Parmi les différentes sélections de courts métrages ayant concouru au festival Paris Court Devant, celle des films Bord Cadre proposait cette année un florilège de dix films courts explorant des formes alternatives, flirtant régulièrement avec les codes du film de genre pour une série d’expériences visuelles et sensorielles à intérêt variable. Sur la dizaine de courts métrages sélectionnés, on remarque en premier lieu une prédisposition pour les univers sombres et mortifères, où les éléments fantastiques convoqués ouvrent autant de portes sur les visions macabres des réalisateurs. Ainsi, le film d’animation « Abyssus Abysum Invocat » de Wes Simpkins (USA) a recours aux techniques de stop motion pour donner vie à d’effrayantes marionnettes dans un monde cauchemardesque où trois figures de la justice (un juge, un procureur et un avocat) doivent délibérer du sort d’un malheureux condamné à la pendaison. Le soin apporté à la confection des personnages, aux décors et à l’ambiance sonore est remarquable, mais contribue à cloisonner le film dans une vision sans relief des dérives de la justice et de la religion pour en formuler une critique finalement vue et revue.
Dans un autre registre, le très ludique « Ce qui me fait prendre le train » de Pierre Mazingarbe (France), le réalisateur de « Les poissons préfèrent l’eau du bain », mélange différentes techniques d’animation (stop motion, morphing, compositing) avec des prises de vues réelles pour raconter le voyage d’Orphée dans le monde des morts. Le film charme dans un premier temps par sa représentation singulière de l’au-delà : un lieu où ceux qui sont passés de l’autre côté partagent leur temps en se livrant à différents jeux aux noms et règles improbables (le « lapin carotte », la « pétanque astronomique ») dans un cadre très british, soulignant au passage l’influence du cinéma de Wes Anderson. La photographie en noir et blanc léchée et l’utilisation habile de l’animation donnent au film un cachet immédiat, même si l’émotion nous gagne rarement durant les quinze minutes que dure le film. La faute à un récit trop opaque, où l’absence totale de psychologie des personnages pose problème et laisse au final trop de questions en suspens.
L’artiste pluridisciplinaire Rosto (France) nous invite également à plonger dans un univers sombre et torturé avec son court-métrage « Lonely Bones » que l’on qualifiera plus justement de « film musical » que de « clip ». La superbe bande-son composée par Rosto lui-même joue pour beaucoup dans la réussite du film puisqu’elle dicte le rythme du récit et lui confère une ambiance électrique d’une efficacité redoutable. En suivant le parcours d’un personnage perdu dans un monde en déliquescence et condamné au sacrifice lors d’un étrange rituel, le réalisateur libère un imaginaire baroque foisonnant en mélangeant à son tour les techniques d’animation et de prises de vues réelles.
On pourrait rapprocher l’atmosphère angoissante et le récit abstrait du « Domicile » de Maéva Ranaïvajaona (France/Allemagne) aux univers des courts-métrages précédemment cités, même si la mise en scène et l’esthétique de celui-ci flirte plus avec l’installation d’art contemporain qu’avec un emprunt franc aux codes du cinéma d’horreur ou fantastique. Le film raconte la lutte d’un jeune homme dans le décor froid et fonctionnel d’un appartement avec une entité étrangère entièrement recouverte de matière noire. Sans recourir à d’autres dialogues que la dichotomie (assez lourde) des deux corps mis face-à-face (celui de l’homme blanc, habillé et rigide contre celui de la créature nue, féminine et contorsionnée), le court-métrage peine à convaincre tant il semble rabâcher sans véritable point de vue des thèmes passe-partout. On retiendra néanmoins un remarquable travail de cadre, notamment sur les inserts du corps luisant de la créature desquels se dégage une étrange sensualité.
Pour changer, les trois derniers films de la sélection sont de réjouissantes surprises issues (encore !) du cinéma d’animation. Déjà chroniqué à plusieurs reprises sur le site, « Comme des lapins » de Osman Cerfon (France) est un court animé diablement efficace sur lequel on ne s’étendra pas mais dont on savoure toujours autant l’humour noir et la beauté graphique à chaque vision.
On retrouve une même propension à l’humour noir dans le très drôle « Us » de Ulrich Totier (France/Belgique), petite machine comique extrêmement bien huilée mettant en scène un groupe d’autochtones primitifs dont la routine vas être perturbée par l’arrivée d’un rocher tombé du ciel. Dans une logique d’emballement incontrôlable, les personnages vont expérimenter avec l’objet en question à peu près tous les usages (lancer, casser, manger, construire…), provoquant les morts accidentelles et successives de chacun d’entre eux.
Terminons avec la plus belle utilisation de l’animation : le film « Braise » de Hugo Frassetto (France), préselectionné au César et entièrement animé avec du sable. L’action se déroule dans une soirée arrosée où un jeune homme fait la rencontre d’une fille un peu « allumeuse ». Autour d’eux, ça ne fait que parler, de sexe, d’amour, ça se jauge, se provoque, s’engueule dans une cacophonie qui habille la bande-son du film et le ballet de séduction muet des futurs amants. Le choix de l’animation avec du sable se révèle idéal pour représenter la sensualité des échanges entre les deux personnages : d’habitude, on jette le sable sur le feu pour l’éteindre. Ici, le mouvement des matières granuleuses devient le miroir de l’embrasement des sens et de la passion charnelle.
Une proposition formelle poétique et singulière rendant bien compte de la diversité et de la richesse de la sélection Bord Cadre, de loin le plus stimulant des programmes du festival Paris Courts Devant !
Pour information, « Us » sera projeté à la séance anniversaire de Format Court, le jeudi 16/01/2014, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de Julie Rousset, co-réalisatrice et co-scénariste