Figurant parmi les films de musique de la neuvième édition du festival Paris Courts Devant, le court-métrage « Coda » de Ewa Brykalska fit résonner une voix vibrante et forte au milieu d’une sélection assez policée. Ce film de fin d’études réalisé à l’INSAS (Belgique) nous emmène le temps d’une journée dans les couloirs poussiéreux d’un Conservatoire de musique laissé à l’abandon, à la rencontre de personnages perdus face à la transformation inexorable du paysage urbain, progressivement détruit par les chantiers des promoteurs immobiliers.
Dans un quartier de Bruxelles en reconstruction, un Conservatoire de musique reste ouvert et accueille ses élèves pour leur évaluation de fin d’année. Malgré le bruit des chutes de gravats et des grincements de grues des chantiers des alentours, les auditions se succèdent dans les salles de classe délabrées de l’établissement en perdition. Une des élèves, la jeune Perle, est moins préoccupée par son examen que par le départ abrupt de l’un des professeurs. Elle profite de sa présence lors de cette ultime journée pour faire un pas vers lui, dans un jeu de séduction incertain qui dissimule une inquiétude plus grande, étendue à tous les personnages du film : comment parvenir à s’accorder une dernière fois, à se connecter à quelque chose pour retrouver l’harmonie perdue ?
Les personnages de « Coda » se déplacent à l’intérieur d’un corps malade, ce Conservatoire de musique gangrené de l’intérieur par la transformation urbaine. Autrefois lieu d’apprentissage et de pratique de l’art, il devient le dernier bastion d’une communauté d’individus seuls face à la marche impitoyable du progrès. Certains lutteront jusqu’au bout, comme le personnage du concierge bourru et nonchalant déterminé à faire son office sans se soucier de l’absurdité objective de sa condition. D’autres choisissent d’abandonner le vaisseau, tel ce professeur résigné qui part en emportant son piano avec lui. Les avances maladroites que formule la jeune Perle à son égard ne suffiront pas à le retenir car elle le repoussera à l’instant où il essaiera de l’embrasser. La possibilité d’une rencontre semble alors impossible tant la précipitation des événements ne laisse aucune place à l’expression latente d’un désir, fusse-t-il incertain. C’est finalement dans l’intimité d’une salle d’examen, lorsque l’élève et l’évaluatrice se feront face que le raccord aura lieu. Les deux femmes partageront un dernier instant de grâce alors que leurs voix s’élèveront à l’unisson au milieu du chaos.
La réalisatrice accorde une place importante à la dimension politique du récit qu’elle met en scène à travers la résistance tranquille et non-violente de ses protagonistes, mais ne réduit jamais son film à un manifeste militant en ne donnant aucun visage humain à la menace ou en ne nommant aucune instance politique ou économique responsable de la mise en place des chantiers. Le cœur du film se trouve ailleurs, dans la peinture touchante des rapports que nouent les personnages entre eux et dont Ewa Brykalska capte l’essence avec une attention remarquable. Le choix de confier les rôles à des acteurs issus d’horizons très différents constituait un pari risqué, mais assurait également à la réalisatrice de belles surprises. Ainsi, le jeu intériorisé de la comédienne débutante Noémie Schmidt contraste admirablement avec la bonhomie d’Aleksandar Teofanovic, acteur non-professionnel au naturel désarmant et source de nombreux décalages comiques. Nicole Colchat, comédienne de théâtre au jeu plus affirmé, complète merveilleusement le casting avec sa composition discrète et élégante du personnage de la directrice chargé de diriger l’audition de la jeune fille.
Ewa Brykalska se démarque en réalisant un film d’école éminemment personnel, très abouti formellement et témoignant d’un regard de cinéaste déjà aiguisé. Si l’ancienne étudiante de l’INSAS à bien profité de ses cours, elle ne se contente pas de réaliser un film de « bon élève » et impose une rigueur et un savoir-faire impressionnant. Une artiste à suivre.