Présenté à Brive ces jours-ci, « A iucata » s’ouvre avec cette image assez improbable : celle d’un cheval attelé à un sulky, qui galope sous la pluie, en pleine nuit, suivi par quantité d’automobiles et de scooters qui éclairent la route de leurs phares et font gronder leur moteur. À première vue, on hésite entre une scène grotesque ou à l’inverse, à un film de guerre futuriste voire apocalyptique. En tout les cas, ce lent et long travelling nous hypnotise totalement et nous plonge au plus près de l’univers de ces courses clandestines.
Michele Pennetta, le réalisateur, nous embarque en effet dans un documentaire implacable sur un aspect assez méconnu de la mafia sicilienne où les chevaux n’ont que la valeur de leurs jarrets. Ces courses dont les paris sont assez proches de ceux effectués lors des combats de coqs ou de chiens offrent un spectacle autrement plus beau tant les chevaux sont gracieux, même si tout reste finalement une histoire d’argent.
La première séquence s’enchaîne avec une scène bien plus paisible et pourtant significative de ce que représente le cheval pour son propriétaire mafieux : la caméra de Pennetta suit de près un jeune palefrenier, Vittorio, qui dorlote son cheval nerveux, le prépare pour la prochaine course tandis que son patron l’incite à s’entraîner toujours plus. Le temps, c’est de l’argent, surtout lorsqu’il faut se cacher.
Tout comme les courses, les entraînements ont d’ailleurs lieu la nuit dans les rues de la ville de Catane ou sur la plage au petit matin. Les images quasi surréalistes sont alors rythmées par le martèlement des sabots. Les dialogues sont presque inexistants dans le film, laissant la part belle à l’image du cheval. Puis, c’est le retour à l’écurie où une piqûre attend le cheval déjà dopé. Dans une ambiance aussi froide que le film « Bullhead » de Michael R. Roskam, Concetto, le patron – le parrain – ne fait et ne sait qu’exploiter l’animal afin de le faire remporter la course finale. « A iucata » se termine d’ailleurs sur un duel de chefs par animaux interposés dans un vacarme de klaxons de voitures et de scooters qui les suivent comme au début. De ce duel, on ne saura qui en sortira vainqueur, et ce n’est pas ce qui importe.
« A iucata » est le cinquième film de Michele Penneta. Avec ce film, il a remporté le Pardino d’or au dernier Festival de Locarno. Il réalise ici un documentaire à la limite de la fiction dans lequel il réussit à s’intégrer totalement dans ce monde de courses équestres clandestines et de paris mafieux, le tout sans discours superflu, mais avec des images fortes. Un peu à la manière du film « Gomorra » de Matteo Garrone (fiction à la limite du documentaire), les personnages semblent si éloignés de notre réalité qu’on a parfois du mal à croire qu’ils existent réellement et qu’ils mènent des activités si secrètes.