Surprenant film du jeune réalisateur berlinois Bryn Chainey, « Moritz Und Der Wadlschrat » (Moritz et le farfadet), qui a récemment obtenu une mention spéciale du jury jeune au Festival Européen du Film Court de Brest, nous plonge dans le sombre univers d’une famille recluse sur elle-même, rongée de l’intérieur par la maladie du plus jeune des deux fils.
Interprété avec justesse, Moritz est un frère aîné qui porte à bout de bras une famille dont les parents ne parviennent pas à cacher leur inquiétude. Chaque matin, il donne un peu de son sang à son frère Adam. La forêt semble être la seule échappatoire pour cet enfant qui n’en est plus vraiment un. La maladie et le sentiment d’injustice qui l’accompagne ont emporté avec eux l’innocence du jeune Moritz.
Dans la forêt, Moritz est interpellé par un farfadet coincé dans un tronc d’arbre. En échange de son aide, l’enfant à le droit à un souhait. C’est avec horreur et indignation que l’on découvre le souhait du garçon, espérant aussitôt qu’il ne se réalisera pas : que son frère disparaisse à jamais.
Dans cette fable du quotidien, le fantastique surgit soudainement sous la forme d’une créature issue du folklore français. Tout comme le lutin ou l’elfe, le farfadet, tout du moins dans la psychanalyse, est associé à l’enfance, à « l’enfant intérieur » qui sommeille en chaque être, une part de l’être qui relève de l’instinct, et révèle parfois les aspects les plus sombres de l’être, une part de la psyché qui ne se connaît pas elle-même.
Cette facette sombre de l’enfant, qui surgit soudainement tout comme surgit le fantastique dans le récit, fait renouer Moritz avec son enfance, et la cruauté qui bien souvent la caractérise. Trop de responsabilités et d’attentes pesaient sur lui, et alors qu’il libère le farfadet de son piège, c’est lui-même qu’il tente de sauver. L’enfant suscite peine et dégoût, tout comme la maladie qui ronge sa famille à petit feu. Alors, la nature reprend ses droits, et devient intimement liée à l’enfance, à la fois belle et cruelle.
Ce lien qui unit l’enfant et la nature est illustré dès les premières scènes du film de Bryn Chainey. « Moritz Und Der Waldschrat » s’ouvre sur des plans de forêt, où les arbres imposants et majestueux sont traversés par la lumière, qui se faufile et circule à travers les branches. Dans la séquence suivante, c’est le sang qui circule entre les deux frères, tel la sève qui aliment les arbres. Plus tard, alors que Moritz fend ces branches d’arbres de sa hache, il rompt le lien qui le lie à son frère, et par là même, les liens qui le raccrochent à la vie.
Bryn Chainey, un talent à suivre de près, n’en est pas à son premier essai. Déjà, ses précédents courts métrages évoquaient la famille et les liens qui unissent les parents aux enfants. Dans « Jonah and the Vicarious Nature of Homesickness » (2010), un homme se laissait dériver sur un vaisseau spatial de fortune et ne parvenait à communiquer avec sa famille que par messages sur répondeurs interposés. Dans « Film for the Boxed » (2007), un enfant pas comme les autres, doté d’un écran de télévision à la place de la tête, s’inventait des images de son père, dont sa mère trop protectrice refusait de lui parler.
Peut-être est-ce pour cette volonté d’aborder la complexité des relations qui unissent l’enfant et l’adulte que « Moritz Und Der Waldschrat » a plu au jury jeune du festival de Brest. On y perçoit le tiraillement entre les responsabilités qui incombent à l’adulte, et le désir de rester un enfant, illustré par des personnages qui demeurent impuissants face à une nature à la fois somptueuse, insondable et menaçante.