Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas à un réalisateur, un acteur ou à un producteur que nous avons posé nos questions, mais à un programmateur. Benjamin Leroy, initiateur du blog Make it Short, a fait sa place depuis quelques années dans le milieu du court métrange de genre et collabore régulièrement avec les festivals les plus prestigieux (Court Métrange, PIFFF, NIFFF, Extrême Cinéma, etc.). Dans le cadre d’une carte blanche Make It Short présentée à Court Métrange, nous avons rencontré ce féru de cinema de genre qui nous parle de son travail de programmation, une activité indispensable très peu médiatisée.
Quel est ton parcours dans le milieu de la programmation de courts métrages ?
J’ai commencé à Lyon, en 2006, en tant que stagiaire, pour le Festival Cinéma et Cultures d’Asie, organisé par l’association Asie Expo. Je me suis occupé de diverses choses et notamment de la programmation des courts métrages pendant trois ans. Parallèlement, j’étais spectateur assidu de l’Etrange Festival de Lyon, qui était une déclinaison de l’Etrange Festival de Paris, et qui depuis, a été rebaptisé Hallucinations Collectives. Je suis rentré dans l’équipe de ce festival, et petit à petit j’en suis venu à m’occuper d’une compétition internationale de courts métrages, relancée la deuxième année de mon arrivée. A partir de là, Cyril Despontin, président d’Hallucinations Collectives, a lancé le Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF), en partenariat avec Mad Movies, et m’a demandé de m’occuper de la compétition courts métrages internationaux.
Tout cela m’a mis le pied à l’étrier et, ensuite, à force de rencontres et d’opportunités, d’autres festivals m’ont proposé de travailler ensemble, comme tout récemment le festival Extrême Cinéma à Toulouse. Cela fait également trois ans que je donne un petit coup de main à Court Métrange, dans la programmation, en leur transmettant une liste élargie de films qui me semblent intéressants pour enrichir et augmenter le nombre de propositions qu’ils reçoivent déjà. Ils m’offrent en plus la possibilité de programmer une séance en rapport avec mon blog Make It Short. J’ai aussi donné un coup de main de ce type, cette année, au Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF). D’autres choses se font, plus informelles, mais les principaux festivals avec lesquels je travaille, sont ceux de Lyon, Paris, Toulouse et Rennes.
Quel est ton rapport à la forme spécifique du court métrage ?
J’ai une passion pour le cinéma en général, je ne fais pas vraiment de distinction entre court et long métrage. Le format court possède des spécificités bien particulières, comme la découverte d’un auteur, l’éclosion d’un univers, mais aussi, l’expérimentation, la liberté de tenter des choses audacieuses que l’on ne retrouve pas forcément de la même manière dans un format plus long.
Qu’est-ce que Make It Short ?
Make It Short est un blog sur le court métrage que je tiens depuis à peu près deux ans, de façon très irrégulière, cela fonctionne plutôt selon mes envies et mon temps disponible. Je ne souhaite pas vraiment coller à l’actualité et juste poster des liens de films sans rien mettre autour. A force de faire des programmations, l’idée du blog m’est venue. J’avais envie de parler de certains réalisateurs dont les noms revenaient souvent, je voulais partager mon enthousiasme en quelque sorte. Je m’occupe du blog tout seul, mais j’aimerais bien essayer de l’ouvrir à d’autres gens maintenant, car je n’ai pas forcément toujours le temps de parler de tout ce qui sort et cela me frustre un peu.
Peux-tu nous dire un mot sur la carte blanche « Make It Short » à Court Métrange cette année ?
Cette carte blanche m’a permis, entre autres, de mettre des films que je n’aurais pas pour différentes raisons pu sélectionner ailleurs, mais que je trouve quand même très bons et que j’ai envie de soutenir et diffuser. Dans cette sélection, par exemple, il y a le film « Merry Little Christmas » (2010), que j’ai découvert en début d’année, un peu tard pour pouvoir le proposer moi-même en festival, mais que j’ai pu programmer sans problème ici. Il y a aussi « Yellow », qui, lui, était problématique dans mes autres programmations à cause de sa durée (26 minutes). De plus, ce sont quand même des films très particuliers, je ne savais pas trop comment ils allaient être reçus. J’ai eu des retours à la fois positifs et négatifs, mais je suis très content d’avoir pu les passer. Concernant les autres films, « Linear » est un court que j’aime beaucoup, mais que je n’avais pas pu sélectionner dans d’autres programmations. « Bio-cop » et « Record/Play » sont des films que j’ai déjà diffusés, mais qu’il me plaît toujours de reprogrammer dès que je le peux.
Dans ton travail de programmation, est-ce que tu regardes uniquement des films de genre ou tu t’intéresses à d’autres styles ?
Pour ce travail spécifique effectivement, je ne regarde que des films de genre, pour mon plaisir je regarde de tout évidemment, mais j’essaye de me concentrer avant tout sur le genre. Après, cela peut être du fantastique pur (vampires, zombies, etc.) comme une histoire juste étrange ou absurde. Mes choix sont assez larges et tentent d’englober toutes les possibilités du genre.
J’avoue que je n’aime pas trop le cinéma d’auteur, surtout en court. Quand je vais à Clermont, je suis plus sensible à la compétition labo ou internationale, mais j’ai beaucoup de mal avec la compétition nationale. Je regrette qu’il n’y ait pas assez de films de genre sélectionnés dans ce festival, souvent des séances spéciales sont organisées autour de thématiques de genre, mais c’est une manière de caser les choses. C’est un regard qui, finalement, est plutôt méprisant sur le genre. La sélection labo me fait aussi un peu cet effet-là de temps en temps, je me demande parfois si les films qui y figurent ne sont pas assez bien ou alors trop bizarres pour la sélection officielle. C’est à la fois extrêmement bien qu’ils diffusent tous ces films différents, mais en même temps c’est dommage qu’ils cloisonnent les choses de cette façon-là. Je suis plus attiré par exemple par la programmation de l’Etrange Festival, qui est à la fois très diverse, sans œillère et très complète.
Quel est ton ressenti sur le court métrage de genre actuel ?
Je trouve qu’il y a pas mal de choses qui se ressemblent, notamment à cause de l’utilisation trop systématique des mêmes appareils photos ou des mêmes caméras pour filmer et d’un rendu d’images identique qui dessert complètement les films. Il y a aussi trop de courts qui se font pour de mauvaises raisons. Beaucoup de réalisateurs ou de scénaristes se disent : « J’ai envie de faire un court métrage, qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter ? », alors que cela devrait plutôt être : « Tiens, j’ai quelque chose à raconter, faisons un court métrage ! ». Une autre erreur à mon sens, ce sont les films influencés par ce qui se fait en long métrage et qui ne font que dupliquer ce que les réalisateurs ont vu et aimé, c’est plutôt assez vain comme démarche. Pour ma part, j’aime que l’on me raconte une histoire, qu’il y ait une identité forte, une singularité et une recherche artistique originale.
Actuellement, il y a beaucoup plus de courts de genre, notamment sur le net, grâce aux facilités de production et de diffusion, avec l’arrivée du numérique, mais aussi avec les campagnes de crowdfunding, qui permettent cette profusion et ce large éventail. Après, il ne tient qu’à nous, en tant que programmateurs, de chercher et de trouver les perles…
Propos recueillis par Julien Savès