Simon Gillard est venu présenter Anima au Festival de documentaire Filmer à tout prix au mois de novembre 2013. Il en est reparti avec le Prix des Ateliers d’Accueil WIP-CAB et le Prix Format Court. Nous l’avons rencontré en compagnie de sa chef opératrice, Juliette Van Dormael, en prévision de la projection du film ce jeudi 12 décembre au Studio des Ursulines (Paris, 5ème).
Quel a été votre déclic cinéma ?
Simon : Pour moi, c’est la famille. Mon père possédait une boîte de production de films publicitaires en Bretagne et il y avait toujours une caméra qui traînait à la maison. Ma mère en était fan, elle l’utilisait tout le temps. Plus tard, quand il a fallu archiver toutes ces images, il m’a semblé important de comprendre ce besoin d’images. En a découlé le besoin d’apprendre à lire l’image et de faire du cinéma car c’est l’art le plus majestueux qui allie l’image photographique au mouvement et au son.
Juliette : Pour moi, c’est la photo qui m’a menée au cinéma. J’ai fait beaucoup de photo étant adolescente. Et puis, j’ai été entourée de gens qui faisaient du cinéma. Mais je me suis vraiment décidée à l’étudier sur le tournage de « Mr. Nobody », de mon père [Jaco Van Dormael]. J’avais 16 ans et j’ai passé mon été sur le plateau à observer comment les choses se passaient. J’ai appris énormément rien qu’en observant.
Vous avez tous les deux étudié à l’INSAS, à Bruxelles, Simon en réalisation et toi Juliette, en image, Anima est votre première collaboration. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?
Simon : Anima est un film réalisé dans le cadre des « Regards croisés ». L’INSAS envoie les étudiants en réalisation qui le souhaitent dans un pays étranger pour y tourner un film en collaboration avec une école sur place. On avait le choix entre le Brésil, la Chine et le Burkina-Faso. Logiquement, les réalisateurs ne sont jamais allés dans le pays avant, et leur regard reste vierge face à la réalité qu’ils découvrent sur place, ce qui fait que les films réalisés sont souvent empreints de fascination comme l’est Anima, même si pour ma part, j’étais déjà allé en Afrique de l’Ouest et au Burkina-Faso, en particulier et que je souhaitais y retourner. Anima a été filmé aux frontières du Mali et de la Côte d’Ivoire. L’idée a été d’approcher une civilisation rurale qui a une identité forte, un savoir-faire fort mais qui n’est pas régulièrement documentée ou pas toujours de la bonne façon. J’avais envie de dépeindre la non possession de ce peuple.
Juliette : En fait, Simon et moi, nous nous étions rencontrés sur un autre tournage et il m’avait parlé de son projet de tourner au Burkina. Très vite, je lui ai fait savoir que cela m’intéressait de collaborer avec lui et il a accepté. Il est d’abord parti seul et puis, une fois que l’idée du film est devenue plus concrète, je l’ai rejoint.
Simon : Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de filmer le territoire, le relief, les falaises, les cascades. L’eau en mouvement me fascine. La première rencontre que j’ai faite était autour d’un tas de charbon et ça m’a fait penser à un film italien qui m’a beaucoup influencé et inspiré, « Le Quattro volte » de Michelangelo Franmartino dans lequel on suit, selon les quatre saisons, un berger, sa chèvre et le travail du charbon.
Pourquoi avoir opté pour une image l’emportant sur la parole ?
Simon : C’est vrai que nous avons mis l’accent sur un traitement graphique. Dans ma façon d’aborder un sujet, j’essaye en général d’éluder le contexte. Pour ce film, cela me semblait primordial tout simplement parce j’arrive dans un pays qui n’est pas le mien, avec une culture que je connais très peu, il y au moins 70 ethnies et tout autant de langues que je ne connais pas donc il m’est impossible d’aborder la parole avec intelligence. Et plutôt que de réaliser un film qui se veuille un petit peu réducteur, j’ai décidé de réduire moi-même ma capacité d’action en enlevant les mots dans le film. Avec Juliette, on a beaucoup parlé de la manière de filmer. Et comme moi, elle ne ressentait pas le besoin de mettre et d’utiliser le verbe, surtout le verbe traduit, qui aurait réduit le sujet à des bribes d’informations auxquelles le spectateur se serait raccroché.
C’est vraiment faire confiance au spectateur que de ne pas le guider par des explications.
Simon : J’ai voulu mettre l’accent sur l’aspect graphique pour que le spectateur puisse ressentir les images avec ses sens, que le film soit une expérience sensorielle qui fait appel au toucher, à l’ouïe et peut-être même à l’odorat.
Juliette : Je pense qu’au début, le spectateur est troublé mais que grâce au montage, au choix de la longueur des plans, il se retrouve petit à petit et peut se laisser aller.
Simon : À propos de la confiance que l’on accorde au spectateur, il faut savoir si on fait des films pour nous ou pour quelqu’un en particulier. Avant, dans tout ce que je faisais, je me posais la question du destinataire or, ici, pour Anima, c’est la première fois que je ne pense pas à l’individualiser. C’est la raison pour laquelle, le film partage les avis. Beaucoup de gens peuvent être agacés par ce manque d’explications car ce n’est pas habituel. Et c’est cela que je trouve intéressant, Pour moi, c’est de l’éducation à l’image avant tout que de montrer qu’il existe d’autres manières de raconter quelque chose.
Comment avez-vous travaillé l’image sur ce film ?
Juliette : On tournait à deux caméras, il fallait que nos images coïncident un minimum. Chaque soir, on comparait ce qu’on avait tourné la journée.
Simon : On a dû faire des choix parce qu’avec les caméras qu’on avait, c’est-à-dire des caméras non professionnelles qui n’offraient pas vraiment une image très souple, on a été obligé d’avoir des partis pris et de faire des choix.
Juliette : Ça a été des choix de tournage, finalement. Mais, je suis assez contente du résultat qu’on a eu à l’étalonnage.
C’est important pour vous d’être sélectionné dans un festival entièrement consacré au documentaire comme Filmer à tout prix ?
Simon : Pour moi, ça n’a pas beaucoup d’importance si ce n’est que dans un festival de documentaires, j’ai l’impression que le public est plus critique et plus exigeant.
Simon, tu as des affinités avec le documentaire, comptes-tu en réaliser d’autres ?
Simon : Disons qu’avec Anima, je suis parti dans une recherche, dans un style de réalisation que j’ai envie d’explorer davantage car je sens que je dois encore progresser. J’aime le documentaire et j’ai envie d’encore en tourner pour le moment. Je ne me sens pas encore prêt à me mettre à une fiction qui ne soit pas un travail expérimental avec des comédiens.
Quel rôle donneriez-vous au documentaire, aujourd’hui ?
Simon : C’est difficile de répondre à cette question car justement Anima ne tranche pas sur la question. En ce qui me concerne, je ne fais pas vraiment la différence entre le documentaire et la fiction. Ce sont deux manières de transmettre un message, de communiquer, d’exprimer une idée à autrui.
Juliette : D’ailleurs, ce serait plutôt réducteur que de le restreindre à un rôle. Mais moi, la seule différence que je vois entre les deux, c’est que dans le documentaire, la réalité filmée n’aura lieu qu’une fois.
Simon : Oui, mais ça dépend aussi à quel détail on décide de se placer. Par exemple, en filmant cette jeune fille sur la balançoire dans Anima, elle s’est balancée pendant peut-être 25 minutes sans que je prononce un seul mot, sans que je lui dise ce qu’elle devait faire. Simplement, elle a compris qu’il se passait quelque chose, que c’était un instant pour elle et elle a eu envie d’en profiter.
Être primé, c’est quelque chose d’important ?
Juliette : C’est une belle reconnaissance.
Simon : C’est vrai. Et puis, c’est aussi une chance pour nous de pouvoir mettre nos films en avant. Un Prix comme le Prix Format Court, ça permet de faire la promotion de notre travail.Il ne faut pas se leurrer, nos courts métrages ne sont pas des objets à vendre, ce sont des outils promotionnels. Et ce qui m’a été donné à Filmer à tout prix, c’est la certitude de faire encore au moins un film, si pas deux.
Avez-vous encore le projet de collaborer par la suite ?
Simon : Pas dans un avenir proche puisqu’on est assez occupé chacun de son côté mais c’est certain qu’on va retravaille ensemble. En ce qui me concerne, j’ai un projet de moyen métrage, Yaar dans la continuité d’Anima dont le tournage débute en janvier.
Propos recueillis par Marie Bergeret
Article associé : la critique du film
One thought on “Simon Gillard et Juliette Van Dormael : « Il ne faut pas se leurrer, nos courts métrages ne sont pas des objets à vendre, ce sont des outils promotionnels »”