Vincent Mariette : « Pour « Les Lézards », j’étais parti sur un truc beckettien, donc absurde, sur deux types qui attendent un truc qui ne vient jamais »

Après deux courts métrages déjà bien aboutis, « Le meilleur ami de l’homme » et « Double Mixte », Vincent Mariette est nommé aux César dans la catégorie « Meilleur Court Métrage » avec son troisième film, « Les Lézards ». Retour avec lui sur son parcours et ses projets.

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Peux-tu nous parler de ta formation à La Fémis et de ton premier court métrage « Le meilleur ami de l’homme » ?

Je voulais travailler dans le cinéma. La Fémis étant une école publique, je me suis dit que c’était le seul moyen pour y parvenir. J’ai tenté le concours d’entrée en scénario car c’était le plus simple pour moi : il n’y a pas de connaissances techniques à avoir. Mais je l’ai raté deux fois avant de l’avoir ! J’ai finalement intégré l’école et n’ai fait qu’écrire pendant les quatre ans de scolarité : on écrit environ cinq longs dont un en anglais et des courts divers et variés dont certains sont réalisés par les élèves réalisateurs. Je me suis rendue compte que je ne m’étais pas trompé de filière. Mais au fond je crois que j’ai toujours voulu être réalisateur.. sauf que je n’osais pas me l’avouer.

En sortant de l’école, un camarade producteur m’a demandé si je n’avais pas un court métrage pour la collection Canal. Les films du Worso où il travaillait voulaient se relancer dans les courts métrages. J’avais écrit le scénario du « Meilleur ami de l’homme » pendant ma scolarité, et même si le film n’a pas été écrit spécialement pour Jules-Édouard Moustic, j’ai été pris. J’ai réécrit le scénario et ce qui m’a vraiment motivé c’est quand Noémie Lvovsky a accepté de faire le film : c’est une personne que j’admire et je ne voulais pas la décevoir.

Ton deuxième court métrage, « Double Mixte », est assez différent du premier…

Je pensais à ces films des années 70 comme « L’épouvantail » ou « Macadam Cowboy ». Je voulais faire un film sur l’amitié dans un registre plutôt comique : dans « Double Mixte » c’est un témoin sous protection qui est protégé par un flic complètement incompétent. Ce qui m’amusait, c’était de travailler les personnages.

« Les Lézards » se démarque aussi des deux premiers courts métrages. Il s’agit d’un huis clos en noir et blanc qui se déroule dans un hammam. Comment le projet est-il apparu ?

Je suis intervenant à La Fémis auprès des premières années en scénario depuis quatre ans. Une année, on devait écrire des exemples de scénario : parmi les choix il y a avait un décor de salle de bain que j’ai interprété au départ comme étant un sauna. C’était une sorte de brouillon des « Lézards ». J’étais parti sur un truc beckettien, donc absurde, sur deux types qui attendent un truc qui ne vient jamais. C’était très radical, il n’y avait pas d’interaction entre les personnages mais c’était un bon exercice de mise en scène pour les élèves. Un an plus tard, j’ai réécrit le scénario un peu comme un défi : je voulais trouver des chevilles scénaristiques permettant de ne pas s’ennuyer tout en parlant de l’ennui et de l’attente. J’avais des désirs de mise en scène comme mettre un reptile ou une jolie femme aux seins nus. J’ai travaillé le scénario autour de ça. Les financements sont arrivés vite : j’ai eu la chance d’avoir de l’argent de Canal qui avait déjà aimé mes deux premiers courts et puis on a eu une région, et c’était parti !

Pourquoi avoir opté pour le noir et blanc ?

Pour trois raisons. Spontanément, j’ai vu le film en noir et blanc : j’ai essayé de comprendre pourquoi. Comme les corps sont quasiment nus, je ne voulais pas de crudité, je voulais que ça reste beau et que ça statufie un peu les personnages. Le noir et blanc permet cette mise à distance, ne serait-ce que par rapport à la fille qui joue seins nus. Je trouvais plus élégant de ma part de la filmer en noir et blanc que de la filmer en couleur même si la lumière peut être très belle et travaillée. Par ailleurs, je voulais que le film glisse doucement vers le lyrisme et j’avais l’impression que le noir et blanc pouvait permettre ça. C’est encore une mise à distance et ce ne sont que des intuitions. À mes yeux, ça permet de tendre vers un ailleurs. Enfin, je voulais vraiment filmer la vapeur dans le hammam, avec le noir et blanc on la ressent mieux, il y a plus de matière.

Tes films sont souvent très musicaux. Peux-tu nous parler du choix des musiques dans tes courts métrages ?

Sur « Le meilleur ami de l’homme », j’ai utilisé des chansons de Christophe. Le film se déroule dans un bistrot de gare ou de quartier : je voulais une musique crédible et qui me plaise en terme de texture. Christophe est un chanteur populaire français qui est assez pointu musicalement : c’est un entre-deux qui m’intéressait, c’est-à-dire que c’était beau et crédible.

Sur « Double Mixte », j’ai fait appel à un compositeur pour quelques morceaux et sinon il y a du classique Fauré et Mozart. Là j’avais en tête les films de Bertrand Blier, particulièrement « Préparez vos mouchoirs » et « Trop belle pour toi », dans lequel il y a beaucoup de Schubert.

Dans « Les Lézards », il y a un morceau qu’on a pris dans le film « Aguirre » de Herzog : il y a un glissement vers le lyrisme qui me plaisait bien. Et puis il y a la musique de fin qui ne correspondait pas ce que je voulais au départ ! J’avais envie d’une musique de Michael Nyman, le compositeur des films de Peter Greenaway. Mais cela n’a pas été possible. On a donc cherché autre chose avec l’aide d’un conseiller musical qui m’a proposé ce morceau (« Truth » d’Alexander) qui a une connotation un peu western et qui glisse aussi vers la légèreté. Je crois que ça fonctionne bien même si c’est un choix « par défaut » : tout le monde me parle de cette musique.

Où en es-tu sur ton projet de long-métrage ?

« Tristesse Club », sera fini fin mars. Il s’agit de mon projet de fin d’études de La Fémis qui a été très modifié ! Il parle de deux frères (interprétés par Laurent Lafitte et Vincent Macaigne) qui se retrouvent dans une ville perdue à l’occasion des funérailles de leur père. Et là ils rencontrent une jeune femme (Ludivine Sagnier) qui se présente comme étant leur demi-sœur. C’est donc l’histoire de ce trio qui va essayer de comprendre ce qu’il se passe entre eux. C’est une enquête qui n’en est pas une !

Penses-tu refaire des courts après ce film ?

J’ai assez envie d’en refaire, ne serait-ce que pour avoir le temps de tenter des trucs. C’est un terrain d’expérimentation. C’est un format qui me plait beaucoup.

Pour finir, peux-tu nous dire quels sont tes coups de cœur court et long ?

Pour les longs, je dirais « Conversation secrète » de Francis Ford Coppola. Et pour les courts, je pense à « Avec Amour » de Christophe Régin, un film de 2012 très original et très beau. On suit un personnage féminin, une actrice porno, qui se pose des questions. Le réalisateur a une patte, une vision et il y a du cinéma dans ce film !

Propos recueillis par Géraldine Pioud

Article associé : la critique du film

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