Grégoire Colin : « C’est ce lien invisible avec le spectateur qui m’intéresse, que j’essaie de créer mais qui est hyper mystérieux parce qu’il est non palpable »

Président du Jury officiel des courts au dernier Festival International du Film Francophone de Namur, Grégoire Colin, comédien devenu réalisateur, nous parle de ses deux films (« La Baie du renard » et « Lisières », tout juste présélectionné aux César), de l’incarnation du rôle et du travail autour de la sensation.

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Je sais que vous êtes en train de travailler sur un nouveau projet de court. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la forme courte, au-delà de l’envie de faire vos propres films ?

J’ai toujours eu envie d’écrire, je me suis formé sur le tas mais sans techniques, connaissances, structures de récit, sans avoir l’idée des différentes manières de construire un long métrage. Du coup, pour le premier film que j’ai écrit, j’étais dans l’expérimentation. Ça a été le cas pour le deuxième aussi. Après coup, j’ai retrouvé la structure du récit de « La Baie du Renard » dans des nouvelles, par exemple dans Histoire de la cité de Dieu de Pasolini, la structure était la même. Je me suis donc rendu compte rétrospectivement que j’avais écrit une chronique. Ça tombait bien puisque j’aime beaucoup le travail de Pasolini, en tant qu’artiste. Mon apprentissage s’est fait comme ça. D’abord par un geste primitif de création puis en observant, pour commencer à avoir des repères.

Vous dites ne pas avoir eu de notions en écriture. Le fait d’avoir joué, lu les histoires des autres n’a pas pu représenter un repère d’écriture ?

Non, je pense que construire des films, les déconstruire, appréhender des rôles, tout ça n’a rien à voir.

« La Baie du Renard » et « Lisières » sont séparés de trois ans, ils sont très similaires et en même temps très distincts. Le premier film est plus dans l’observation, dans la chronique, dans l’autre vous racontez une histoire et vous la contextualisez. Dans les deux, vous travaillez avec le même comédien. Qu’est-ce que le premier film vous a permis d’expérimenter ?

J’ai appris l’expérience du tournage : on n’emmène pas une équipe en haut d’une falaise comme je l’ai fait pour « La Baie du Renard » par exemple. Avec l’expérience, on intègre les temps de tournage, la difficulté de certains décors, les aspects financiers aussi.

Au niveau du récit, je voulais faire de « La Baie du Renard » quelque chose de vraiment minimaliste pour travailler avec les outils du cinéma et non avec ceux de la dramaturgie. J’avais simplement en tête une chronique qui se raconte avec l’image et le son. Là, je vais tourner un court métrage cet hiver, et le récit est encore un petit peu plus étoffé.

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Qu’est-ce ce qui vous a intéressé chez ce jeune comédien (Michel Pubill Goma) avec qui vous avez collaboré sur les deux films ?

C’est quelqu’un avec qui j’espère retravailler, c’est même prévu. Si quelque chose fonctionne dans une collaboration, que ce soit avec le chef opérateur ou le monteur, je n’ai pas de raison d’arrêter. Je n’ai pas envie d’aller chercher quelqu’un d’autre que Michel, même si je crée un personnage qui vient d’un tout autre univers, sauf si il y a un souci au niveau de l’âge évidemment. C’est à l’acteur de composer son rôle, de le travailler. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il l’incarne véritablement.

J’ai appris que vous aviez eu envie de faire de la musique avant de vous orienter vers le cinéma….

Oui, je suis autodidacte. Vers 20 ans, cela faisait longtemps que je faisais de la musique, j’écrivais aussi mais je sentais que c’était le moment pour moi de trouver une voie. J’ai hésité pendant très longtemps, entre la musique et l’écriture pour le cinéma, avec l’idée après de la mise en scène. Et voilà, j’ai choisi cette deuxième option. Ce qui a été déterminant, ça a été de me dire qu’avec le métier de réalisateur, je pourrais continuer de collaborer avec des musiciens. Je me suis complètement investi là-dedans et j’ai dû arrêter la musique, notamment parce que je suis très minutieux et que je fais les choses lentement.

Est-ce que vous prenez du temps pour l’écriture ?

Je prends du temps à mettre en œuvre quelque chose, à l’accomplir, parce que je veux le faire bien. Cependant aujourd’hui, je vais beaucoup plus vite sur l’écriture de court métrage. Je vois plus rapidement ce que je veux et là où je veux aller. L’expérience cumulée à une autre aide, c’est sûr, mais ça reste laborieux.

Comment percevez-vous les courts aujourd’hui, en voyez-vous beaucoup ? Est-ce que depuis que vous êtes passé à la réalisation, vous les percevez autrement ?

Quand on accumule de l’expérience, ça change forcément le regard. Néanmoins j’essaie toujours de ne rien attendre, de me laisser surprendre par ce que je regarde. Essayer de voir, comprendre, avoir des sensations. Quand on juge, c’est différent. Ici, au festival de Namur, on regarde la mise en scène, l’écriture, le jeu des acteurs, tous ces paramètres qui font un film. On essaie d’en voir la cohérence qui en ressort et c’est ça qu’on récompense.

Le travail autour de la sensation m’intéresse beaucoup, comme dans les films de Lynch. Ce que j’aime en tant que spectateur, c’est d’éprouver des sensations avec des personnages, de pouvoir faire une expérience à travers le cinéma.

Est-ce qu’en jouant pour les différents réalisateurs avec qui vous avez pu travailler, vous avez été amené à aborder cette question des sensations ?

J’aime communiquer. Comme acteur, c’est ça qui m’intéresse, donner des sensations. Je le vis par exemple avec Claire Denis parce qu’elle demande dans son écriture qu’on amène des sensations. C’est ce lien invisible avec le spectateur qui m’intéresse, que j’essaie de créer mais qui est hyper mystérieux parce qu’il est non palpable.

Est-ce que la réalisation vous amène à construire autrement votre métier de comédien ?

Oui, mais sur des aspects très pratiques, comme davantage respecter le metteur en scène, son plateau, moins foutre le bordel ! D’une certaine manière, j’ai appris à plus être au service du film, à être plus discipliné que je n’ai pu l’être à une période, ce qui devait être bien fatiguant pour l’équipe et le réalisateur !

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Carine Lebrun

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