Les questions d’immigration et d’intégration sont rarement aussi efficacement abordées que par le ‘subalterne’ lui-même. C’est exactement ce genre de document de première main que nous livre Apiyo Amolo dans son film « Not Swiss Made », sélectionné en compétition internationale à Filmer à tout prix cette année.
Chanteuse, actrice et réalisatrice ne sont que quelques titres que possède cette artiste à plusieurs facettes, Suissesse d’origine kényane. En choisissant une forme épurée, ostensiblement en contraste avec son exubérance, Apiyo Amolo réussit un film à la lisière des genres documentaire et expérimental. Se basant sur sa propre vie d’immigrée – plus de treize ans de vie exemplaire en Suisse, une intégration impeccable, une menace d’expulsion suite à son divorce… – elle dresse un autoportrait singulier en deux minutes.
L’auteure s’exprime à l’aide de ce langage universel qu’est la musique, même si une compréhension des textes chantés se révèle utile pour saisir pleinement la signification et l’humour du film, qui se compose de deux airs folk très connus et culturellement typiques. Le premier, Jambo Bwana, est un chant tribal kényan (faussement attribué par leurs fans à Boney M.), accueillant le visiteur avec chaleur et amitié dans le pays de Hakuna Matata. L’autre, symbole même de l’Helvétique, est un yodel populaire sur l’identité suisse nommé Mein Vater ist ein Appenzeller (mon père vient d’Appenzell). Apiyo parvient ainsi à cristalliser sa double identité, ce parcours courageux et unique, à la fois exigé et critiqué.
À l’image, un gros plan constant traduit bien la complexité et l’insaisissabilité du sujet, jonglant entre coquetterie et austérité, mais ne virant jamais vers le ridicule ou le pathétique. Ce pari minimaliste osé est relevé grâce à la présence majestueuse de la cinéaste et par l’aisance avec laquelle elle passe de rires empruntés aux pleurs affectés. Le travail du montage est des plus basiques (plan séquence principalement fixe, avec quelques jump cuts maladroits et de légers effets de zoom) surlignant la simplicité et l’éloquence de la démarche.
Racontée avec étonnamment peu de moyens, l’histoire personnelle de ce ‘mouton noir’ donne lieu à un message social et politique d’une grande portée. Un véritable coup de poing !
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Article associé : l’interview d’Apiyo Amolo