Matthieu Salmon : « Au départ, je voulais juste être monteur, mais rapidement, j’ai pris goût à la réalisation »

Deux années de fac ratées, un passé de facteur avec sa petite auto, de l’intérim dans une imprimerie, une pratique de la photo mais aussi du travail à la chaîne dans les labos photo avant l’avènement du numérique, des aspirations littéraires, une attirance pour l’image, une envie de quitter la province, de rejoindre la Fémis et l’univers du cinéma « inaccessible ». Matthieu Salmon a dû finir sa formation de monteur et trouver une certaine motivation pour réaliser, à 33 ans, son premier court métrage « Le Lac, la plage » (2006) suivi de « Week-end à la campagne » (2007) et  de « La Dérive » (2011), projeté lors de la toute première soirée Format Court. Mais il lui a fallu beaucoup moins de 33 ans pour, presque malgré lui, nous instruire et nous faire rire en nous faisant part de quelques unes de ces étapes qui l’ont amené à devenir réalisateur et scénariste.

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Comment est né le projet de « Le Lac, la plage », ton premier court métrage dans lequel on note l’importance du hors champs ?

Je ne sais plus comment le film est apparu. Au final, le film n’est absolument pas ce qu’il devait être à l’origine. Evidemment, c’est la même histoire. L’idée de départ, c’était qu’il y avait cette fille dont tout le monde tombait un petit peu amoureux et elle, elle, tombait amoureuse du chien. Et donc tout le monde voulait être à la place du chien. Par après, le tournage s’est passé de façon assez catastrophique. En plus, pour moi, c’était une première expérience. Je n’avais jamais rien fait avant. Je travaillais déjà dans le montage mais surtout pour la télévision. Je voulais en fait m’en extirper  et essayer de monter des courts métrages, des films de cinéma. J’avais appelé une dizaine de boîtes de productions pour savoir si elles avaient besoin d’un monteur sur des courts. Je voulais me former comme ça, mais je n’y arrivais pas, je ne trouvais rien. Je me suis donc dit : « Ce n’est pas grave, je vais écrire un film et le tourner. Comme ça, ça me fera un truc à montrer ». Au départ, je voulais juste être monteur, mais rapidement, j’ai pris goût à la réalisation. Tout le processus d’écriture, de réalisation, de tournage et de montage, finalement, m’a plu ! Beaucoup même (rires). Avant de réaliser « Le Lac, la plage », je n’avais jamais écrit de scénario. J’avais 33 ans quand j’ai réalisé mon premier film, ce qui est assez vieux en fait. Il y a des gens qui font un premier court alors qu’ils ont une vingtaine d’années. Au lieu d’emprunter une ligne droite, j’ai plutôt suivi un chemin avec des tours et des détours (sourire). À l’époque, j’écrivais des nouvelles, mais j’avais un problème de style. Le mien était beaucoup trop ampoulé. Ça ne marchait pas et puis, je ne faisais rien lire à personne. J’étais mon seul lecteur.

Pourquoi ?

Parce que j’estimais que ce n’était pas suffisamment bon (rires) pour le faire lire à d’autres gens, même à des amis. J’en ai parlé à ma copine de l’époque qui traduisait des scénarii du français vers l’anglais et qui conservait ceux qu’elle aimait bien chez elle. Elle m’a dit : « Tu devrais écrire un scénario ». Elle m’a sorti toute une pile de scénarii et j’ai commencé à les lire, à en étudier la forme, à me rendre compte que le style n’était pas si crucial. C’est ce qui m’a beaucoup plu en fait. Je me suis dit que je pouvais raconter une histoire mais sans avoir de style, que je pouvais faire des phrases avec des répétitions. Ce qui est important, c’est la façon dont l’histoire se déroule, les étapes, la progression. À l’époque, ça m’a semblé beaucoup plus simple que d’écrire des nouvelles.

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Après qu’as-tu fait ?

J’ai cherché des boîtes de production. C’était pareil : je ne connaissais personne. Je me suis alors rendu à la Maison du Film Court. Après avoir rencontré les gens là-bas, j’ai retravaillé le scénario. On m’y a donné plusieurs noms de boîtes de production susceptibles d’être intéressées par mon scénario. La plupart ne m’a pas répondu. L’une d’elles qui s’appelait Carlito m’a répondu positivement. Olivier Gastinel, le producteur avec qui j’ai fait le film, m’a rappelé deux jours après. Il était emballé. Cela m’a surpris à l’époque. Je me suis dit : « C’est bizarre, ça cache un truc… » (rires).  On s’est finalement engagé sur ce projet, Olivier et moi. Ensuite, les choses se sont compliquées. Il a fallu chercher des financements. On en a trouvé assez peu. On a envoyé le projet à plusieurs régions. Une seule nous a répondu positivement : la région Limousin avec laquelle d’ailleurs j’ai encore de bons rapports puisqu’elle soutient mon prochain film qui s’appelle pour l’instant « Les Mâles ne vivent pas ».

C’est un court ? Un long ?

Tel qu’il est, il fait une grosse trentaine de pages. Je pense que ce sera un film de 30 à 40 minutes. Plutôt un moyen donc.

Tu ne l’as pas encore tourné…

Non. J’espère le tourner dans quelques mois, à l’automne 2013. On a eu un premier financement de la Région. Avec  « La Dérive » (ndlr son dernier court métrage à ce jour), on a eu le Prix d’Aide à la Qualité, donc, c’est de l’argent que l’on va réinjecter sur le prochain tournage. Là, on va tenter le CNC début décembre mais l’aide est difficile à avoir. Je ne l’ai jamais eue.

Pourquoi ne pas tourner plus tôt ?

Parce que l’histoire doit débuter en automne et reprendre en hiver. C’est très beau, en région. Les couleurs, la nature, tout se prête à l’histoire.

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Comment s’est passé ton premier tournage ?

Sur le tournage de « Le Lac, la plage », tout le monde a travaillé de façon bénévole, les acteurs inclus. C’était très particulier car c’était une première expérience pour moi et pour beaucoup de gens, sauf pour les comédiens. J’avais besoin de me retrouver avec des amis et des gens que je connaissais un peu, pas avec des étrangers. Par exemple, un de mes amis, Fabrice Garcia, a été premier assistant. Il avait déjà tourné un court métrage qu’il avait lui-même produit, « Billy Drunk et Shitty Boy contre le Calamar killer », l’histoire d’un calamar géant qui se mettait à tuer des clochards, sur lequel il avait tout fait. Il m’a rassuré avant le tournage. Olivier Gastinel, le producteur, a ramené le chef opérateur avec qui ça a été plutôt dur humainement. Il avait l’habitude d’être assistant caméra sur des grosses productions, il travaillait beaucoup à l’époque avec EuropaCorp sur les productions Besson. Il faisait les « Taxi », Il avait l’habitude des grosses machineries avec des équipes lourdes. Il a dû être surpris quand il a débarqué sur un court métrage où personne n’y connaissait rien (rires). Ce n’était pas un projet amateur mais un projet fragile. Le tournage me faisait assez peur parce que je ne savais pas du tout comment l’aborder. Je n’ai jamais fait de théâtre, je n’ai jamais joué, je me sens mal à l’aise là- dedans, je suis de nature un peu timide. Me retrouver face aux comédiens, au départ, n’a pas été évident.

Qu’est-ce qui te faisait peur avec les comédiens ?

La façon dont il fallait que je leur parle. J’avais l’impression que comme ils avaient déjà joué, ils s’y connaissaient plus que moi. Je trouvais présomptueux de leur donner des indications de jeu alors que je découvrais tout ça. (…) Jean-Claude Montel de la Maison du Film Court m’avait conseillé quelques comédiens qu’il connaissait. Auparavant, il était directeur de casting. D’ailleurs, c’est parmi les acteurs dont il m’a parlé que j’en ai retenu quelques uns dont Pierre Mours (que l’on retrouve dans son second court métrage « Week-end à la campagne ») et Guillaume Verdier.

Dans « Le Lac, la plage » et « Week-end à la campagne », le chien a une importance particulière…

J’ai écrit les deux films de façon assez rapprochée. Je me suis toujours inspiré de mauvaises expériences personnelles (rires). J’ai très peur des chiens par exemple. Il y avait une idée assez dérisoire dans le fait que cette fille tombe amoureuse de ce chien que tout le monde tombe amoureux de cette fille et que le chien cristallise toutes les envies, tous les désirs et les peurs aussi. En plus, le chien est un animal toujours très ambivalent; c’est à la fois le meilleur ami de l’homme et un animal qui peut être potentiellement dangereux. (…) Un chien, c’est pratique pour raconter une histoire. Je me disais presque que si j’en mettais un chien dans un film, ça le rendrait intéressante. Une histoire où tout le monde aurait été amoureux de la même fille me paraissait plus plate, alors qu’avec un chien au milieu renvoyait aux extrêmes.

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Qu’est-ce qui fait que tu ne tournes pas davantage ?

Parce que je suis un type lent et parce que, finalement, c’est tout un processus. Même pour un film plus léger que je pourrais faire avec des amis, il faudrait que je les convainque de gaspiller deux ou trois jours de leur temps (rires). Rien ne se fait finalement sans travail.

Dans tes films, tu es très attentif au cadre. Est-ce que tu as fait de la photo ?

Oui. Il y a longtemps. Avant ma formation de monteur à l’AFPA, je faisais de la photo en amateur. Dans « Le Lac, la plage » et dans « Week-end à la campagne », le premier plan est important. J’essaye d’y raconter tout le film. C’est moins le cas dans  « La Dérive » car on l’a monté différemment. Le film s’ouvrait sur la main de Dominique (Reymond) qui froissait un petit billet sur lequel était écrit « Bonne chance ». Après, on a fait débuter le film avec des images d’usine.

En combien de temps « La Dérive » (2011) a-t-il été tourné ?

On l’a tourné sur cinq jours à Cap 18 qui est une zone industrielle proche du Boulevard Mac Donald, où tout est refait, où il y a plein de chantiers. C’est une zone de Paris qui est complètement en construction, en chamboulement. Quand on a tourné là-bas, il y avait encore des grues. Tout va s’y transformer visuellement. Ils sont en train de construire un complexe, des parkings, des magasins, des habitations.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de tourner là-bas ?

Au départ, je n’avais pas de lieu en tête. Je savais que j’allais tourner à Paris et puis, on a obtenu une aide de la Mairie de Paris, et j’ai commencé à chercher une imprimerie. J’ai toujours pensé le film comme ça, à la base. Il y a longtemps, pendant mon adolescence, j’ai travaillé dans une imprimerie, dans une zone industrielle comme ça, avec un côté très « usine ». (…) Je connais donc un petit peu ce milieu-là. (…). Cap 18 est aussi une zone industrielle où il y a beaucoup d’imprimeries très modernes.  Celle où nous avons tourné avait pour particularité d’avoir de vieilles machines mécaniques sur lesquelles on travaillait encore. Des machines aujourd’hui obsolètes.

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Quand tu faisais un plan fixe sur une machine, quel était ton but ?

Ce que je voulais trouver, c’était la mécanique et le rythme, les rouages, la cadence, un son…. C’est presque de la musicalité en fin de compte, quelque chose de très répétitif, de très abrutissant.

Contrairement à tes deux précédents courts, tu t’es servi d’une musique, celle d’Ayméric Hainaux. Avais-tu déjà la musique en tête ou l’as-tu trouvée après avoir réalisé le film ?

On a trouvé la musique après, je ne sais plus par quel biais. J’y ai pensé trop tard, mais je voulais que le personnage de Virginie passe devant des gens qui font de la musique. J’imaginais des gens qui faisaient une sorte de slam dans tous ces espaces désaffectés. Ce qui m’intéressait, c’était le rythme. N’ayant pas filmé ça pendant le tournage parce que ce n’était pas écrit dans le scénario, cela a été un petit peu rattrapé au montage, en discutant avec ma copine de l’époque. Je lui ai dit : « Ce serait bien de trouver un morceau de rap ou de slam, de l’ordre du souffle ». Elle a pensé à Ayméric Hainaux qu’elle connaissait et qui fait du beat box avec sa voix ; il se sert d’un micro, d’un ampli et c’est tout. Il n’a aucun instrument, il ne chante pas, et ce n’est pas plus mal. Ce qui m’intéressait, c’était lorsqu’on l’entendait respirer : cela me rappelait le rythme des machines. (….). Il y avait l’envie de rendre quelque chose d’oppressant.

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Pendant la soirée de projection Format Court, tu nous as dit t’être inspiré pour « La Dérive » d’une rupture amoureuse en t’avisant que perdre son travail pouvait être plus grave…

Oui, c’était toute l’idée au départ. J’étais un peu, voire complètement déprimé. J’allais au boulot sans vraiment avoir envie d’y aller et je me suis dit : « Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire ? ». L’idée est venue comme ça : traiter de la perte du travail comme la perte d’un être cher avec le même sentiment que celui qui me traversait à l’époque : un sentiment d’incompréhension.

D’ailleurs, il y a cette phrase de l’héroïne : « Je ne comprends pas », à laquelle le chef répond :  » Mais il n’y a rien à comprendre ».

Oui ! Pendant l’écriture du scénario, chaque fois qu’il y avait un dialogue, j’essayais de repenser à ça. Même quand Virginie parle avec le personnage interprété par Farida Rahouadj : tous leurs dialogues, pour moi, sont ceux d’une scène de rupture. L’une dit : « Pourtant, ça se passait bien. Je ne comprends pas. Pourquoi ? ». En fait quand l’autre te quitte, il n’y a pas de pourquoi. Tu ne sauras jamais parce que l’autre va te donner mille explications. En fait, tu ne comprends jamais parce que c’est tellement violent et parce qu’au fond, il n’y a pas de raison. Et puis, il y a aussi ce sentiment d’être abandonné. Pour le personnage de Virginie, le plus dur n’est pas de perdre son travail mais de perdre ses collègues et ses relations sociales. Si « La Dérive » avait pu être plus long, c’est tout ce pan-là qui aurait été développé : elle, confrontée à sa solitude. (….) À un moment donné, je voulais appeler le film comme ça : « Une Revenante, La Revenante ». Mais, j’ai trouvé que ça ne sonnait pas forcément bien (rires). D’autant qu’à la fin, Virginie revient comme une sorte de fantôme, de spectre, qui hante à la fois le terrain vague, les imprimeries et tous les alentours. C’est pour ça d’ailleurs que Dominique a été beaucoup maquillée, blanchie, qu’elle portait un long manteau noir et qu’elle avait une façon de marcher comme un zombie….

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Pourquoi le titre « La Dérive » ?

Nous sommes passés par plusieurs phases. Guy Debord a écrit sur la société du spectacle un texte qui s’appelait « La Dérive » où le principe est de commencer à marcher sans aucune raison, sans aucun but, dans un territoire donné, de dériver, que ce soit en ville ou à la campagne, du matin au soir, et de découvrir un lieu comme ça. C’est une espèce de théorie qu’il a développée et que j’ai découverte en montant le film.

Propos recueillis par Franck Unimon

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