Réunis dans un café parisien, Charif Ounnoughene, Karim Leklou, Marie Monge et Sébastien Haguenauer, respectivement comédiens, réalisatrice et producteur du film « Marseille la nuit », évoquent leur travail en commun, les joies et les difficultés liés au film qui les a conduit à la nomination aux César du Meilleur court métrage. Discussion à plein de voix, autour de l’énergie collective, des petits plaisirs, de l’amitié, du format moyen, des emmerdes et des rêves.
Comment vous-êtes vous rencontrés ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble sur ce projet ?
Marie : Il y a six-sept ans, on s’est rencontré avec Charif sur le casting de mon premier court « Les Ombres bossues », c’était son premier film aussi. Il est arrivé, il a été assez instinctif et s’était approprié le texte d’une façon que je n’avais pas du tout imaginé pour le rôle. Ça m’a séduite, on s’est revu, on a travaillé ensemble, on est devenu amis. On était jeune, on a appris en même temps, c’était une aventure très collective et amicale. Après, j’ai fait un deuxième film, « Mia », où je lui ai écrit un rôle. Il m’a présenté son ami Karim qui nous a rejoint sur ce projet. Et puis, j’ai eu envie de faire un film avec eux et de filmer leur amitié aussi.
Qu’est-ce que Charif avait apporté sur le premier film ?
Marie : Il avait emmené le personnage ailleurs. Il lui avait apporté quelque chose de plus étrange. C’est quelqu’un qui a une présence immédiate, qui joue sur l’ambiguïté, qui prend toujours la scène à contre-pied. Il ne s’appuie jamais sur quelque chose de technique. Quand j’écris pour lui, je sais qu’on va aller chercher ailleurs.
Charif : Au casting, j’ai lu le scénario comme je le sentais, comme j’avais compris le personnage. C’était très intuitif.
Comment s’est passé la rencontre et le travail avec Marie pour toi, Karim ?
Karim : En travaillant ensemble sur « Mia », ça m’a donné très envie de tourner plus longtemps sur un autre projet. Il y avait déjà cette énergie particulière qui est vraiment spécifique aux films de Marie.
Charif : Marie est quelqu’un qui travaille énormément avec les comédiens. Ça nous met facilement en confiance, ça nous donne envie de comprendre où elle veut nous emmener. Elle est très ouverte au débat, à l’échange d’idées. Bien sûr, elle a des certitudes, elle tient à des choses mais elle n’est pas fermée. C’est très agréable pour un comédien parce qu’on sent qu’on est tous en travail, qu’on recherche tous, ça nous pousse à donner, à être plus créatif, innovant, ça nous donne une certaine responsabilité.
Karim : En termes d’énergie, elle transpire son film. Tu la sens physiquement, elle est avec toi dans la scène. Je n’ai pas vu ça chez énormément de réalisateurs. Et quand elle n’est pas contente, ça se voit (rires) ! Elle cherche, elle est impliquée, c’est physique. Après chaque scène, elle est là. Elle donne envie de redonner, comme dit Charif.
Marie : Pendant les six mois de préparation, avant même qu’on sache si le film allait être financé ou pas, on était dans mon salon à faire des impros, à travailler tous ensemble, à chercher, à faire des lectures avec tous les comédiens. C’est assez rare, cet esprit de troupe dans un court. Tout est segmenté, chacun a ses jours de tournage, alors que là, ils se parlaient des rôles les uns les autres. Chacun travaillait avec l’autre et venait avec des idées sur la façon dont on traîne dans la rue, dont on s’emmerde ensemble.
Sébastien : Dans la manière de travailler de Marie, il y a un souci du détail qui est très important et qui se voit. Le cocon créé a joué, il y a une espèce de mise en condition globale qui permet d’obtenir des choses pendant les prises. Ce travail est quasi aussi important que l’écriture. Cette implication, même celle des petits rôles, est cruciale. Tout le monde sait pourquoi il est là, précisément ce qu’il a à faire.
Karim : Ça nourrit les rôles. Tous les autres comédiens de la bande avaient vraiment le souci de partage. C’est quelque chose qu’on voit rarement : ils jouent pour toi.
Marie : Quand on ne savait pas si le film allait se faire, quand on était dans l’incertitude, j’étais toujours sure que j’avais envie de les filmer et que j’avais confiance en ce qui pouvait en sortir. Tous ceux qui sont arrivés en amont ne sont pas venus faire des heures ou de l’expérience, ils sont venus pour l’aventure. On avait peu de temps. Il fallait être très au clair sur les intentions et les répétitions. J’avais envie que dans cette urgence, on garde cette spontanéité. J’ai quasi monté à chaque fois les premières et deuxièmes prises. Ce qui était compliqué, c’est que Karim et Charif ne travaillent pas de la même manière. La deuxième prise, c’est celle où ils se retrouvent généralement. Charif part tout de suite et ce sont les fulgurances du début qui sont les plus belles alors que chez Karim, c’est toujours un peu l’esquisse, la première fois, et au bout d’un moment, il y arrive. Il a des ressources infinies, on ne peut plus l’arrêter. Du coup, travailler avec les deux, c’est hyper intéressant et ça se règle en répétition. Je vois très bien combien de temps ils ont besoin tous les deux. Et ce qui était parfait, c’est que Louise (Monge) était au milieu. Elle peut faire quelque chose de technique et se réajuster avec quelques nuances, elle est très régulière.
Sébastien, tu produis beaucoup de courts via ta boîte (10:15 Productions). Qu’est-ce qui t’a donné envie de bosser avec Marie et quelles difficultés as-tu rencontré en termes de production ?
Sébastien : J’avais vu son précédent court, « Mia », au festival Côté Court (Pantin). J’ai été bluffé par la manière dont elle gère ses comédiens. C’est hyper vivant. Je l’ai appelée pour bosser avec elle. Je ne voyais pas comment on allait monter le projet, je savais que ça allait être long. Mais l’ADN était là avec les comédiens et une camera. Il y avait du cinéma.
Quel a été l’apport de Julien Guetta, le scénariste ?
Marie : Je n’avais pas de projet écrit, j’avais envie de faire un film avec ces comédiens et de parler de cet âge-là. Avec Sébastien qui était très impliqué dans l’écriture, qui était mon seul interlocuteur, on avait envie d’aller jusqu’au bout d’une situation. Personne ne nous attendait, on voulait faire un film qui bascule dans le genre, ailleurs. Pour cela, il fallait un scénariste, on en a rencontré plusieurs, mais Julien s’est imposé avec ses envies. Il prenait sans égo ce qu’il voyait en répétition, entre le film de genre et la chronique.
En combien de temps avez-vous tourné ?
Sébastien : 12 jours de tournage étaient prévus, on en a tourné 18. Ce projet demandait cette énergie-là. J’ai senti assez vite que ça allait être un truc d’équipe. Après, pour le format moyen, on a rarement plus d’argent, donc on fait avec. C’est vite devenu l’enjeu principal. Une journée en plus ou en moins demandait beaucoup de réécriture. On savait que c’était la denrée la plus rare. Le chef op, Boris, a fait beaucoup de concessions par rapport à ce qu’il voulait à la base. À un moment, avoir une belle camera pour ne pas avoir le temps de filmer ne servait à rien, donc on a fait d’autres choix cohérents esthétiquement mais qui n’étaient pas rêvés initialement.
Karim : C’était un pari, ce film. Les techniciens nous ont beaucoup aidés. En tant que comédiens, on n’a pas ressenti tellement cette pression. Le premier assistant, Ilan Cohen, a pris énormément sur lui en termes de contraintes. Moi, j’étais dans un rêve, je croyais qu’on avait le temps.
Sébastien : Les comédiens attendaient dans des hangars entre deux prises, il faisait un froid et humide. Tout le monde restait jusqu’à la fin de la journée. D’autres personnes auraient fait la gueule ou montré qu’elles faisaient un effort. Là, personne s’est posé la question, on faisait le film.
Marie : Les machinos restaient jusqu’à 5h du matin. Quand on faisait des répétitions avec les comédiens, ils étaient là. On leur a parlé du scénario, il fallait qu’ils aillent au bout. Plus on avait des contraintes (ni CNC ni chaînes), plus le film était en danger, plus les gens se sont investis, plus on est allé à la guerre ensemble. Ils étaient là et prêts à donner beaucoup. Ce manque de moyens nous a à chaque fois plus donné de motivation. Tout le monde a puisé dans ses ressources.
Pour vous, c’est quoi ce film ?
Sébastien : C’est un film de système D.
Karim : C’est un film qui parle de mecs qui s’emmerdent, qui essayent de faire quelque chose de leur vie. C’est un film qui parle d’une jeunesse française, d’un passage à l’âge adulte un peu tardif et à des rêves qui se cassent. La vraie histoire, c’est celle de l’amitié, la confrontation à la réalité, des choses universelles. Le scénario est fort, en ça, il m’a touché.
Marie : Ça pourrait être une histoire d’amour mais c’est une histoire d’amitié. Ces deux garçons sont les rois du monde et du quartier. Ils vivent, rêvent, ensemble, et n’ont pas besoin de partir car ils se racontent leur idéal. Quand Mona arrive, leur rêve devient très concret. Quitter Limoges pour à Marseille ne prend que deux heures de voiture. Là, ça brise leur imaginaire, là, ils sont incapable d’agir ensemble. « Marseille la nuit » est aussi un film sur la peur.
Comment s’est passé la diffusion du film ?
Sébastien : Si tu pars avec des rêves de gloire, tu risques de tomber d’un peu haut ! Avec Marie, ça a été clair dès le début. A l’étranger, c’était compliqué, très peu de festivals prennent des films au-dessus de 30 minutes. En France, on avait ciblé six festivals, on a dû en faire cinq. On savait que si on loupait ces festivals de prestige, le film serait resté dans un tiroir. On est allé à Angers, à Belfort, on n’a pas été pris à Clermont et à Brive, mais le film a finalement été préacheté par France 2. Le film a quand même été vu.
Marie : Je n’avais pas fait la Fémis, je n’étais attendue par personne. On avait vraiment besoin de faire le film, ce n’était pas dans une logique de carrière. Sébastien m’a protégée, il m’a dit que son boulot était de l’emmener le plus loin possible. Et c’est ce qu’il a fait. À chaque fois, on était content, mais ça pouvait s’arrêter là.
Sébastien : Il y a de plus en plus de moyens métrages qui se font. Il y en a trois cette année aux César (« Bambi », « Avant que de tout perdre » et « Marseille la nuit »). Obtenir cette reconnaissance, c’est super.
Karim : Quand tu fais un court ou un moyen, ce n’est pas un schéma habituel de production et de diffusion. On est hyper heureux de la vie du film. C’est un film d’énergie qui s’est fait sur beaucoup d’efforts. Parfois dans le cinéma, il faut le dire, on est heureux, on prend des petits plaisirs ! (…) La nomination aux César, c’est la réussite de tout le monde, c’est un immense honneur de partager cette joie. Tout le monde a donné le maximum de soi-même. Jouer avec Charif et voir le film arriver là, c’est de la bombe atomique ! On en a tous chié et on est aux César ! C’est de la joie, putain ! On est happy !
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film