enfance, le suicide…) qui imprègnent vos précédents travaux. C’est en quelque sorte le stade terminal.
Jonathan : Je n’ai pas l’impression qu’on soit allé au bout de quelque chose. Je pense que l’on a simplement puisé dans ces thèmes pour raconter notre vision de l’adolescence. C’est un réservoir de fiction très riche qui nous nourrit tous les deux. Nos histoires personnelles, celles de gens qui nous sont proches, que l’on a croisés ont aussi alimenté l’écriture du film.
Caroline : On avait tout de même ce parti pris radical que le moteur de l’action soit une pulsion de mort, avec ce personnage principal qui décide de se suicider. Le mouvement du film ne va pas vers la vie ou vers des valeurs de réconciliation, on suit la trajectoire tragique que le héros s’est choisi.
Vous avez déjà des projets pour la suite ? Vous allez tourner à nouveau ensemble, ou revenir à des créations individuelles ?
Jonathan : On a envie de continuer à travailler ensemble. On est très contents de notre collaboration sur ce film. On commence tout juste à réunir quelques idées, à repartir sur un nouveau projet.
Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois
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Article associé : notre reportage sur le Festival de Brive